Malgré les difficultés financières qu’éprouvent de nombreux ménages à Kinshasa, les femmes ne lésinent pas sur les moyens pour s’embellir grâce à des mèches et des plantes qui remplacent leurs cheveux crépus naturels.
Jadis, elles n’avaient pas besoin de beaucoup dépenser pour la coiffure. Il suffisait simplement d’acheter du fil noir et de confier sa tête à une experte. Il n’y avait presque pas de main-d’œuvre, tout se passant sur le plan relationnel. Le travail était beau. Aujourd’hui, c’est devenu une affaire de sous. Mieux, un business très juteux pour les tresseuses, les vendeurs de mèches et autres cheveux artificiels. Les femmes se battent pour ce genre de coiffure qui relègue au second plan les coiffures traditionnelles ou les bannit. Elles sont prêtes à tout pour avoir sur leurs têtes ces cheveux synthétiques ou coupées sur d’autres femmes dans des pays lointains et aux dénominations aussi sexy que Sabrina, Super Braid, New Golden, Samantha, Lolo… Pour elles, c’est l’entrée dans la « modernité ».
Les fournisseurs se multiplient
Tout le monde ou presque a recours à cette chevelure. C’est pourquoi moi aussi je me vois dans l’obligation de suivre la mode, de peur d’être la proie de moqueries
Une jeune fille
Les mèches utilisées à Kinshasa ont plusieurs origines. Au début, elles étaient importées du Brésil, d’Inde, du Nigeria… La boulimie des Congolaises pour ces cheveux synthétiques ou naturels a poussé des commerçants libanais, chinois, coréens et indo-pakistanais à ouvrir des usines de fabrication de mèches synthétiques, semi-naturelles et même naturelles. Certaines sont implantées à la Gombe et au quartier industriel de Limete. Les fabricants vendent les mèches sur place, à partir de dix paquets, au prix de gros, ce qui implique une réduction de plus ou moins 1000 francs par paquet de mèches acheté. Pour se rapprocher des clients, plusieurs de leurs revendeurs sont installés dans la commune de Kinshasa, dans le périmètre du marché central. Mais ces usines ne constituent pas une menace pour les produits importés car leurs mèches sont de mauvaise qualité. Joyce, la vingtaine, affirme que les mèches fabriquées par les Chinois et les Libanais s’abîment facilement et durcissent sur la tête peu après leur utilisation. D’où sa préférence pour pour les mèches importées.
Profession : poseuse de mèches
L’intérêt des Congolaises pour ces produits a donné naissance à un nouveau métier : tresseuse ou poseuse de mèches. On les voit dans des magasins où elles ont un contrat verbal qui les oblige à verser journellement 1000 francs, quelles que soient les recettes réalisées, au ou à la propriétaire, plus de 500 francs pour assurer la propreté des lieux et 500 autres francs pour le ou la propriétaire du magasin. Autre clause du contrat : ne jamais utiliser les mèches achetées dans une maison concurrente sous peine de se faire virer. Les clientes affluent vers ces boutiques pour ne pas avoir à payer trop cher des prestations dans des salons de beauté. « Quand je suis forte, il m’arrive de tresser cinq têtes par jour pour les petites tresses », indique Liliane, tresseuse dans un magasin au grand marché de Kinshasa.
Gina Motema, esthéticienne et propriétaire d’un salon de coiffure à Kintambo, n’a pas de grille tarifaire préétablie. « Je fais payer à la tête de la cliente. Je sais distinguer celles qui peuvent donner sans hésitation quand j’augmente les prix et les autres. De toute façon, ma main-d’œuvre varie entre 15 et 50 dollars », indique-t-elle. Elle explique ce grand écart entre les salons de coiffure et les magasins par le fait qu’elle « paie un loyer très cher et les tresses, de très haute qualité, durent longtemps par rapport à celles faites, à la va-vite, par les tresseuses du grand marché, par exemple. »
Des dépenses planifiées
Les femmes les plus averties programment d’avance un budget pour les tresses afin de ne pas être prises au dépourvu. Tout part de l’achat des mèches dont les points de vente et les salons de coiffure sont disséminés à travers Kinshasa. Les prix de ces produits sont presque identiques partout. Les dépenses à effectuer pour les tresses varient d’une femme à l’autre et selon le modèle demandé, la qualité et la quantité des mèches à utiliser. A ces dépenses viennent se greffer les frais pour la tresseuse. Les mèches de très mauvaise qualité coûtent 850 francs le paquet, tandis que les plus chères se vendent autour de 10 000 francs, soit plus de 10 dollars. Le nombre de paquets à utiliser sur une tête dépend des modèles, qui sont nombreux notamment les « cordelettes », « étoiles », les « gros bébés ». Maguy, qui se fait coiffer au grand marché, dit utiliser pour ses petites tresses dix paquets de mèches qui lui coûtent 1400 francs, en plus de la main-d’œuvre. Sandra, étudiante à l’Université protestante au Congo, estime qu’elle dépense au moins 15 dollars toutes les deux semaines pour se faire planter des cheveux lisses.
La durée des tresses sur une tête varie entre trois semaines et six mois. Celles à base de mèches synthétiques s’abîment vite, au bout de trois semaines seulement, alors que les naturelles durent longtemps. Selon Gina Motema, pour que les mèches aient « une longue vie », elles doivent être très bien entretenues, ce qui engendre d’autres dépenses. Elle avance la somme de 150 dollars à débourser rien que pour l’entretien des plantes avec des produits qui coûtent cher comme le shampoing. Selon cette esthéticienne, les plantes ou mèches non entretenues peuvent causer des pellicules et sentir mauvais, ce qui est désagréable pour une femme.
Aliénation
Fini l’époque où la Congolaise était fière de ses cheveux crépus qu’elle faisait tresser de mille façons. Vive les tresses qui donnent l’illusion d’être une Occidentale. Les nombreuses séries télévisées diffusées à longueur de journées par des chaînes locales ou étrangères et la détestation de soi y sont pour beaucoup. Les jeunes filles, y compris les femmes mûres, n’ont qu’un rêve : ressembler à la femme blanche en ayant sur la tête des « cheveux lisses. » Cette aliénation a gagné un grand nombre de pays en Afrique subsaharienne. Pire, les femmes occupant des fonctions politiques, dans le monde des affaires, de la culture, des arts, de l’enseignement ne se gênent pas. Dans les manifestations officielles, on les voit avec leurs mèches, postiches, tissages, perruques et autres cheveux artificiels alors qu’elles devraient prêcher par l’exemple en mettant en valeur la coiffure à l’africaine. Elles récupéreraient certainement beaucoup d’âmes pour le salut de la culture africaine menacée de disparition dans certains de ses aspects. Les Sud-Africaines, qu’elles soient députées, sénatrices, ministres ou autres mandataires publiques, font en général exception. Elles se sentent bien avec leurs cheveux crépus, naturels, bien entretenus. En RDC, l’exception qui confirme la règle s’appelle Marie-Ange Lukiana, ancienne ministre qui se contente de sa chevelure naturelle en l’entretenant comme il faut. Les élèves sont à moitié sur cette voie. Pendant la période scolaire, elles sont belles avec les cheveux naturels tressés à la mode africaine. Les écoles réputées sérieuses, à l’exception de nombreuses « boutiques scolaires » que compte Kinshasa, sont plus qu’intransigeantes : les cheveux naturels ou rien. Mais pendant les vacances qui tombent en pleine saison sèche, les élèves, comme des oiseaux échappés de leurs cages, ne se sentent plus obligées de garder le même style. Les postiches les attirent comme un aimant.
Plusieurs raisons poussent les Congolaises à préférer ces cheveux d’emprunt. Pour la plupart d’entre elles, avec les cheveux naturels, elles ne sont pas à la page et s’imaginent hors du temps. D’où la nécessité, pour elles, de recourir aux cheveux synthétiques ou ayant appartenu à des Brésiliennes ou des Indiennes. « Je ne peux quand même pas aller à l’université avec des cheveux sales, des tresses naturelles. Je paraîtrais très ridicule », se défend une étudiante de l’Université catholique. Pour Joyce Nyakura et Rachel Kadima, étudiantes en couture dans un centre de formation de Mont-Ngafula, « avec les mèches, les filles ne sont pas obligées de laver chaque jour leurs cheveux. » Une autre raison avancée : la protection des cheveux contre le vent qui les couperait, surtout pendant la saison sèche. Pendant cette période, presque toutes les femmes cachent leurs cheveux naturels. D’autres encore soutiennent que « les mèches, en protégeant les cheveux, les font en même temps pousser. » Pour une autre catégorie de femmes, c’est une question de prestige. « Tout le monde ou presque a recours à cette chevelure. C’est pourquoi moi aussi je me vois dans l’obligation de suivre la mode, de le faire de peur d’être la proie de moqueries», se justifie une jeune fille. Selon une étudiante de l’Université protestante au Congo, « c’est pour varier ou changer de look que je le fais. Je n’aime pas garder le même look pendant des mois. Les mèches embellissent ma tête et attirent les regards des hommes et même des femmes. Mais avec les tresses naturelles, les gens vous observent avec un regard plutôt moqueur comme pour dire que vous n’êtes pas à la mode. Si vous me voyez avec des tresses naturelles c’est que je suis fauchée. Je suis encore jeune, il n’y a pas de raison que je m’en prive. Au Parlement et au gouvernement, des femmes ne font pas autre chose. Pourquoi voulez-vous que je m’en passe ? »