Des équilibres fragiles

La représentation de la Banque mondiale à Kinshasa vient de publier un rapport qui passe en revue les différents secteurs d’activités du pays. Le constat est que, malgré les résultats macroéconomiques satisfaisants obtenus par le gouvernement, il reste encore beaucoup à faire pour entrevoir le chemin du  développement, de la justice sociale et de la stabilité.

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L’essentiel du rapport du département de la gestion macroéconomique et budgétaire de la Banque mondiale se résume en trois points : la croissance économique, qui est tirée par le secteur minier, reste soutenue ; si les potentialités du secteur des ressources naturelles étaient bien mobilisées, elle permettraient de soutenir le niveau des réserves étrangères et de maintenir la constance macro-budgétaire ; une bonne mobilisation des ressources naturelles est une condition sine qua non pour que l’État congolais se dote de moyens matériels qui puissent à la fois garantit sa souveraineté, assurer le développement du pays et renforcer la cohésion politique et sociale.

L’antienne de la croissance soutenue   

C’est devenu presque un lieu commun. Depuis trois ou quatre ans, tout le monde, les dirigeants en tête, en parle sans cesse : le pays a réalisé des performances économiques appréciables. Il s’agit, concrètement, d’une croissance soutenue de 7,4 % l’an, en moyenne, entre 2010 et 2013. Cela a conduit à la croissance du Produit intérieur brut (PIB) de la République démocratique du Congo, qui se retrouve dans la dynamique observée dans bon nombre de pays africains parmi les plus performants. Cette embellie est le fruit de certaines réformes initiées par le gouvernement, notamment l’amélioration du climat des affaires. Bien que beaucoup reste encore à faire, on a quand même noté la reprise des investissements, qu’ils soient publics ou privés, nationaux ou étrangers. Les auteurs du document de la Banque mondiale, intitulé Rapport de suivi de la situation économique et financière 2014, pensent que « la gestion macroéconomique prudente et les réformes structurelles continuent à avoir un impact positif sur la performance économique.» En d’autres mots, le gouvernement a mené « une politique de stabilisation avec contrôle des déficits publics et réduction de l’inflation. » Résultat, souligne le rapport de la Banque mondiale, le déficit est tombé à « des niveaux historiquement bas » et a permis de « dégager un excédent budgétaire intérieur de 0, 2 % du PIB en moyenne entre 2010 et 2013.» Quant à l’inflation, elle était de l’ordre de 0, 2 % du PIB en 2013. Tout cela est encourageant, mais les auteurs du rapport y mettent un bémol : « Cependant, bien que bénéfique, cette stabilisation reste vulnérable en raison d’un faible niveau de revenus intérieurs ne dépassant pas 13,0 % du PIB en 2013 et des réserves en devises de moins de deux mois d’importations de biens et services. » En termes clairs, le pays ne peut pas tenir longtemps en cas de crise majeure, d’embargo ou de blocus.

Le rôle majeur du secteur minier

Parmi les secteurs qui ont le plus contribué à la croissance, celui des mines occupe une place de choix, avec une participation au PIB réel d’environ 20 %. Paradoxalement, l’État n’arrive pas à mobiliser de manière efficiente les recettes émanant de ce secteur, comme du reste c’est le cas pour l’ensemble des autres secteurs des ressources naturelles dont l’apport aux projets de développement est fondamental. Le rapport signale que « la valeur ajoutée du secteur minier s’est accrue de 10,5 % en moyenne entre 2010 et 2013 grâce à l’entrée en production des gros investissements lancés au cours de la décennie précédente. » En 2013, la valeur ajoutée a atteint 28 %. Les mines ne sont pas, contrairement à ce qu’on peut penser, le premier employeur du pays, loin s’en faut. En dépit de  l’augmentation de la production et de l’exportation des différents minerais, l’impact du secteur sur le développement du pays n’est pas évident. D’où la question : « Que faut-il pour en faire un levier du développement ? »

Les problèmes qui se posent sont nombreux. Malgré le nouveau code minier promulgué en 2002 et le règlement qui l’a complété l’année suivante, le rapport relève que « les dispositions du code sont avantageuses aux investisseurs et tendent à largement atténuer les retombées fiscales du secteur pendant les premières années de développement du projet. (…) Les entreprises peuvent amortir dès la première année jusqu’à 60 %  de leurs dépenses d’investissement. Elles ont la possibilité de reporter leurs déficits ordinaires ainsi que leurs amortissements réputés différés en période déficitaire sur une période allant jusqu’à cinq ans. » Autre problème, « l’incapacité de la RDC à mettre en application les dispositions de ce même code minier. Les capacités techniques des administrations fiscales à contrôler et  confronter les déclarations fiscales à la valeur réelle des produits extraits sont limitées. Des compétences géologiques et des moyens matériels sont indispensables pour mieux encadrer les recettes de l’État issues des opérations minières et pétrolières. En outre, des conventions parallèles sont souvent signées avec des opérateurs miniers en dehors du système fiscal et créent un dualisme avec des conséquences sur les recettes à recouvrer. Aussi, les dispositions légales quant au maintien, par les détenteurs des titres, de 40 % des recettes d’exportation dans le système bancaire national ne sont pas souvent respectées. »

Les dispositions sont souvent contournées par des montages légaux et des systèmes de facturations internes, d’où une déperdition des capitaux et de devises pour la RDC, qui ne trouve pas son compte en termes de recettes fiscales, pendant que le déficit du compte courant s’aggrave avec un solde négatif des revenus des facteurs atteignant 9,3 % l’année dernière, contre 4,4 % en 2010. Le rapport épingle aussi une faible gouvernance et transparence du secteur minier, des cas d’opacité et de sous-estimation des prix des actifs tant miniers que pétroliers, en plus de la gouvernance et de la redevabilité des entreprises minières du portefeuille de l’État transformées en sociétés commerciales et qui ne contribuent pas à l’amélioration des recettes de l’État. En gros, insistent les auteurs du rapport, « la réforme du code minier patine, opposée par des groupes d’intérêts aux ramifications multiples aux niveaux national et international. » Ce qui explique pourquoi le renforcement de la gouvernance et de la transparence dans les industries extractives, n’avance qu’à petits pas.

La faible contribution des banques au monde des affaires 

S’agissant du secteur bancaire, le rapport constate qu’il est en plein développement. Mais les niveaux des crédits au secteur privé et des dépôts restent très faibles : ils ne représentent que 5,1 % et 9,% du PIB respectivement. Le coût du crédit est très élevé, et les intérêts effectifs chargés, en 2012 par exemple, sont estimés à 15 % pour les découverts ; 11 % pour les crédits à court terme, et à 20 % pour les crédits à moyen terme. Par ailleurs, le développement des dépôts bancaires est entravé par les craintes sur la solvabilité des banques et, surtout, par le risque de voir les dépôts saisis par les autorités sous la pratique de l’avis au tiers détenteur et à la discrétion des inspecteurs du fisc. Tous ces problèmes conduisent les rédacteurs du rapport à noter que « le secteur bancaire reste loin de jouer son rôle dans la mobilisation de l’épargne et son allocation vers l’économie. Les crédits et dépôts sont concentrés entre les mains d’une minorité. (…) Les entreprises et les ménages font face à de sérieuses difficultés pour accéder au crédit. » Selon une enquête menée en 2011, seulement 1,5 % des adultes ont pu accéder au crédit bancaire en 2010, alors que la moyenne régionale est de 11, 4 %. De leur côté, les entrepreneurs considèrent l’impossibilité d’obtenir un crédit auprès des banques comme un frein au développement de leurs activités. C’est dans ce contexte que, malgré tous les obstacles, les secteurs manufacturier et tertiaire ont montré un certain dynamisme. Le premier a progressé de 21, 4 % en 2013 et contribué à 29 % à la croissance. La contribution du second à la croissance a été de 46 % entre 2010 et 2013.

Fragilité de tous les instants 

D’une façon globale, les défis restent immenses et les risques de dégringolade réels. Si l’agriculture connaît un certain essor (3 % de croissance) et emploie le plus grand nombre de travailleurs à travers le pays, elle est encore, en général, surtout de subsistance et d’autoconsommation. Les méthodes de production restent encore traditionnelles. Ce qui n’empêche pas les agriculteurs d’avoir quelques revenus, même s’ils ont du mal, pour de multiples raisons, comme l’enclavement et le manque criant d’infrastructures routières, d’écouler leurs produits. La RDC a un niveau de pauvreté très élevé : 63,7 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, tandis que 14 % des pauvres du continent africains sont des Congolais. Et l’une de ses grandes faiblesses est d’avoir une économie en grande partie informelle, avec des taux impressionnants dans certains domaines : 96, 3 % dans le secteur agricole et forestier ; 51,4 % dans la manufacture ; 50,5 % dans les industries extractives et 42,5 % pour le secteur tertiaire. D’autre part, le pays est toujours dans les bas-fonds du classement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour ce qui est de l’indice du développement humain. Cette année, la RDC est 186e sur 187 pays. L’espérance de vie à la naissance est toujours de 50 ans. Et elle est parmi les mauvais élèves en ce qui concerne la parité. Le rapport évoque la détérioration lente de l’excédent budgétaire vers un déficit qui souligne la fragilité à long terme des finances publiques ; les réserves en devises qui restent à des niveaux bas notamment pour un pays dollarisé, ce qui est aussi une source de vulnérabilité sur le long terme ; l’affaiblissement des recettes et la prédominance des dépenses courantes qui dénotent la fragilité de la consolidation budgétaire… Comme propositions,  «le recours au programme de consolidation du FMI ou à l’appui budgétaire des bailleurs, y compris la Banque mondiale, pourrait s’avérer nécessaire. » Autre option : une meilleure mobilisation des recettes des secteurs des ressources naturelles permettra d’améliorer les balances interne et externe, en générant plus de revenus pour l’État et en alimentant en devises les réserves de la Banque centrale du Congo (BCC). Tout compte fait, le chemin est encore long et semé d’embûches.