LA PLUS petite des communes de Kinshasa entre dans sa quatrième semaine de confinement et la deuxième de « déconfinement progressif », ce lundi 27 avril. Mais le laisser-passer dérogatoire de déplacement est toujours requis pour entrer dans le centre-ville, où sont concentrés les administrations et les affaires, depuis le lundi 6 avril. Pour combien de temps cela va durer encore, s’impatientent les Kinois. La police, à qui Gentiny Ngobila Mbaka, le gouverneur de la ville de Kinshasa, a confié la mission délicate de faire respecter les mesures sanitaires et de confinement, s’illustre par des excès qui risquent de provoquer l’ire populaire. Pour nombre de Kinois, l’exécutif urbain se doit de présenter le plan général de sa politique de lutte contre la propagation du coronavirus aux élus locaux.
Entre la relance de l’économie, la réouverture des commerces, marchés et autres services, le retour au travail, la reprise des cours dans les écoles, et l’approvisionnement en masques et gel hydroalcoolique, les dossiers chauds ne manquent pas. En tout cas, le plan doit être détaillé, exigent des Kinois. Pour qui, le déconfinement de Gombe « est bâti sur rien ». « On ne sait même pas quand il va prendre fin. Il ne faut pas que cela aille jusqu’à la fin de l’état d’urgence », fustigent-ils.
Chute des activités
Depuis le 6 avril, les Kinois résidant dans Gombe ou ceux qui y travaillent sont contraints de rester chez eux. Conséquence : de nombreux services, commerces et le marché Central sont à l’arrêt. D’autres ont eu l’ingénieuse idée d’anticipation en délocalisant tout ou partie de leurs activités, du fait de confinement décrété par l’exécutif urbain pour lutter contre la propagation du coronavirus dans la capitale, estampillée comme le foyer de l’épidémie dans le pays.
Cette situation a logiquement paralysé le centre des affaires qui ressemble à une ville assiégée du fait de la très forte présence militaire et policière dans les rues. Pourtant le Tout-Kin est trop dépendant du centre-ville. C’est ici que les gens viennent travailler, « se débrouiller » pour leur survie, et demander l’obole auprès des proches, amis et connaissances. Chaque matin, les Kinois quittent en masse les cités dortoirs pour le centre-ville à la quête du pain quotidien. Et le soir tombé, ils désertent la « ville » comme on dit dans la capitale, conscients qu’à chaque jour suffit sa peine. « À Kinshasa, la précarité alimentaire est bien une réalité d’évidence. Confiner les gens ou leur interdire de se rendre en ville, c’est les vouer à un suicide collectif », déclare un jeune de 34 ans, vendeur ambulant dans le centre-ville.
Il est encore trop tôt pour mesurer l’ampleur de la chute des activités économiques, formelles et/ou informelles dans Gombe. Si les résidents racontent vivre durement le confinement dans leur chair, pour ceux qui vivent en dehors mais qui y viennent pour travailler, le confinement est par contre ressenti comme une vraie galère. « L’état d’urgence a été très bon jusqu’au 6 avril. Puis est arrivé le moment du confinement, et à partir de là évidemment l’activité a baissé de manière extrêmement importante. Et comme le confinement n’a été instauré qu’au début de ce mois et est prévu jusqu’à on ne sait quand, la chute va probablement s’accentuer », ainsi résume la situation une femme d’affaires ayant une chaîne de magasins pour meubles, vêtements et autres objets de valeur dans la capitale, principalement dans le centre-ville.
Le coronavirus a donc fait ce qui semblait impossible depuis plusieurs années : bloquer le système D (ou l’Article 15 à la congolaise) qui assure la survie de la majorité des Kinois. Étendre le confinement à toute la ville de Kinshasa serait, de l’avis de beaucoup de Kinois, une sorte de suicide collectif, étant donné que dans la capitale, on vit le jour le jour. « Le confinement de Gombe a porté un coup fatal à l’entraide dont vivent des ménages à Kinshasa. Rendre visite au bureau à un proche parent, à un ami haut placé ou à une autorité est souvent synonyme d’un petit rien pour le retour », explique un Kinois.
Nombreuses inconnues
Pris dans son ensemble, le marché de consommation a encaissé un sacré coup. C’est à Gombe que les grossistes et les vendeurs au détail viennent historiquement nombreux pour passer les commandes et faire les achats. C’est également à Gombe que les ménages, en moyenne, viennent faire des courses, surtout au marché Central. Le coronavirus a-t-il vraiment changé la donne ou n’aura-t-il interrompu qu’un moment l’essor du marché ? « On est face à une crise totalement inédite à la fois par son ampleur mais également par le type de crise. Apparemment, elle a décidé d’arrêter l’économie », tente d’expliquer un gérant de magasin de fournitures de bureau.
L’impact du confinement de Gombe sur le commerce, c’est bien sûr moins de transactions. Mais les effets restent quand même limités, car en dehors du centre-ville la vie économique est moins perturbée. Pour le moment, les prix des biens et services n’ont que très faiblement augmenté en avril, comparé au mois de mars quand l’état d’urgence sanitaire a été décrété. « À ce stade, il faut s’attendre à une anticipation de la hausse pour la sortie de crise, mais celle-ci dépendra notamment de la longueur du confinement de Gombe qui déterminera la durée où le marché est resté à l’arrêt », confie un commerçant. « Mais il convient d’être extrêmement prudent, car l’évolution dépend d’une équation dont nous ne maîtrisons pas les nombreuses inconnues », ajoute-t-il. Les prix des produits de première nécessité n’ont pas augmenté, après leur folle envolée à l’annonce du confinement général de la capitale au mois de mars. Heureusement, la mesure a été immédiatement retirée car l’envolée des prix s’est ajoutée à la psychose dans la ville. Et pourtant les courses se font de plus en plus cher… Malgré les déclarations rassurantes des importateurs sous le contrôle de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) et des commerçants de la grande distribution face aux craintes de pénurie, les Kinois se ruent sur certains produits, provoquant parfois des ruptures de stock dans les enseignes. Cela a pour effet de faire grimper le prix du panier de courses.
Si les produits d’épicerie n’ont pas subi d’inflation majeure avec le confinement, cela ne semble pas être le cas pour les produits frais et alimentaires d’imporation. Le prix des surgelés, fruits et légumes a grimpé depuis le début du confinement. Cette hausse varie selon les produits. Cette flambée a un réel impact sur le budget des ménages, au quotidien, surtout quand on sait que les vivres frais et légumes représentent environ un quart du panier des produits de première nécessité.
Plusieurs facteurs expliquent cette envolée. Tout d’abord, cette hausse des prix est en effet liée à la difficulté à importer des produits du fait de la fermeture des frontières, dans ce contexte de crise du Covid-19. Les enseignes alimentaires et les commerçants qui s’approvisionnent à partir du poste frontalier de Lufu en face de l’Angola sont ainsi contraints de vendre cher le peu de stock qui leur reste. Les commerçants rappellent également que les frais de transport ont flambé, liés notamment à la mise en place de mesures sanitaires.
Si ces hausses peuvent paraître conséquentes sur un mois, elles restent à relativiser sur une plus longue période. Le Centre de recherches alternatives Alter s’intéresse en effet à l’évolution du prix de plus de 100 produits, comme les pâtes, le riz, les conserves, la farine, etc. depuis le 19 mars. Pour rappel, les prix s’envolent aussi parfois mais pour d’autres raisons, comme les coûts d’approvisionnement, de transports, mais aussi les tracasseries policières à l’entrée de Kinshasa.