Après avoir fait le constat d’échec de plusieurs décennies de centralisation du pouvoir, la République démocratique du Congo a opté clairement pour la décentralisation comme mode de gestion des affaires locales, a déclaré d’emblée Célestin Pande Kapopo, le gouverneur du Haut-Katanga, l’une des provinces issues du démembrement de l’ancien Katanga. D’après lui, les populations ont approuvé ce choix par un vote massif au referendum, en estimant qu’il les rapprocherait de l’autorité de décision pour la résolution de divers problèmes de gouvernance. Que ce choix favoriserait également la mise en place d’une administration de proximité capable de leur assurer la fourniture des services de base de qualité et les ferait participer activement aux initiatives et opportunités de développement.
Et de poursuivre : « la décentralisation suppose non seulement le transfert de certaines compétences aux provinces mais aussi le transfert de ressources ou d’une partie des prérogatives dans le domaine des finances publiques ». S’agissant des finances publiques, a-t-il déclaré, la constitution telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011, en son article 171 et la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces en son article 43 dispose que « les finances du pouvoir central et celles des provinces sont distinctes ».
Nouveauté : autonomie financière
L’article 175 de la constitution stipule que la part des recettes à caractère national allouées aux provinces est établie à 40 %. Elle est retenue à la source. La loi fixe la nomenclature des autres recettes locales et les modalités de leur répartition. L’une des innovations de la politique de décentralisation congolaise porte sur l’autonomie financière des provinces et des entités territoriales décentralisées (ETD). Il s’agit d’assurer aux provinces et aux entités territoriales décentralisées des transferts financiers correspondant aux transferts de compétences pour qu’elles administrent adéquatement leurs nouvelles responsabilités.
Les compétences respectives revenant à chaque palier du pouvoir sont précisées dans la constitution. L’article 2 de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 précise notamment que la province est dotée de la personnalité juridique. Elle jouit de l’autonomie de gestion de ses ressources humaines, économiques, financières et techniques et exerce, par ses institutions politiques, les compétences qui lui sont dévolues par la constitution. Les articles 202-204 de la constitution font ressortir 36 compétences exclusives au pouvoir central (article 202), 25 compétences concurrentes entre le pouvoir central et les provinces (article 203) et 29 compétences exclusives aux provinces (article 204).
Pour exercer leurs compétences, les provinces ont besoin de ressources. Les différentes lois explicitent le contenu de la fiscalité et des ressources que le gouvernement central cède aux provinces et aux ETD. La loi n°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques (LOFIP), quant à elle, consacre le principe de l’autonomie fiscale des provinces. Les articles 145, 148 et 149 posent le principe de l’autonomie des ressources et l’existence d’une fiscalité autonome en faveur des provinces et des ETD.
Pour rappel, la province du Haut-Katanga est issue du démembrement de l’ex- province du Katanga. Étant donné que Lubumbashi, son chef lieu, était aussi le chef-lieu de l’ancien Katanga, la nouvelle province est dans la catégorie de province-mère. Cette position lui offre des avantages que le gouverneur Pande considère comme « points forts » et des inconvénients comme « points faibles ». Parmi les « points forts », un personnel ayant bénéficié une formation de base. En effet, dit-il, le personnel qui travaille dans la régie provinciale de collecte des taxes et impôts de la du Haut-Katanga (DRHKAT), a bénéficié des formations financées par la Banque mondiale avant sa prise de fonction et constitue actuellement l’épine dorsale de la Fonction publique du Haut-Katanga. Et la Banque mondiale a doté la DRHKAT en matériel informatique et en mobiliers.
Autres atouts : grâce à l’appui de la Banque mondiale, le Haut-Katanga dispose de deux « centres d’excellence » ayant pour mission le renforcement des capacités du personnel en améliorant leurs connaissances en techniques de gestion, informatique et fiscalité ; ainsi que la proximité avec les directions provinciales des régies financières nationales (DGI, DGRAD et DGDA). Cette proximité facilite un transfert de compétences et un échange des données. Le Haut-Katanga tire aussi quelques avantages du fait de sa position géographique en tant que siège de certaines sociétés minières. En outre, elle est la porte d’entrée et de sortie des biens et des personnes pour le Maniema et toutes les nouvelles provinces issues du démembrement du Katanga et du Kasaï.
Les goulets d’étranglement
Les faiblesses de la province sont, entre autres, son niveau d’informatisation qui reste encore très limité. En effet, la régie de collecte des recettes ne dispose pas d’un logiciel intégrateur pouvant prendre en compte toutes les étapes de la chaîne de recettes et produire des états de gestion en temps réel. Le recensement des contribuables pour constituer un répertoire unique des contribuables n’est pas encore finalisé. Selon Célestin Pande, le recensement des contribuables est le meilleur moyen de se doter d’une base des données fiables pouvant faciliter les prévisions, le recouvrement ainsi que le contrôle. Le manque de bureaux est un handicap pour le recouvrement des impôts et taxes. Pour atteindre toutes les couches de la population, la DRHKAT devrait logiquement disposer des bureaux dans toutes les communes et tous les territoires mais cela nécessite des moyens.
Par ailleurs, il y a carence des huissiers fiscaux et d’OPJ assermentés. Pour régler les contentieux fiscaux et faire des exploits, les agents de la DRHKAT ont besoin d’être assermentés. Quelques agents de la DRHKAT ont suivi une formation et prêté serment mais la fin de ce processus d’assermentation dépend du ministère de la Justice du gouvernement central. L’inexistence d’un manuel des procédures de collecte des impôts ne facilite pas l’informatisation des données. À cela s’ajoute le retard dans la prise de certaines lois sectorielles qui définissent clairement et organisent l’assiette imposable est à la base de la non activation ou de l’activation partielle de certains actes générateurs de recettes.
Autres faiblesses : le risque de double taxation et de tracasserie. En effet, les entreprises profitent de la nouvelle réorganisation administrative pour dissimiler certaines informations en prétextant qu’elles ont déclaré dans les autres provinces. Par ailleurs, il y a aussi une tendance de la part des nouvelles provinces de ne pas reconnaître les taxations faites à l’endroit des entreprises dans les autres provinces sœurs. Le retard pris pour l’organisation des élections des organes de base devant bien asseoir la décentralisation a aussi un impact sur l’impulsion de la gouvernance locale. Par ailleurs, le manque de culture fiscale ou l’incivisme fiscal ne permet pas à la DRHKAT de mobiliser les recettes correctement. Enfin, la DRHKAT éprouve des difficultés pour recouvrer certains impôts suite à l’interprétation erronée de certaines dispositions ambigües. C’est par exemple le cas de l’impôt sur le revenu locatif qui est difficile à recouvrer auprès des sociétés dites immobilières.
Coopération entre provinces
Pour une meilleure mise en œuvre de leurs structures de collecte des recettes, plusieurs actions doivent être entreprises à savoir finaliser le recensement de tous les contribuables, élaborer un manuel des procédures de la chaîne de recettes, informatiser la chaîne de recettes, mettre en place un système de formation continue, construire des quartiers fiscaux dans tous les territoires et communes, prendre un édit fixant la répartition des recettes revenant aux ETD, faire une interface entre la base des données des affaires foncières numérisée et celle de la DRHKAT, et promouvoir la coopération entre provinces.
Le fondement juridique de coopération entre les provinces est basé sur l’article 199 de la constitution qui stipule que deux ou plusieurs provinces peuvent, d’un commun accord, créer un cadre d’harmonisation et de coordination de leurs politiques respectives et gérer en commun certains services dont les attributions portent sur les matières relevant de leurs compétences. La coopération entre les provinces peut porter sur l’échange des bases des données,…
…dans la mesure du possible, une concertation préalable avant la prise des arrêtés et mesures régissant les assujettis localisés dans les différentes provinces ; sur la mise en place d’un guichet unique pour certains impôts et taxes ; sur la concertation pour la détermination des quotes-parts de chaque province pour certains impôts et taxes.
En dépit de ces faiblesses, les efforts sont déployés au Haut-Katanga pour la mobilisation des recettes propres. Bien qu’insuffisantes par rapport aux besoins de la province, les recettes mobilisées dépassent le niveau de rétrocession des recettes à caractère national réellement reçues par la province. À fin juin 2017, la rétrocession des recettes à caractère national réellement reçues par la province se chiffre à 2 463 897 697 francs contre une prévision semestrielle de 60 232 648 286 francs, ce qui représente près de 4%. Cette réalisation représente 3 % du total des recettes. Quant à la rétrocession du Fonds d’entretien routier (FONER), 0 %.
Selon le gouverneur du Haut-Katanga, la faiblesse de la rétrocession hypothèque tous les efforts déployés par la province en vue de la relance des investissements. Le Haut-Katanga parvient à survivre essentiellement grâce à la taxe d’incitation à la transformation locale des concentrés des minerais et la taxe spéciale conventionnelle pour la reconstruction. Ces deux taxes représentent à elles seules près de 79 % du total des recettes réalisées par le Haut-Katanga.
C’est encore principalement grâce à ces deux taxes que quelques efforts de reconstruction sont soutenus.
Supprimer ces deux taxes, comme le revendiquent des miniers dans le cadre de la révision du code minier signifierait signer un arrêt de mort pour la province du Haut-Katanga. Cette pourvoyeuse de recettes issues de mines de cuivre serait alors reléguée à la catégorie des provinces les moins nanties de la RDC parce que restant uniquement avec des trous. Étant donné que la loi relative aux finances publiques (article 221) reconnaît qu’une allocation de 10 % de la part revenant aux provinces est attribuée à la province productrice du pétrole à titre compensatoire pour réparer notamment les dommages d’environnement résultant de l’extraction, le gouverneur Célestin Pande pense qu’il est tout à fait normal que les provinces productrices de métaux non ferreux dont le cuivre puissent aussi bénéficier d’une allocation compensatoire pour réparer ces dommages.