Désormais aux commandes d’Air France-KLM, Ben Smith tel qu’en lui-même

Que peut réussir ce Canadien là où les autres avant lui ont échoué ? Pour les spécialistes, ses atouts semblent réels. Pour autant seront-ils suffisants pour transformer un groupe moins performant que ses concurrents, miné par les conflits sociaux à Air France et les tensions entre Air France et KLM? Analyse.

OUVERTE le 15 mai après la démission de Jean-Marc Janaillac de ses fonctions de PDG d’Air France-KLM, la crise de la gouvernance que traverse le groupe aérien est en passe d’être réglée avec la nomination de Benjamin Smith, le numéro 2 d’Air Canada, au poste de directeur général. Reste encore à finaliser la présidence non exécutive du groupe, aujourd’hui assurée par Anne-Marie Couderc de manière transitoire, mais qui pourrait très vite devenir pérenne, ainsi que le rôle que jouera Pieter Elbers, le président du directoire de KLM, au sein d’Air France-KLM, et voir s’il y a lieu de modifier la gouvernance d’Air France.

Pour autant, les problèmes demeurent, comme en témoigne le risque de nouvelles grèves en septembre, et les défis sont immenses.. Considéré comme « une chance » par Elisabeth Borne et Bruno Lemaire, respectivement ministre des Transports et de l’Économie, « pour mener à bien les grands chantiers de la transformation d’Air France-KLM », Benjamin Smith peut-il réussir là où ses prédécesseurs ont échoué ?

Mesures structurelles

Prendra-t-il (ou pourra-t-il vraiment prendre) des mesures structurelles pour assurer la pérennité d’Air France et par ricochet celle d’Air France-KLM, en relançant un groupe moins performant que ses concurrents sur le plan financier, et miné à l’intérieur par les conflits sociaux à Air France et la défiance entre Air France et KLM ? Autrement dit, Benjamin Smith parviendra-t-il à donner à Air France-KLM, et en particulier à Air France, le maillon faible, les armes pour éviter de boire la tasse au prochain retournement de cycle, comme ce fut le cas après la crise financière de 2008-2009, qui s’est soldé par plus de 10 000 suppressions de postes à Air France? C’est tout l’enjeu de sa mission. Impossible évidemment de répondre à cette question aujourd’hui. Déjà, car on ne sait pas grand chose sur Benjamin Smith. Ensuite, parce qu’il existe de nombreux leviers fondamentaux pour l’avenir du groupe sur lesquels le nouveau patron d’Air France-KLM aura peu ou pas d’emprise, comme le résultat des Assises du transport aérien en octobre, censées prendre des mesures pour améliorer la compétitivité du pavillon français, ou le résultat des élections au sein du syndicat national des pilotes de lignes (SNPL) qui dira si la branche dure de l’organisation syndicale, aujourd’hui aux manettes, sera reconduite. Ces deux points seront déterminants pour la réforme d’Air France.

Une ascension éclair

Difficile de se faire une opinion à chaud sur Benjamin Smith. Peu, pour ne pas dire personne dans le monde du transport aérien français, ne connaît le numéro 2 d’Air Canada, contrairement au numéro 1, Calin Rovinescu, un peu plus connu sur la scène internationale pour avoir été notamment président de la puissante Association internationale du transport aérien (IATA) de juin 2014 à juin 2015. Qu’un PDG, reconnu par ses pairs pour avoir redressé une compagnie de la taille d’Air France, ait fait confiance à Benjamin Smith pour le seconder, et probablement lui succéder, constitue pour ce dernier un gage de crédibilité. Surtout à un tel âge, 46 ans! 

Sa jeunesse interpelle et traduit le caractère forcément brillant du personnage. Depuis une dizaine d’années, il accède à des fonctions rarement confiées à des personnes aussi jeunes dans des compagnies aériennes de cette taille puisqu’Air Canada pèse grosso modo autant qu’Air France (une quinzaine de milliards d’euros de chiffre d’affaires). Il a rejoint la direction exécutive d’Air Canada à 35 ans, en 2007, puis a été nommé en 2014, à 42 ans, Président Airlines des compagnes du groupe (Air Canada, Rouge, Air Canada cargo) et Chief Operating Officer du groupe Air Canada. 

Un poste de numéro 2 de la compagnie au cours duquel il a mené à bien de gros projets, comme la réorganisation des hubs, ou encore le lancement de Canada Rouge, une marque low cost présente notamment sur le long-courrier.

Une mission quasi-impossible

Le fait qu’il se soit battu pour obtenir le poste d’Air France-KLM en dit long sur son caractère et son ambition. Alors qu’il était très bien dans une compagnie en bonne santé, avec un avenir tracé qui le prédestinait à prendre dans quelques années le poste de PDG d’Air Canada, il a préféré relever le défi quasi-impossible de transformer Air France-KLM. Un risque de carrière évident qui peut, en cas d’échec, brûler les ailes de ce grand espoir du transport aérien. Mais qui en cas de réussite peut le propulser parmi les cadors de ce secteur, pour ne pas dire le meilleur au regard de la difficulté de la tâche à accomplir sur laquelle ses prédécesseurs se sont cassé les dents. 

Avec son plan Transform (2012-2014), Alexandre de Juniac a évité le naufrage d’Air France mais s’est ensuite heurté au rejet des salariés quand il a voulu dans la foulée remettre un coup de collier pour pérenniser la compagnie. Face à cette hostilité, son successeur, Jean-Marc Janaillac n’a pu lui non plus réussi à prendre des mesures permettant d’assurer la pérennité d’Air France. Un profil qui détonne. En tout cas, au-delà du fait qu’il soit étranger et jeune, le profil de Benjamin Smith détonne par rapport à celui de ses prédécesseurs. Il est de culture anglo-saxonne, avec tout le pragmatisme et la brutalité que cela peut impliquer, il connaît le transport aérien sur le bout des doigts pour avoir quasiment fait toute sa carrière dans ce secteur, et vient d’une compagnie dans laquelle l’État s’est désengagé depuis longtemps, ce qui ne l’a pas habitué à de pénibles circonvolutions pour appliquer une stratégie. Enfin, il n’est pas énarque.

Autant d’ingrédients qui peuvent augurer d’un regard neuf sur la façon de faire avancer un groupe marchant sur deux pattes qui peinent à être synchronisées : l’une, hollandaise, fonctionne grosso-modo comme une entreprise privée de transport aérien normale, tandis que l’autre, française, est encore très marquée dans son organisation par son passé d’entreprise publique.

L’expérience précieuse d’Air Canada

Venant d’une compagnie nord-américaine, Benjamin Smith saura, a priori, insister sur la nécessité d’améliorer l’efficacité opérationnelle, condition sine qua non pour restaurer dans la durée la confiance des passagers et des salariés. En revanche, il devra bien prendre conscience de la nécessité, pour une compagnie comme Air France, d’être associée à un haut niveau de qualité de services, un point trop souvent mis au second plan par les compagnies aériennes nord-américaines. En tout cas, deux points importants ressortent du CV de Benjamin Smith. De retour à Air Canada en 2002 après l’avoir quittée en 1992 pour créer une agence de voyages, puis faire du conseil, notamment pour Air Canada, il a vécu la restructuration de la compagnie canadienne après son placement en redressement judiciaire en 2003. Même s’il peut peut-être paraître à tort plus facile de restructurer une entreprise sous la protection de la justice, Benjamin Smith a donc parfaitement conscience des efforts à faire pour rendre une entreprise compétitive. 

L’autre point qui ressort de son CV est la certitude de la pertinence du modèle low-cost, puisqu’il a dirigé la compagnie à bas coûts Tango (disparue en 2004), puis a été à l’origine de la création, en 2014, d’Air Canada Rouge, la marque à bas coût de la compagnie canadienne. Celle-ci est d’autant plus intéressante qu’elle assure des vols long-courriers, une activité sur laquelle doit rapidement trancher le groupe pour sa filiale Air France, mais qui suppose de trouver un accord avec les syndicats de navigants de la compagnie, comme Benjamin Smith l’a fait chez Air Canada.

Un profil qui semble plus taillé pour Air France que pour Air France-KLM. Au final, les atouts de Benjamin Smith semblent nombreux. Du moins sur le papier. Seront-ils suffisants pour monter d’un cran et être numéro 1 ? L’histoire jugera. D’autant qu’il ne s’agit pas d’être le numéro 1 d’une compagnie mais d’un groupe binational composé de deux compagnies aux cultures différentes.