Des biens immobiliers de l’État congolais saisis en France

L’ambassade de la République démocratique du Congo à Paris doit une trentaine de milliers d’euros à un avocat français. Les instances judiciaires ont décidé de mettre en vente deux appartements  appartenant à l’armée. 

L’affaire remonte à 2009. Cette année-là, un différend sur le montant des honoraires oppose Maître Michel Langa, avocat français du barreau de Paris, à sa cliente, l’ambassade de la République démocratique du Congo en France. Les deux parties finissent par trouver un compromis au terme duquel la représentation diplomatique congolaise signe, le 20 février 2009, une reconnaissance de dette. L’ambassade reconnaît devoir à l’avocat une somme de 21 025, 46 euros hors-taxes à payer en plusieurs mensualités à raison de 1000 euros chaque mois. Pendant des mois, Me Langa encaisse 12 500 euros. Il reste alors à payer 8 525, 46 euros, d’où sont déduits 366, 32 euros. La créance est ainsi ramenée à 8 159, 14 euros. Cela n’empêche pas l’avocat-conseil, qui s’est occupé des intérêts de l’ambassade pendant seize ans – il a notamment défendu le chanteur ShunguWembadio qui était poursuivi en France pour organisation d’une filière d’immigration clandestine – d’être à nouveau sollicité par l’ambassadeur. Onze nouveaux dossiers lui sont ainsi confiés.

En juillet 2010, Michel Langa propose l’établissement d’une convention d’honoraires qui prévoit un paiement échelonné de la somme due sur une période de vingt-trois mois, sur une base de 1 500 euros par mois. Mais la mission diplomatique congolaise fait la sourde oreille. Entretemps, le montant des affaires suivies – onze au total – ne cesse de gonfler pour atteindre un total de 32 479, 56 euros. À cette somme s’ajoute le solde de 8 159, 14 euros restant dû. Au total : 40 638, 70 euros.

C’est en 2011 que les relations entre les deux parties se détériorent. Le 21 juin de cette année-là, l’avocat, qui n’arrive pas à se faire payer, est contraint de saisir le  bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Paris. Dans sa décision prise le 24 janvier 2012, le bâtonnier indique qu’ « à l’audience du 15 septembre 2011, la République démocratique du Congo ne s’est pas fait représenter et elle n’a adressé aucune obser vation écrite ; cependant, elle s’est rapprochée de Maître Langa (…) ». Ce « rapprochement » s’était traduit par le virement, le 10 novembre 2011, d’une somme de 15 000 euros sur le compte de Michel Langa. Il restait donc un solde d’honoraires de 25 638, 70 euros. En même temps l’avocat renonce à sa demande de fixation d’honoraires, l’ambassade lui ayant  demandé de continuer à défendre ses intérêts. Dans sa décision, le bâtonnier condamne la République démocratique du Congo à « verser à Maître Langa la somme de 25 638, 70 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2011 date de la saisine du Bâtonnier,  ainsi que les frais d’Huissier de Justice ».  La République démocratique du Congo, qui a été notifiée, n’a jamais fait appel de la décision. Et rien n’a jamais plus été payé à l’avocat.

Dans une lettre datée du 8 février 2013 et adressée à Raymond Tshibanda, ministre des Affaires étrangères, avec copie aux plus hautes autorités du pays, Michel Langa écrit : « Depuis la présentation des lettres de créances de Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur Christian ILEKA, ce dernier m’a confirmé par courrier du 27 janvier 2012 qu’il était d’accord pour l’apurement rapide du solde de mes frais et honoraires. Je lui ai transmis le relevé bancaire du Cabinet en date du 30 janvier 2012. N’ayant pas de nouvelles du paiement annoncé par Monsieur l’Ambassadeur depuis le 27 janvier 2012 et surtout de la démarche entreprise par ce dernier auprès de sa centrale, j’ai été contraint d’aller à Kinshasa  au mois de février 2013 pour exhumer mon dossier. »

Mais à Kinshasa l’avocat constate à son « grand étonnement » qu’aucun dossier comportant  ses réclamations n’avait été  ouvert  au ministère des Affaires  étrangères.  Il signale en substance que l’ambassadeur de la RDC lui avait entre-temps confié deux affaires pour lesquelles ses notes d’honoraires sont restées impayées, portant la créance, au 25 juillet 2012, à 31 329, 56 euros. En février 2013, le ministère des Affaires étrangères avait envoyé une note à l’ambassadeur Ileka pour qu’un règlement soit trouvé. Rien à faire : aucune suite n’y est donnée. Le 7 août 2013, Maître Langa reçoit une lettre du directeur de cabinet du Premier ministre, qui lui dit qu’il reste  persuadé que l’autorité ayant reçu sa lettre, c’est-à-dire la ministre de la Justice et des Droits humains, « y réservera une suite appropriée ». Mais, une fois de plus, rien ne se concrétise.

Las d’attendre un règlement qui n’arrive toujours pas, Maître Michel Langa décide de confier la défense de ses intérêts à son confrère Denis Talon, lui aussi avocat au  barreau de Paris. Sans tarder, celui-ci inscrit une hypothèque judiciaire sur un bien situé à Antony, chef-lieu d’arrondissement des Hauts-de-Seine, dans la Région parisienne, et appartenant à titre privé à l’État congolais. L’inscription a été publiée le 2 septembre 2013.

Le 31 janvier 2014, l’avocat adresse une troisième lettre au ministre des Affaires étrangères, avec copie au chef de l’État et au Premier ministre. Il écrit : « À ce jour, je n’ai aucune suite réservée à ma réclamation, ni paiement. L’État congolais me doit toujours une somme de 31 329, 56 € outre les intérêts. Malgré mon sens patriotique, je vois que l’État congolais ne veut pas tenir ses engagements vis-à-vis de mon Cabinet, ce qui nuit à mon exercice professionnel. (…) C’est la raison pour laquelle je vous demande d’intervenir auprès de la République pour régler ma créance, faute de quoi je demanderais à mon avocat d’initier la procédure de saisie immobilière pour la vente du bien devenu indisponible. Sans suite, mon conseil va faire délivrer un commandement de saisie immobilière avec toutes les conséquences de droit, car mon alerte à l’autorité de la tutelle  pour régulariser cette situation n’a rien servi ».

Le 24 mai 2014, Maître Langa écrit au ministre français des Affaires étrangères et du Développement international pour lui demander « d’intervenir auprès de la République démocratique du Congo pour exécuter la décision de justice française ». Réponse du Quai d’Orsay, le 2 juin : « Je peux vous informer que l’attention de l’Ambassade de la République démocratique du Congo a été portée sur ce différend par note verbale en 2013. Elle l’est à nouveau aujourd’hui. Toutefois, je me dois de vous préciser que le ministère des Affaires étrangères et du Développement international ne peut se substituer à l’Ambassade ni lui donner d’injonctions. »

Les choses en sont là lorsque, le 22 janvier dernier, un huissier de justice parisien lance un commandement de payer valant saisie immobilière. L’huissier fait commandement « à la République démocratique du Congo, anciennement République du Zaïre, représentée par l’attaché militaire de l’Ambassade, dont le siège est à PARIS 8ème, 32 cours Albert 1er (…) de, et ce dans le délai de HUIT JOURS, payer à Monsieur  Langa : le montant en principal de la condamnation : 25 638, 70 euros ; intérêts aux taux légaux successifs du 21.06.11 au 20.12.14 : 3 770, 18 euros ; les intérêts aux taux légaux successifs postérieurs à compter du 21. 12.14 jusqu’à parfait paiement : mémoire ; les dépens et mise à exécution : mémoire ; total (sauf mémoire) : 29 408, 88 euros outre le coût de ce commandement, sans préjudice de tous autres dus, intérêts et frais, le tout en deniers ou quittances valables.  Déclarant à la République démocratique du Congo que, faute de paiement dans le délai fixé ci-dessus, la procédure à fin de vente des biens ci-après désignés se poursuivra et, à cet effet, il lui sera donné assignation  à comparaître devant le juge de l’exécution  du Tribunal de Grande Instance de Nanterre pour voir statuer sur la suite de la procédure. »

Après toutes ces considérations, Michel Langa envoie, le 30 mars, une procuration spéciale à son confrère KolongeleEberande, du barreau de Kinshasa. Sur un ton plutôt conciliant, il le charge « de porter à la connaissance de l’État congolais, ici identifié “ République démocratique du Congo”, l’état de la procédure que j’ai actuellement entamée en France contre elle pour le recouvrement forcé de ma créance d’honoraires d’un montant à ce jour estimé à 30 000 €  (trente mille euros), outre les frais de procédure et intérêts pour mémoire ; d’entreprendre tous contacts avec le débiteur « État congolais », pris en les personnes  de différentes autorités gouvernementales et administratives concernées de près ou de loin par le règlement de mes honoraires, discuter et négocier avec elles et, s’il échoit, conclure en mon nom et pour mon compte tout accord ou acte transactionnel susceptible d’aboutir au règlement amiable de ma créance d’honoraires susdite, et ainsi de rendre sans objet et d’arrêter la poursuite en France de la procédure de réalisation de l’hypothèque de l’appartement de l’État congolais actuellement en cours. » Langa charge également KolongeleEberande de percevoir ce que la RDC « s’engagerait à payer  à l’amiable (…) pour que, sur la base d’un tel règlement, il se « désiste des procédures de réalisation de hypothécaire en cours en France et fasse obtenir mainlevée de commandement de saisie immobilière et d’inscription judiciaire d’hypothèque ».

Pendant ce temps, à Kinshasa, le général de brigade Delphin Kayimbi K., sous-chef d’état-major du renseignement militaire, adresse une lettre au ministre de la Défense nationale, des anciens combattants et de la Réinsertion. Objet de la correspondance : « Constitution d’une commission d’enquête sur la saisie de la résidence Anthony/France (sic). Le général informe le ministre que la veuve du colonel IyongoyaLisomba, « ancien Attaché militaire, Naval et de l’Air auprès de l’Ambassade de la RDC en France fait savoir que le Tribunal de Grande Instance de  Nanterre vient d’opérer la saisie de la résidence d’Anthony (resic) sise 49, Rue de Chatenay 92160, qui est la propriété exclusive du Ministère de la Défense Nationale de la RDC pour y loger ses Attachés militaires et de Défense à Paris. » L’auteur de la lettre rappelle qu’ « en son temps, le Vice-Premier Ministre et Ministre de la Défense Nationale, Son Excellence Alexandre LUBA NTAMBO en avait alerté, mais sans suite, son collègue des Affaires Étrangères, comme le témoigne la note ci-émargée. » Le général Kahimbi précise ensuite que « cette saisie est consécutive au non-paiement, par le Gouvernement de la RDC, de différentes charges cumulées de syndic et des honoraires de Maître LANGA, avocat de la Mission Diplomatique de la RDC à Paris. » Il propose, enfin, « l’envoi urgent d’une commission d’enquête mixte composée des experts des Ministères de la Défense Nationale, des Affaires Étrangères et de l’État-Major du Renseignement pour clarifier ce dossier et récupérer ce patrimoine que le Ministère de la Défense Nationale risque de perdre définitivement ».

À Antony, la famille Iyongo, qui occupe les lieux, a déjà reçu la visite de deux huissiers de justice. Le premier est mandaté par l’ambassade en vue de son expulsion parce que, explique Martin Iyongo, fils de l’ancien attaché militaire, « mon père et ma mère étaient sans titre ni droit dans ce logement, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas reconnus par le Congo ». Le deuxième huissier est, pour sa part, chargé d’ordonner la vente de l’appartement.