42 n’a pas l’habitude d’avoir mauvaise presse. L’école fondée par Xavier Niel, qui forme gratuitement près de 3500 étudiants à l’informatique, a fait l’objet d’une enquête du média L’Usine Nouvelle. Elle y publie des témoignages édifiants de plusieurs étudiantes qui se plaignent du sexisme de leurs camarades, voir de faits de harcèlement, et d’une mauvaise ambiance générale. L’une d’entre elles raconte, par exemple, avoir été poursuivie par un homme qui souhaitait regarder sous sa jupe. Ou des camarades qui regardent des films pornographiques en pleine salle d’étude.
Autre objet de l’enquête, une chaîne sur la messagerie Slack baptisée #NSFW («not safe for work» ou «pas adapté au travail»). Des étudiants s’y échangeaient des images et des vidéos pornographiques parfois violentes. On y trouvait aussi des photos d’ex-petites amies, de connaissances féminines et même, au moins à une occasion, de femmes prises en photo à leur insu dans la rue, comme a pu le constater Le Figaro. Ce canal de discussion, géré par les étudiants, a été actif de 2014 à 2017. Il a finalement été fermé au mois de septembre, après que la direction a décidé d’utiliser Slack comme moyen de communication officiel.
«Position de la minorité visible»
Le sexisme est un problème régulièrement dénoncé dans le milieu des nouvelles technologies. Les formations en informatique ne sont pas épargnées par ce problème. Chez 42, 10% des étudiants sont des femmes. Ce taux s’est un peu amélioré ( 13%) pour la dernière promotion d’élèves, qui a fait sa rentrée ce mois-ci. Mais globalement, la tendance est morose. On comptait 16% de femmes dans les filières d’informatique de l’enseignement supérieur en France en 2013. La proportion d’étudiantes préparant un BTS d’informatique était de 7% en 2015, contre 10% en 2010. Les femmes représentent à peu près 8% des élèves en IUT d’informatique, d’après le rapport «Gender Scan» publié en septembre par le cabinet Global Contact.
Il existe beaucoup de raisons pour expliquer cette faible proportion de femmes dans les études d’informatique, comme l’éducation genrée des petites filles ou le manque de représentation des professionnelles du numérique. Le sexisme en est une autre. Les femmes ne se sentent pas forcément bien accueillies dans les formations informatiques, du fait du comportement de leurs camarades masculins. «Quand on étudie l’informatique, on se retrouve dans la position de la minorité visible», raconte une étudiante de 42. Cette dernière confirme l’ambiance décrite par l’enquête de L’Usine Nouvelle, tout en précisant qu’il «y a des vécus différents». «C’est une minorité d’étudiants lourdingues», ajoute-t-elle. «Tous ne sont pas comme ça, mais il y a clairement une ambiance générale proche de celle de jeuxvideo.com», explique-t-elle, en référence au forum français déjà plusieurs fois mis en cause pour des affaires de harcèlement.
Une école particulière
42 est une école particulière à bien des égards. Sa formation est entièrement gratuite. On y accède après avoir passé la «piscine», une épreuve de sélection redoutée qui dure un mois. Les étudiants peuvent rester au sein de l’école pendant le concours, y compris pour y dormir. Les jeunes femmes ont le droit à un dispositif particulier. Elles peuvent, par exemple, dormir dans une salle à part. Ce qui n’empêche pas les comportements nocifs de certains de leurs camarades. «J’ai déjà croisé un garçon qui sortait de la douche et qui m’a dit: bon courage, j’ai foutu du sperme partout», se souvient une étudiante.
Autre particularité de 42, l’école met à la disposition de ses étudiants un annuaire avec les données personnelles de chacun de ses membres: numéro de téléphone, mail mais aussi le dernier lieu de connexion. Le but est en théorie de pouvoir se contacter facilement, ou de retrouver les membres d’un groupe de travail. «Un homme a utilisé ce système pour me suivre pendant toute la piscine», explique une étudiante. Dans l’enquête de L’Usine Nouvelle, une jeune femme explique que les caméras de vidéosurveillance, accessibles à tous, peuvent aussi servir à de la drague non sollicitée.
Cette culture particulière, avec une ambiance de travail intensive, peut favoriser les comportements problématiques de certains étudiants. «La piscine encourage la culture du bizutage», estime une autre étudiante de 42, interrogée par le Figaro. «Le but, c’est de faire partir le plus de candidats possible, pour constituer la nouvelle promotion. C’est un environnement très hostile. Puis quand on est sélectionnées à 42 en tant qu’étudiante, et qu’on voit l’existence d’un chat pornographique, on ne se sent vraiment pas à notre place. La direction traite les conséquences, mais pas la culture qui permet ce genre de choses.»
«Je me suis demandée si j’étais trop faible pour ce milieu»
Depuis la publication de cette enquête, les réactions sont nombreuses chez les étudiants de 42, via la messagerie Slack ou sur les réseaux sociaux. «Tout y est vrai, je regrette simplement que seul le pire du pire de ce qui a pu se passer en quatre ans ait été mis en valeur comme une généralité, alors que les efforts de 42 sont nombreux pour construire un bon environnement pour toutes et tous», dit Hana Khelifa, ancienne étudiante de 42, qui a témoigné dans l’enquête.
«Très peu de cas de comportements déviants nous ont été remontés et ceux portés à notre connaissance ont été traités immédiatement», insiste Fabienne Haas, directrice de la communication de l’école, interrogée par l’Usine Nouvelle. D’autres regrettent que 42 ait été pointé comme le mauvais élève, alors que le sexisme concerne aussi d’autres écoles et plus généralement le milieu du numérique. Ou que l’article repousse encore davantage les potentielles étudiantes, déjà peu nombreuses.
En 2013, un mémoire en sociologie présenté par une étudiante de l’Université Paris VII – Diderot évoquait déjà le problème du sexisme au sein de l’école Epitech. «L’ouverture sociale étant très présente dans le discours officiel de l’école, on aurait pu s’attendre à ce que ce discours prenne en compte l’ouverture aux femmes, mais nous avons vu que cela n’était pas le cas, bien au contraire, l’école tolère un discours et des comportements sexistes», lisait-on déjà à l’époque sur cet ouvrage. Pour les besoins de cet article, Le Figaro s’est entretenu avec des étudiantes de plusieurs formations françaises en informatique et en Web: à 42, la WebAcadémie, HETIC, Epitech… Le constat est souvent le même. «Tout ce que j’ai lu pour l’école 42 s’est produit dans mon école: les blagues, la pornographie sur Slack, etc», explique une étudiante d’une autre école. «J’ai passé deux ans de grande violence. Je me suis demandée plusieurs fois si ce métier était vraiment fait pour moi, et si j’étais trop faible pour ce milieu.» Une autre, qui suit une formation différente, assure que «les étudiants ne se cachaient pas pour consulter des films pornographiques, ou même créer un système de notation de la beauté des filles de leur promo.»
«Je ne suis pas surprise par cette affaire car j’avais parlé avec des filles de 42 qui m’avaient remonté ces problèmes», commente de son côté Dipty Chander, présidente de l’association E-mma France. Née au sein d’Epitech, cette structure milite pour la diversité au sein des formations numériques. De nombreuses initiatives du genre sont nées ces dernières années, pour encourager les petites filles à s’intéresser à l’informatique ou sensibiliser les étudiants et les entreprises aux thématiques du sexisme et du harcèlement. E-mma intervient au sein de sa propre école et dans d’autres, dont 42. Cette dernière s’est d’ailleurs récemment dotée de sa propre association en faveur de la mixité, CodeHer. «Je ne suis pas découragée», conclut Dipty Chander. «Il est important qu’on prenne tous conscience de cette situation.»