« Il en découle que la suspension ou la révision de la Section 1502 impactera sur le dispositif normatif tant interne des États-Unis que régional et international, ainsi que sur la stabilité sécuritaire, sociale et économique de la RDC. », écrit le ministre Kabwelulu au président de l’US Securities and Exchange Commission à Washington. D’où les observations que le gouvernement a formulé avant de présenter ses propositions de solutions.
Le ministre des Mines sortant reconnaît que « le projet de décret présidentiel est un acte réglementaire interne d’un pays partenaire, qui fait usage de son pouvoir souverain d’administration », et que « La RDC devrait, en tant que partenaire, s’interdire d’émettre un quelconque point de vue. » Cependant, fait-il remarquer, étant donné que la signature dudit acte réglementaire a une grande incidence sur la vie politique, sécuritaire, sociale et économique d’une partie considérable de la RDC, voire de la région des Grands lacs, la RDC voudrait, en toute objectivité, faire part à l’administration américaine de « ses quelques observations tirées des risques à encourir en cas de suspension ou de révision de la Section 1502 de Dodd-Frank Act. »
Quels sont ces risques ? En cas de suspension, le gouvernement est d’avis que cela comporte des risques certains eu égard à l’évolution socio-politique des deux dernières décennies dans la région. En effet, la RDC vit depuis 1996 une situation conflictuelle récurrente qui a déstabilisé toute la région des Grands lacs au point que les observateurs avertis ont parlé de « la Première Guerre mondiale africaine » et ce, en raison du nombre des États protagonistes impliqués et des personnes décédées évaluées à 6 millions. Kinshasa est convaincu qu’en tant que partenaire, Washington ne voudrait pas voir de nouveau resurgir la situation conflictuelle qui, comme l’ont si bien mentionné les organisations de la société civile du Sud-Kivu, a charrié un cortège des malheurs à son préjudice. Ce sont les déplacements des populations, les violations massives des droits humains, la désarticulation de l’appareil administratif étatique ainsi que des activités socio-économiques.
Par conséquent, le gouvernement est préoccupé par toute démarche qui risquerait de replonger le pays dans cette sombre situation dont il est en train de sortir avec grande peine, avec le soutien de nombreux partenaires, parmi eux, les États-Unis, en premier ligne. « La RDC ne peut redevenir une zone où règne des seigneurs de guerre et d’où partiraient les actions qui menaceraient la paix et la stabilité d’une partie de la planète », avertit Kabwelulu. Convaincu que « la suspension ou la révision de la Section 1502 de Dodd-Frank comporte la forte probabilité de faire resurgir des risques qui mettront en péril la stabilité de la RDC et, par ricochet, les intérêts de la sécurité des États-Unis. »
Quels sont les risques que Kinshasa redoute en cas de suspension ou de révision ? Premièrement, le risque de la recrudescence des activités des groupes armés non étatiques, en ce que la décision va supprimer la sanction assortie au non-respect des mesures contenues dans la loi et aura comme effet de restaurer « le cordon ombilical entre les grandes fonderies, voire avec les grandes entreprises américaines de transformation de nos minerais et les seigneurs de guerre » qui s’étaient tristement illustrés durant les dernières décennies.
Deuxièmement, le risque d’affaiblissement des « politiques favorisant les bonnes pratiques commerciales d’approvisionnement responsables en minerais. » Elle risquerait aussi d’entamer sérieusement les efforts consentis aussi bien par la CIRGL, l’État, les opérateurs économiques de la RDC ainsi que la société civile locale, appuyés par les organisations internationales, les États dont les États-Unis et les ONG, à faire installer progressivement des « bonnes pratiques commerciales » en matière de fourniture et d’approvisionnement responsable en minerais dits de conflit. « La suspension ou la révision de la Section 1502 aura pour effet d’émousser tout élan tendant à la mise en place des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais et dans la région des Grands lacs en général et en RDC en particulier. », argue le ministre des Mines.
Troisièmement, le risque d’encourager les pays de la CIRGL à ne pas mettre en œuvre les six outils de lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles. Pour rompre le lien entre les conflits armés récurrents et l’exploitation illégale des ressources minérales en général et le trafic illicite des produits miniers en particulier dans le région des Grands lacs, six outils ont été institués par la Déclaration de Lusaka de 2010, à savoir le Mécanisme de certification régionale, l’harmonisation des législations nationales, la base des données régionales sur les flux des minerais, la formalisation du secteur minier artisanal, la promotion de l’ITIE et le Mécanisme d’alerte rapide ou précoce (MAR).
Plus de six ans après la Déclaration de Lusaka, deux pays seulement ont intégré dans leurs droits internes le Mécanisme de certification régionale. « Le chemin à parcourir est encore long. Vouloir l’arrêter serait une action suicidaire pour les pays de la CIRGL. », prévient Kabwelulu.