Dérive foncière : on a touché à un symbole du tourisme en RDC

Qui tire les ficelles dans l’affaire de l’hôtel Karibu au bord du lac Kivu ? Qui a donné l’ordre de s’en prendre à ce patrimoine chargé d’histoire passionnante, appartenant à une société dont l’État est actionnaire ? Victor Ngezayo dit avoir encore foi en l’État de droit.

SELON toute vraisemblance, des hommes politiques seraient derrière l’affaire de spoliation du site de l’hôtel Karibu in tempore suspecto (le contexte électoral de 2016-2018 favorable à toutes sortes d’abus et d’excès du pouvoir). Ce qui se passe actuellement à Goma n’est pas donc de nature à améliorer l’image que cette ville donne d’elle depuis quelques années sur le plan international, et, par ricochet, celle de la République démocratique du Congo dans le classement de Doing Business de la Banque mondiale.

Lorsque les images de « spoliation et de destruction méchante » de l’hôtel Karibu ont circulé, des gens ont été choqués. « On ne s’attaque pas aux symboles ! Surtout, si ceux-ci font la fierté des institutions, d’une ville, et par-dessus tout, d’un État. Il n’y a pas que la famille Ngezayo qui est touchée dans son âme, mais aussi des gens à Goma, Kinshasa, dans le pays, voire à l’étranger », a déclaré à chaud un expatrié belge établi en RDC depuis 1962. 

Karibu, bienvenue !

Qui n’a pas entendu parler de cet hôtel, propriété des Ngezayo, une famille des hommes d’affaires originaires de la province du Nord-Kivu ? La spoliation de l’hôtel Karibu dépasse tout entendement. Karibu, bienvenue en langue swahili, est un bel ensemble hôtelier construit à l’extrémité ouest de Goma au bord du lac Kivu. C’est un vaste parc avec piscine et courts de tennis, qui, jadis, organisait la visite aux gorilles au Parc des Virunga et d’autres programmes touristiques sur demande. 

Dans les années 1970-1980, cet hôtel était la plaque tournante du tourisme congolais, selon des tours operators. Il servait de modèle au reste du continent africain. « Le Karibu reste l’un des plus charmants sites hôteliers de la ville de Goma même si ça demande à être remis aux normes », se rappelle un habitant de Goma. 

Albert Ngezayo Prigogine, surnommé « l’homme au large chapeau de cow boy », le frère de Victor, avait consacré sa vie à la défense de l’environnement et en particulier du parc de la Virunga. Patriarche d’une famille installée au Kivu depuis longtemps, il était aussi un grand propriétaire de la place. On rapporte que sa fortune, ses biens immobiliers suscitaient jalousie et convoitise.

Les Ngezayo étaient propriétaires de l’hôtel des Masques au centre de Goma. 

La vaste concession de plus de 13 ha au bord du lac Kivu avait déjà fait l’objet d’un procès que les Ngezayo avaient finalement remporté. La concession était convoitée par des promoteurs immobiliers qui souhaitaient y construire hôtels et par des particuliers pour y ériger des résidences de luxe. D’ailleurs, Albert Ngezayo, parfois surnommé « le Sherif », qui assurait ne pas faire de politique, rien que pour sa passion de la défense de la nature, a été victime de « l’affairisme dans le Nord-Kivu, où rivalisent de véritables bandes mafieuses, désireuses de contrôler les ressources minières et de s’approprier les riches terres volcaniques ».

Le prix du mètre carré ne cesse de grimper à Goma. Tenez, les parcelles qui étaient vendues à 1000 dollars, il y a plus de 10 ans, coûtent actuellement plus de 50 000 dollars. Naturellement, pour avoir une parcelle ou une résidence au bord du lac Kivu, il faut avoir une poche longue. Malheureusement,  l’aménagement du chef-lieu du Nord-Kivu, comme d’ailleurs à Kinshasa, la capitale, ne se passe pas, toujours, dans la limite du droit. 

L’affaire de l’hôtel Karibu chargé de symboles suscite des interrogations, notamment sur les « excès » et le non-respect des normes et des décisions de justice. Des observateurs notent que les vieilles rivalités foncières ont resurgi à Goma. L’enjeu foncier est transformé en une violence économique qui ravage la province du Nord-Kivu. Cette violence symbolise les rivalités entre les anciennes élites, d’origine belge ou tutsies, et les nouveaux riches qui se recrutent majoritairement dans la tribu nande. Il ne faut pas un dessin pour comprendre que les Nande étendent leur empire commercial de Goma jusqu’à Kinshasa, en passant par Kisangani.

Quand cette affaire a rebondi en septembre 2018, Business et Finances a sollicité et obtenu un rendez-vous avec Victor Ngezayo. D’habitude homme discret, se tenant volontairement à l’écart de la politique pour se consacrer uniquement à ses affaires, Victor Ngezayo a accepté de nous rencontrer pour en parler. L’entretien a eu lieu sur l’une des terrasses dominant le majestueux fleuve Congo de l’hôtel Kempiski, l’un des plus huppés de Kinshasa. 

Self made man

Le PDG de TOURHOTELS SA paraissait plus accessible, contrairement à ce qu’on nous avait dit de lui. Sa chemise à petits carreaux, sa chevelure et sa fine moustache poivre-sel, sa paire de mini boots achevaient de lui donner l’air d’un citoyen comme les autres, un peu comme aiment bien paraître les grands patrons aux États-Unis. Simple, normal ! Surprise enfin : cet homme assis sur des millions de dollars d’investissements dans l’agriculture, l’agropastorale et l’industrie hôtelière depuis une quarantaine d’années sait se confier. Il nous a parlé comme un père raconte à ses enfants son parcours du combattant.

Dès le début de notre entretien, donc, Victor Ngezayo était dans toute la splendeur de son rang, du nom de la famille qu’il porte et de sa réputation d’homme d’affaires respectueux des lois et règlements du pays. Pédagogue, proche et solidement planté dans le fauteuil, il a débuté son propos par nous rappeler qu’il est le dernier survivant de la race des self-made men des années 1970, qu’on pouvait compter sur les doigts de la main et qui ont fait la fierté de l’économie nationale. 

Il cite quelques noms emblématiques : Jeannot Bemba, Augustin Dokolo Sanu, Augustin Kisombe Kiaku Muisi… Un détail qui n’est pas anodin à ses yeux. Une façon de nous dire que ces hommes qui ont sacrifié les plus belles années de leur vie à créer de la richesse et donner du travail à des milliers de compatriotes, méritent, comme il se doit, la reconnaissance et des égards de la part de l’État.  Le Zaïre de Mobutu pouvait s’enorgueillir de ses self-made men, qui ne devaient leur réussite sociale qu’à eux-mêmes. 

« De cette génération dorée, il ne reste plus que moi. J’ai beaucoup fait dans ce pays et pour ce pays. C’est moi qui ai développé l’économie de Beni, notamment grâce au café. J’ai suscité et révélé beaucoup d’hommes d’affaires qui se reconnaissent en moi dans cette partie du pays… Bref, je suis la locomotive dans le Grand Nord où j’ai investi dans l’agriculture, l’agropastorale, l’hôtellerie et dans bien d’autres secteurs », nous confia-t-il. 

Ultime combat

Depuis vingt ans, Victor Ngezayo, issu d’une famille pour laquelle l’hôtellerie et le tourisme sont une passion vraie, se bat pour récupérer « ses » biens, notamment immobiliers, qui ont été saisis ou occupés par l’État (en premier, hôtel Okapi à Kinshasa, Park Hôtel à Lubumbashi), nous déclare-t-il. Victor Ngezayo créa en 1972 TOURHOTELS, une chaîne hôtelière d’ampleur nationale, avec des partenaires étrangers et zaïrois. Ce fut le déclic. Les épisodes des pillages et de guerre sont loin de le détourner de sa vocation d’homme d’affaires. Combattu mais jamais abattu, Victor Ngezayo réaffirme, la main sur le cœur que son métier c’est les affaires.  

Il affirme que la RDC est un État de droit : « Nul n’est au-dessus de la loi et, par conséquent, tous les acteurs de ces faits infractionnels subiront tôt ou tard la rigueur de la loi. TOURHOTELS garde sa pleine confiance dans la justice congolaise qui ne manquera pas de la rétablir dans ses droits. »