Différend pétrolier : Luanda et Kinshasa semblent désormais plus tournés vers une logique d’intégration économique que celle de conflit

On retiendra utilement pour l’histoire que c’est le ministre des Hydrocarbures, Aimé Sakombi Molendo, et son homologue angolais, Diamantino Azevedo, qui ont signé les annexes à l’accord de gouvernance et de gestion de la zone maritime d’intérêt commun, mettant ainsi fin à plusieurs années de mésentente. Reste désormais la ratification de l’accord par les Parlements et les chefs d’État des deux pays respectifs.

Aimé Sakombi Molendo (à g.) et Diamantino Azevedo échangent le document (annexes) de l’accord de gouvernance et de gestion de la ZIC.

Mercredi 2 octobre 2024 à Luanda, l’instant était solennel. En marge de la 5è édition de la Conférence Angola pétrole et gaz, et en présence du président de la République d’Angola, Joao Manuel Goncalves Lourenço, ainsi que des ministres des Hydrocarbures de la Namibie, de la Côte d’Ivoire, de la République du Congo et des représentants des organisations internationales du secteur, le ministre des Hydrocarbures, Aimé Sakombi Molendo, et le ministre angolais des Ressources minérales, du Pétrole et du Gaz, Diamantino Azevedo, apposent leurs signatures sur le document du protocole d’accord de gouvernance et de gestion de la Zone maritime d’intérêt commun/ZIC sous le crépitement des flashes des appareils photo et des projecteurs des caméras pour immortaliser l’événement.

Par la même occasion, le ministre des Finances, Doudou Roussel Fwamba Likunde Li-Botayi, et son homologue angolais, Vera Esperença Dos Santos Daves, signaient, eux, l’accord de partage de revenus et de respect des obligations fiscales relatives à la ZIC ainsi que le règlement de la commission de supervision de son compte conjoint.

Prenant la parole pour la circonstance, Aimé Sakombi Molendo a loué « le leadership du développement impulsé par le président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo » qui a permis un aboutissement heureux du litige, avant de souligner que « la ratification de ces accords relève de la compétence de deux chefs d’État congolais et angolais ». Et d’ajouter : « Les actes posés en ce jour par les ministres des Hydrocarbures et des Finances restent très déterminants pour les économies congolaise et angolaise avec un impact positif sur le budget national de deux États. » 

Si pour le ministre des Hydrocarbures, ces deux actes (accords) sont déterminants pour les économies des deux pays voisins, ils marquent néanmoins et surtout – on l’espère – la fin du différend pétrolier entre la République démocratique du Congo/RDC et l’Angola. 

On rappelle que l’exécution du projet visant l’exploitation du pétrole dans le bloc 14 avait été envisagée en 2007, dans le respect des normes requises des produits pétroliers en provenance d’Angola. Le litige historique avait été porté devant l’ONU par la RDC en 2011 sur les zones pétrolières maritimes communes. La question du plateau continental et des limites maritimes entre la RDC et l’Angola avait été donc tranchée par des instances internationales habilitées qui se sont penchées sur le litige. Mais Luanda cherchait à préserver ses intérêts énergétiques, sujet de tension récurrente avec Kinshasa, pour qui, la priorité avec le voisin angolais était l’exploitation commune du pétrole enfoui dans l’Océan Atlantique. 

D’ailleurs, depuis des années, la RDC souhaitait vivement le réchauffement rapide des projets communs sur l’exploitation pétrolière, les transports et le commerce. À propos du pétrole dans l’Océan Atlantique, Kinshasa avait été souvent critiqué d’être « timoré » face à l’allié angolais concernant la délimitation du plateau continental. Dans ce dossier, le gouvernement renégociait l’exploitation commune des ZIC et cherchait à obtenir le départ des sociétés de droit angolais exploitant des blocs pétroliers dans le couloir maritime congolais ou trouver toute autre forme de partenariat. 

La loi sur les hydrocarbures promulguée en 2015 a relancé ce débat vieux de plusieurs années. D’aucuns ont parlé de la délimitation du plateau continental de la RDC comme un « sujet tabou » que personne n’ose aborder à haute voix, même si les commentaires ne manquent pas.

Les spécialistes affirment que cette délimitation est conforme aux termes de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer signée en 1982 à Montego Bay. D’après ce traité, les États côtiers ont des droits souverains sur l’exploitation des ressources du sol et du sous-sol des fonds marins, notamment les ressources en hydrocarbures. Dans cette zone, définie par l’article 76 de la convention, le plateau continental d’un État côtier comprend les fonds marins et leur sous-sol jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu’à 200 milles marins des lignes de base, lorsque ce rebord externe se trouve à une distance inférieure. Sa limite coïncide alors avec celle de l’extension maximale de la zone économique exclusive/ZEE, zone dans laquelle l’État côtier dispose du droit d’exploiter toutes les ressources économiques, dans les eaux, sur les fonds et dans le sous-sol.

Comme la ZEE, sa limite peut toutefois se situer à moins de 200 milles dans le cas où les côtes de deux États sont adjacentes ou se font face : une délimitation maritime est alors nécessaire pour définir les zones sous la juridiction de chaque État côtier. Lorsque la marge continentale s’étend au-delà de 200 milles, les États peuvent prétendre exercer leur juridiction, soit jusqu’à 350 milles marins des lignes de base, en fonction de certains critères géologiques. En contrepartie, l’État côtier doit contribuer à un système de partage des revenus tirés de l’exploitation des ressources minérales au-delà de la limite des 200 milles, géré par l’Autorité internationale des fonds marins.

Pour prétendre à cette extension, l’État côtier devait constituer un dossier technique et juridique à déposer au plus tard le 13 mai 2009 devant la Commission des limites du plateau continental. Plus de 80 pays se trouvant dans ce cas de figure, dont la RDC, avaient introduit des requêtes préliminaires auprès de cette commission visant l’extension de leur plateau continental au-delà de 200 milles marins. L’acte posé par la RDC avait donné de l’urticaire au voisin angolais.

Pour Kinshasa, qui essayait manifestement de ne pas mécontenter son allié, ce geste « répondait à une exigence de la procédure au niveau de cette instance. Il n’est pas la conséquence ni le point de départ d’un quelconque conflit », expliquait le gouvernement. « La RDC n’est pas prête à capituler, loin de là », affirmait Adolphe Muzito, alors 1ER Ministre devant les sénateurs, notant au passage que la requête de la RDC visait à répondre à un double enjeu : d’abord, affirmer la souveraineté de l’État congolais sur des espaces maritimes dont il n’avait, pendant longtemps, pas clairement défini ni les frontières ni les espaces. Ensuite, assurer sa souveraineté sur l’extension du plateau continental au-delà de 200 milles marins.

Des proches du dossier affirment que Luanda avait vu rouge et aussitôt communiqué sa position sur la requête de la RDC. L’Angola a élaboré alors « sa » propre loi sur ses frontières maritimes et introduit sa requête préliminaire à la Commission des limites du plateau continental. Avec ses propres calculs, mettant hors de portée les immenses champs pétroliers qui doivent revenir, en principe, à la RDC. 

En réaction, le gouvernement a introduit des indications pertinentes qui ont été envoyées aussi bien au secrétaire général des Nations unies qu’au gouvernement angolais. Quelles sont ces indications ? Personne ne le dit. Tout comme on ignore à ce jour les résultats des tractations entre Kinshasa et Luanda pour la délimitation du plateau continental litigieux.

Dans ce dossier, la ligne d’attaque de Kinshasa se déclinait en trois axes : renégocier l’exploitation commune des ZIC, scientifiquement et juridiquement définis comme étant les espaces sur les 5 km qui longent les deux limites latérales ; négocier le départ des sociétés de droit angolais exploitant des blocs pétroliers dans le couloir maritime congolais ou trouver toute autre forme de partenariat afin de favoriser l’esprit de coopération et de fraternité avec le voisin angolais présent au Nord, avec une frontière administrative avec la province du Cabinda et au Sud, une frontière naturelle avec le fleuve Congo donnant sur l’embouchure (le couloir maritime congolais).

On rappelle néanmoins qu’un premier accord avait été négocié en 2003 par le gouvernement de transition. En 2007, une délégation gouvernementale congolaise composée de neuf membres avait obtenu la révisitation de ce premier accord, du reste mal négocié par le gouvernement précédent. Lambert Mende Omalanga, alors ministre des Hydrocarbures de l’époque, expliquait que le nouveau texte portait sur le développement commercial de l’exploration-production pétrolière dans la ZIC de recherche d’une longueur de 10 km sur 375 km sur l’océan dont la découverte est assez intéressante et couverte par des permis d’exploration.

Cet accord dit « commercial » serait le premier pas dans la résolution du contentieux relatif à l’exploitation des hydrocarbures au large du littoral congolais. Il a été ratifié par la loi du 16 novembre 2007 autorisant l’exploration et la production des hydrocarbures dans une ZIC dont l’accord a été signé à Luanda, le 30 juillet 2007, entre les deux pays. Cependant, la question cruciale n’a pas été abordée. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Une commission chargée d’harmoniser les points de vue a été mise en place. 

Plus tard, un protocole d’accord a été conclu, le 25 septembre 2021, à Luanda, entre la RDC et l’Angola sur l’exploitation du brut pétrolier dans le bloc 14 situé dans la ZIC, après d’intenses négociations. Les commissions techniques ont finalisé la feuille de route des projets retenus dans le cadre de la ZIC en rapport avec l’exploitation du brut pétrolier. Les experts ont convenu de soumettre un projet de contrat devant ouvrir la voie à l’exploitation, et le contrat est signé en juillet 2022 à Kinshasa.

Concrètement, il a été convenu notamment que le ministère des Hydrocarbures et l’ANPG (Agéncia Nacional de Petroleo, Gas e Biocombustiveis), en tant qu’entité concessionnaire, procèdent aux travaux de prospection, d’exploration, d’évaluation, de développement et de production d’hydrocarbures liquides et gazeux dans la ZIC. L’entité du Groupe d’entrepreneurs dont SONANGOL (Sociedad nacional de combustiveis de Angola) et SONAHYDROC (Société nationale des hydrocarbures du Congo) sont membres, est représentée par l’opérateur CHEVRON. La répartition se fera à parts égales, soit 50 % des revenus du concessionnaire pour chaque pays. Le leadership dans les négociations est de la responsabilité du concessionnaire. À terme, les deux pays pourraient partager environ 115 000 barils de pétrole par jour (compte-rendu du Conseil des ministres). 

En juillet 2023, Kinshasa et Luanda vont conclure un accord de gouvernance et de gestion de la ZIC située au sud du bloc 14 et au Nord des blocs 1, 15 et 31 des concessions pétrolières angolaises. Quant à l’accord de gouvernance, il met en place les règles de répartition des revenus générés par les activités pétrolières dans la ZIC-Bloc 14/23.

Selon des experts, la RDC pourrait prétendre à produire davantage de pétrole car d’importantes réserves se trouvant à l’intérieur de ses frontières maritimes sont actuellement exploitées par l’Angola. Un rapport de la Banque mondiale évalue les pertes financières de la RDC à près de 80 milliards de dollars entre 2009 et 2021.