Le budget d’un pays reste sans doute l’un des déterminants fondamentaux qui lient le peuple et la classe politique. C’est cet instrument qui traduit suffisamment la volonté et la détermination des politiciens d’être en symbiose avec leur mandant. Pour l’année 2014, la loi des finances de la RD-Congo est parvenue à atteindre près de 9 milliards de dollars. Comparativement aux années précédentes, il y a eu lieu de se frotter les mains ; du reste, le gouvernement ne s’en est pas privé à plus d’un titre. Cependant, il y a également un autre constat : si les dépenses dites de « prestige » s’accroissent ostentatoirement, celles des secteurs sociaux s’en sortent toujours tirés vers le bas, en termes de « parents pauvres » de la loi budgétaire. Autant cela l’est au niveau national, de même les courbes sont ainsi traduites dans les budgets provinciaux. Dès lors, la question relative aux phases d’élaboration des projets de cet outil, au niveau sectoriel et national, continue de rester actuelle. Des réflexions ont eu lieu, en février 2014 à Kinshasa, sur les mécanismes à adopter pour l’amélioration des budgets des pays de l’Afrique Centrale ; dans un autre cadre, des femmes et des hommes se sont appesantis sur le mode de produire un « budget sensible au genre ».
Plus d’un mois après la promulgation du budget national pour l’exercice 2014 et autant de temps après l’adoption des budgets dans les onze provinces du pays, les préoccupations soulevées, au sein des assemblées des élus lors de la discussion du contenu de ces importants instruments de travail, sont, pour la quasi-totalité, restées pendantes et reviendront sans doute sur la table lors des traditionnels rendez-vous à venir. Questions : pourquoi depuis des décades, les institutions de la République ne mettent-elles pas en pratique toute la littérature qu’elles ont, elles-mêmes, ficelée ? Pourquoi les faiblesses, les incohérences décriées doivent-elles revenir annuellement dans les débats de fonds, au risque de provoquer la risée, voire le délire ? Où se retrouvent ces résistances alors que la volonté générale exprimée est d’améliorer les agrégats de ces projets budgétaires ?
Au cours de la dernière semaine de février 2014, se sont tenus à Kinshasa les travaux de la « 4è Edition du Forum des Hauts Fonctionnaires du Budget » (FoBAC) des Etats membres du Centre régional d’assistance technique pour l’Afrique Centrale (AFRITAC Centre), instance accompagnée par le Fonds Monétaire International (FMI). Le thème central de cette rencontre a été bien révélateur de la problématique : «réformer l’Etat et consolider la démocratie par le budget ». Du reste, en dégageant les orientations pédagogiques de ces assises, le secrétaire général du ministère du budget n’y est pas allé du dos de la cuillère. « La démocratie repose sur des valeurs universellement connues telles que la justice sociale, la participation, le débat démocratique. Toutes ces valeurs relèvent de la politique publique. Et, celle-ci doit être traduite dans le budget pour être réalisée », a indiqué Odon Sampanga.
Récurrentes faiblesses
S’il faut toujours souligner cette lapalissade, il sied également d’admettre que ces propos sont bien indicatifs de l’état des lieux dans ce secteur sensible auquel il est généralement attribué trois missions : élaboration du budget, suivi et contrôle de l’exécution (de ce budget). Il est ainsi de bon aloi que les différentes réformes concernant la machine étatique soient en symbiose avec l’outil budgétaire afin qu’elles prennent réellement corps. Peu avant le vote par le parlement et la promulgation par le président de la République de la loi financière 2014 de la RDC, le journal «Business et Finances » notait : «Pour l’efficacité de son exécution (du budget, NDLR), il serait impérieux que les ministres soient responsabilisés, chacun au niveau de son portefeuille, c’est-à-dire dans la gestion des fonds mis à leur disposition. La bonne gouvernance exige qu’il n’y ait pas d’interférence dans le décaissement des fonds. Selon cette logique, il appartient au ministre de s’expliquer devant les élus quant à la gestion des fonds alloués à son département. L’imagerie populaire retient et regrette que, très souvent, ce soient le premier ministre, le ministre des finances ou celui du budget qui joue au gestionnaire des crédits en lieu et place des ministres concernés. (…) Tout cela se passe comme si le budget n’a jamais été discuté, des projets n’ont jamais été débattus au niveau sectoriel, au niveau du gouvernement en conseil des ministres et, enfin, au parlement » .
Pourtant, les réunions comme celles organisées régulièrement, entre autres, par AFRITAC Centre veulent justement développer des outils susceptibles de corriger les multiples faiblesses constatées dans l’élaboration, le suivi et le contrôle des budgets nationaux. Depuis 2003 en RD-Congo, des ajustements se succèdent et se lient à des pratiques pour refonder la structure budgétaire. Dans sa communication intitulée « Nomenclature des dépenses de l’Etat en RDC » faite lors des travaux du FoBAC 2013 à N’Djamena (Tchad), le directeur en charge de la préparation et suivi du budget (au ministère national du budget), Raymond Ndudi Pfuti, a déclaré que le projet des réformes incluait, notamment, les innovations de la LOFIP (en termes de budget programme, pluri annualité, décentralisation). Selon lui, plusieurs étapes du processus avaient été accomplies (ateliers internes, ateliers ouverts aux provinces, consultance FMI). Tout devait être finalisé et vulgarisé fin 2013 afin que les outils réadaptés soient coulés dans la pratique de 2014. Dans cette intervention, fort intéressante, il y est aussi question de la nouvelle codification géographique budgétaire (suppression des districts et intégration des secteurs, chefferies, zones urbaines et rurales au regard de la répartition territoriale décentralisée) ainsi que de la composition de la nouvelle nomenclature (dette publique en capital, frais financiers, dépenses du personnel, biens et matériels, transfert et interventions, équipements, construction-réfection-réhabilitation-addition d’ouvrages et édifices-acquisitions immobilières, prêts et avances).
Tout cela se marrie-t-il harmonieusement avec les valeurs universellement connues pour contribuer de manière efficace à la construction de la démocratie en RDC, comme en appelait le secrétaire général du ministère du budget ?
Budget participatif, budget sensible au genre
Depuis quelques décennies, des entités et des collectivités réfléchissent et mettent en pratique des axes concertés découlant de la dynamique de relire autrement cet axiome décliné en élaboration, suivi et contrôle de l’instrument budgétaire. Ces initiatives proviennent, la plupart de temps, des organisations de la société civile, voire des structures politiques. En RDC, plusieurs dynamiques sont en cours. Elles se développent au niveau des communes urbaines ou des entités territoriales décentralisées et s’intègrent dans les poussées d’autopropriation de la décentralisation (politique, administrative et/ou financière). Cette dernière, intimement associée à la gouvernance locale, est acceptée comme un processus de transfert de compétence d’un Etat central vers un niveau local devenu responsabilisé. Dans la ville de Kinshasa, une phase expérimentale concerne plusieurs communes : Barumbu, Kinshasa, Lingwala, Ndjili, Kalamu. Au niveau des autres provinces, l’expérience s’est établie dans la province du Sud-Kivu, en se déployant dans trois communes urbaines de Bukavu (Bagira, Ibanda et Kadutu) et au sein de cinq chefferies (Bafuliru, Kabare, Luhindja, Ngweshe et Wamuzimu). Quatre principes sous-tendent ce développement : réorienter les ressources publiques en faveur des plus pauvres, créer des nouvelles relations entre municipalités et citoyens, reconstruire l’intérêt social et l’intérêt général, inventer une nouvelle culture démocratique, mobiliser le sens de la citoyenneté. Dès lors, « le budget participatif est un processus de démocratie directe, volontaire et universel, au cours duquel la population peut discuter et décider du budget et des politiques publiques. Le citoyen ne limite pas sa participation au vote, mais va au-delà… »(Uribatam de Souza). Tout cela concourt à ancrer la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques. Un autre volet de cet exercice est de contribuer à la promulgation d’un « budget sensible au genre ».
La détermination politique de prendre en compte cette dimension n’est pas encore bien expressive sur terrain. «La budgétisation sensible au genre met en évidence les répercussions différentes des budgets sur les femmes et sur les hommes ; elle attire l’attention sur les discriminations à l’égard des femmes et fait ressortir les implications spécifiques au genre des finances publiques et des politiques économiques. Il est à espérer que les élus du peuple et des provinces profiteront des travaux sur les projets ou propositions de lois en cours pour rectifier le tir, pour permettre une plus grande implication des femmes dans la prise de décision. »