Le visage de Samy Badibanga est de moins en moins souriant. La situation sociale que lui laisse Matata est trouble, selon un député UDPS/Tshisekedi, resté plutôt fidèle à son président du groupe parlementaire – contesté pourtant par le leadership du parti – devenu Premier ministre. Parmi les dossiers brûlants figure en bonne position celui d’un rendez-vous de longue date avec les représentants des fonctionnaires et des agents de l’État. Qui, on le sait, dans les années de la Transition version Conférence nationale souveraine – Haut Conseil de la République – Parlement de Transition (CNS – HCR-PT), du temps de Mobutu, faute de satisfaire à leur demande sociale, avaient improvisé un cercueil du Maréchal sur la fameuse Place Golgotha devant le Bâtiment blanc, siège de la Fonction publique. Aujourd’hui, c’est de l’histoire ancienne, pourrait-on ainsi dire, parce que les fonctionnaires et agents de l’État ont leurs salaires payés à la régulière grâce à la bancarisation. Mais les salaires à la Fonction publique sont restés cristallisés sous Matata Ponyo, alors que son prédécesseur avait entamé un processus de réajustement à la hausse. La conséquence est que le pouvoir d’achat s’effrite du jour au lendemain avec la hausse des prix des produits de base.
Le spectre de la cravate rouge
Les primes constituent un autre dossier qui fâche à la Fonction publique. Le Premier ministre sortant y aurait mis une ligne rouge à ne pas franchir. Elles ont fait l’objet d’un véritable pugilat épistolaire entre le Premier ministre Matata et son ministre des Finances, Henri Yav Mulang, qui ne voulait nullement rien entendre ni attendre « une autorisation préalable » de son chef pour les payer, singulièrement à la Direction générale des recettes administratives, domaniales et de participation (DGRAD). Depuis environ 5 ans, au ministère des Affaires étrangères, Matata ne faisait que promettre la régularisation de la prime de rétrocession. Il s’en va sans rien réaliser, laissant une grève sèche ayant notamment pour conséquence la non-délivrance des passeports. « Si la cravate rouge était symbole des coups de cravache jusqu’à rendre exsangue, nous l’avons subi… », confie ce cadre aux Affaires étrangères. Et de renchérir, « Espérons que Badibanga ne restera pas indifférent à nos doléances! ».
Des complaintes similaires, les agents des Lignes aériennes congolaises (LAC, ex- Air Zaïre), en ont rabâchées, indexant le Premier ministre de faire échouer toute tentative de reprise de leur entreprise, dont les actifs sont présentement vendus en pièces détachés. « Du sang a coulé…un cadré des LAC, obéré, s’est donné la mort dans son bureau », témoigne ce syndicaliste. Pis, pour la mouvance syndicale, le Premier ministre sortant s’est entouré de ses propres fonctionnaires avec une série tout autre des numéros matricules, les 88, vouant aux gémonies la foultitude des agents portant les matricules de la série 77. Le vice – Premier ministre du Budget, Michel Bongongo, – à qui le Premier ministre a attribué la note de 83 % pour sa gestion – a annoncé, à quelques jours de la démission du cabinet Matata, l’éligibilité progressive à la paie de près de 210 000 fonctionnaires. Pour 2017, le budget de l’État que laisse Matata se chiffre à quelque 4,5 milliards de dollars. Pourtant, l’enveloppe salariale sur toute l’étendue du territoire national se chiffre, à plus de 2 milliards de dollars depuis deux ans. Les dépenses du personnel ont, en effet, connu un accroissement de près de 15 % par rapport à 2014 où elles se sont chiffrées à 1 707,6 milliards de FC. Pour l’exercice 2015, selon la loi sur la reddition des comptes, la paie de la Fonction publique s’est établie à quelque 1 960,7 milliards de FC, soit plus de 2,100 milliards de dollars. Ce qui représente près de 26 % du budget général de l’État 2015, évalué à près de 7, 600 mille milliards de FC, soit 8 100 607 542,36 dollars au taux officiel de 936 FC/dollar repris dans la loi de finances n°14/027 pour l’exercice 2015. Si le salaire doit absorber plus de 50 % du budget 2017, version Matata, quid des besoins sociaux de base ? Quand on sait que les réserves de l’État sont en dessous de 1 milliard de dollars, juste 928 millions indiquait, courant octobre 2016, le ministre de l’Économie, Modeste Bahati Lukwebo. Autour de 800 millions de dollars, selon le député PPRD-MP, Henri- Thomas Lokondo. Quand Matata succédait à Adolphe Muzito, les caisses de la Banque centrale du Congo (BCC) comptaient plus de 1,5 milliard de dollars. Sur le terrain, les besoins sociaux de base sont demeurés inassouvis sinon qu’ils se posent davantage avec acuité.
L’accès à l’eau et à l’électricité, un casse-tête
L’accès à l’eau potable demeure un casse-tête, en commençant par la capitale, avec ses quelque 12 millions d’âmes. En 2014, la REGIDSO SA avait atteint une production record : quelque 300 millions de m3 pour une population estimée par le Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP) à 84 millions d’habitants. Ce n’était qu’une goutte d’eau dans un océan de soif. Le représentant de la Banque mondiale en RDC, Hamadou Moustapha déplorait le manque de volonté pour l’amélioration de la desserte en eau à travers la REGIDESO SA. Les financements apportés par les bailleurs de fonds (plus de 190 millions de dollars) ne suffisent pas. Il est nécessaire que l’État témoigne plus fortement de sa volonté et de son leadership à conduire les changements institutionnels et structurels nécessaires pour participer au développement du secteur par le paiement régulier des factures d’eau de l’administration.
La capacité nominale de production d’eau sur toute l’étendue de la RDC est de 36 680 400 m3/mois selon les statistiques fournies par la REDIDESO, début août 2015. Opérationnelle depuis 1939, la REGIDESO est implantée dans toutes les 26 provinces. La société transformée en société anonyme, quoique l’État y demeure actionnaire unique, compte 97 centres d’exploitation, dont 77 sont encore en service. Aussi, pendant la saison sèche, la production de la REGIDESO accuse une certaine décroissance et limite la production dans une moyenne annuelle de 25 114 000 m3/mois alors que la capacité fonctionnelle requise est de 30 674 160 m3. Ce qui représente un taux de desserte de 46 % en milieu urbain et 23 % en milieu rural, soit un taux de desserte global de 29 % contre 70 % dans les années 1990.
Quant à l’énergie électrique, le taux de desserte aurait augmenté de 9 % à 16 % sur toute l’étendue du territoire national. Le chapelet des projets lancés avec pompe (Zongo II, Kakobola, Katende, etc.) piétinent faute de financement. La RDC a perdu ces 5 dernières années de précieux points au classement Doing Business à cause de la question énergétique. Dans les grandes agglomérations du pays, Mbuji-Mayi (sous couvre-feu depuis septembre 2016), Kalemie, Matadi, Kinshasa, les poches noires ont fait le lit de la recrudescence de l’insécurité (phénomène Kuluna, Madodanga…) entretenue par des jeunes livrés à l’oisiveté, faute d’un efficient projet de prise en charge. Jamais, Matata ne s’est publiquement prononcé sur des questions sécuritaires liées à la jeunesse. Ou encore sur celle des emplois jeunes. Le chef de l’État l’a déploré, entre les lignes, dans son récent discours sur l’état de la Nation devant le Congrès, recommandant au prochain gouvernement de rectifier le tir. Que de patates chaudes léguées par Matata à Badibanga.