De quoi Tshibala est économiquement capable

Les Congolais, plus déterminés que jamais, voient qu’on a ouvert le capot. Mais ils ne savent pas si on est en train de mettre de l’ordre ou du désordre dans le moteur.

Une vue de vendeuses des fruits au marché centrale de Kinshasa, ce 19/03/2011. Des fruits étalés de par le sol sur la chaussée principal qui travers le marché central. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo

Tshibala battant malgré lui. Les grognes se multiplient, mais le punch du nouveau 1ER Ministre paraît intact. Il est vrai, en face, l’opposition va être menaçante. Il y a des semaines, comme cela, où rien ne va. Bruno Tshibala, longtemps habitué à la baraka, qualité essentielle pour réussir en politique, traverse une période de scoumoune. Dernier épisode en date dans la série de mauvaises nouvelles : le scellé du siège de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) sur 10è Rue Limete suite au rapatriement avorté de la dépouille d’Etienne Tshisekedi est un boulet au pied du tout nouveau 1ER Ministre au point d’en faire l’échec de son mandat. Patatras ! Tout ou presque est à refaire et les 100 premiers jours de la primature Tshibala ne seront pas le chemin de roses annoncé. Si l’on ajoute l’envolée des prix sur le marché, la grogne des syndicats -furieux de ne pas avoir été entendus sur l’indexation des salaires -, la colère générale des consommateurs qui voient leur pouvoir d’achat fondre au grillant soleil de cette fin de saison des pluies, sans compter les autres contre-performances, il y aurait de quoi déprimer. Ce que semblent faire les Congolais, à en croire le dernier baromètre Alter pour Business et Finances : jamais, depuis la nomination de Bruno Tshibala, ils n’ont si mal jugé l’action du président Joseph Kabila.

Le soutien des frères kasaïens

Un défi « passionnant » dont Bruno Tshibala confie être capable de relever. Déjà après son investiture à l’Assemblée nationale, il va se faire « recevoir » rapidement par la communauté kasaïenne luba, dans le strict rituel politique congolais. Une façon de faire « légitimer » son mandat par les siens. Mais cela suffirait-il, quand on sait que ce soutien quasi naturel a fait défaut à Samy Badibanga ? Où est donc passé le lobby luba kasaïen (des hommes d’affaires de l’espace kasaïen) qui a toujours été derrière Etienne Tshisekedi à chaque fois qu’il était nommé 1ER Ministre ? Signe évident de ce soutien : au lendemain de la nomination d’Etienne Tshisekedi au poste de 1ER Ministre, le marché de change réagissait favorablement. La monnaie nationale s’appréciait par rapport au dollar. Tel n’a pas été le cas avec Badibanga ni avec Tshibala, pourtant sortis de la moule de l’UDPS et luba comme le lider maximo.

« Les citoyens broient du noir ? Ils verront les fruits de l’action de Tshibala dans quelques mois. », rassure un proche du 1ER Ministre. Les syndicats défilent main dans la main pour protester contre le statut quo ? Le 1ER Ministre confie sa détermination. Pas question de lâcher au milieu du gué. Son « impopularité » du moment ne l’inhiberait pas. « Il veut faire plus que Samy Badibanga, qui n’aurait pas dépassé la barre de 50 % dans les intentions des Congolais, affirme un politologue. Il est dans une logique de résultats pour son mandat. »

Ce politologue assure même que Tshibala semble plus passionné que jamais par sa fonction. À l’image de Clinton qui disait : « D’autres feront peut-être le job aussi bien que moi, mais personne ne l’aimera autant. » Cela suppose une bonne dose d’abnégation. Bruno Tshibala l’explique devant ses fidèles, tout en restant optimiste sur l’issue de l’aventure. « Les Congolais voient qu’on a ouvert le capot. On est en train de mettre de l’ordre dans le moteur. On a de l’huile plein la gueule. On ne peut pas dire qu’on est prêt à partir pour la France demain. », explique cet observateur.

Mandat suspendu à la météo

Le problème est que personne ne peut dire pour combien de temps est programmé le gouvernement Tshibala. Badibanga a tenu pendant quatre mois, Tshibala peut faire plus ou moins selon la météo politique. Dans cette situation, de quoi peut-il être capable économiquement. Le 1ER Ministre a laissé entendre qu’il n’inventerait rien pendant cette période et qu’il a décidé de faire alors prospérer les fruits de sa politique. Apparemment certain qu’ils existeraient. Raison supplémentaire de ne pas désespérer dans une phase difficile : le climat délétère au Rassemblement et à l’UDPS. Tshibala l’observe avec délectation. Bataille des chefs, absence de projet : l’opposition n’est guère menaçante à ses yeux pour l’instant. Qui sortira vainqueur de ce combat confus ? Les paris sont ouverts. En attendant, Tshibala a décidé de ne voir rien que le bon côté des choses.

À l’image de ses proches, pour qui, cela ne va pas si mal. « Nous n’avons pas de problème de leader, les prochaines élections ne peuvent qu’être bonnes… » Que demande le peuple ?

Les Congolais réclament les élections pour se choisir les nouveaux dirigeants du pays et les nouveaux élus, tellement la déception a été à son comble depuis les dix dernières années. Mais rien ne si sûr que les élections vont se tenir fin 2017, même si la Commission électorale nationale et indépendante (CENI) a le vent en poupe dans le processus d’enrôlement des électeurs. Avec la crise politique qui s’est réinstallée, certains pensent qu’il n’y a pas la volonté politique d’aller rapidement aux élections. La nomination de Bruno Tshibala comme 1ER Ministre est donc vécue comme un simple « débauchage » destiné à faire « diversion ».

La communauté internationale demande à voir Bruno Tshibala à l’action pour récréer le consensus politique brisé brutalement afin d’éviter au pays l’embrasement. L’Union européenne (UE) veille au grain concernant le dossier RDC. Et comme l’opposition, elle appuie pleinement la résolution 2348 de l’ONU « qui recommande à toutes les parties prenantes en RDC de mettre en œuvre, sans délai, l’accord du Centre interdiocésain ». Même son de cloche pour le ministre belge des affaires étrangères, le très actif Didier Reynders, qui se dit « préoccupé par le fait que les autorités de transition ne disposent pas du large soutien nécessaire. »

Sur le plan économique et social, les Congolais veulent voir leurs conditions de vie améliorées, à commencer par le panier de la ménagère. Dans le nouveau gouvernement dévoilé le mardi 9 mai, aucun changement sur les portefeuilles clefs. L’Intérieur, les Finances, la Justice, les Affaires étrangères, la Défense, les Mines, le Plan, les Hydrocarbures, la Communication, le Portefeuille… restent entre les mains des fidèles au président Joseph Kabila, pour la plupart. Parmi les nouveaux, sans surprise, des frondeurs du Rassemblement, qui ont choisi de « suivre » Bruno Tshibala, ex-cadre du principal parti d’opposition, l’UDPS, dans son rapprochement avec le pouvoir. Joseph Kapika (UDPS), Jean-Pierre Lisanga Bonganga (Alliés de Tshisekedi), Ingele Ifoto, Emery Okundji (FONUS), Lumeya Dhu Maleghi (Courant du Futur), Freddy Kita (DC), Heva Muakasa, Tshibangu Kalala (Notre Beau Pays)… Ce n’est certainement pas avec toutes ces personnalités venues de tous bords politiques et de tous horizons que Tshibala devrait fonder son action. Il devra en tout cas se faire entourer dans son cabinet par des têtes bien pensantes et réfléchies. Augustin Matata Ponyo avait retenu la leçon.