TOUS les projecteurs de l’actualité sont depuis quelques jours braqués sur Adler Kisula Betika Yeye, le procureur général de la République du parquet près la Cour d’appel de Matete. Chargé du dossier de détournement de fonds publics dans le cadre du financement du programme présidentiel d’urgence, dit des 100 Jours, Kisula Betika fait trembler actuellement le microcosme politique congolais. Il rappelle à l’opinion un certain Léon Lobitch, alors tout-puissant procureur général de la République, dans les années 70-80. Craint par tous comme un lion, ce « champion de la rigueur » n’hésitait pas à envoyer à la prison centrale de Makala ministres, PDG, artistes musiciens et consorts… pour détournement de deniers publics, atteinte aux mœurs publics…
Dans l’histoire, des magistrats ont fait trembler les puissants. Il y en a eu beaucoup en Europe et en Amérique. Par exemple, Baltazar Garzon en Espagne, Juan Tapia au Chili (qui inculpa Augusto Pinochet) ou encore aux États-Unis Kenneth Starr, le procureur indépendant, qui avait poursuivi Bill Clinton dans le cadre du « Monicagate » (du nom de la stagiaire de la Maison Blanche, Monica Lewinsky). Mais jamais il n’y eut d’opération aussi retentissante que celle que connut l’Italie en 1992, « opération Mani pulite » ou Mains propres. Il s’agissait d’une série d’enquêtes judiciaires portant sur le financement des partis politiques surnommé « Tangentopoli ». Elles impliquèrent à travers tout le pays ministres, sénateurs, députés, anciens présidents du conseil. Cette vague d’arrestations et d’instructions, menée par le magistrat Antonio Di Pietro a fini par emporter les partis traditionnels comme la Démocratie chrétienne, le Parti socialiste Italien ou encore le Parti libéral italien.
Aujourd’hui, la classe politique congolaise, particulièrement les hommes au pouvoir, habituée à l’incurie, à la corruption et à l’impunité redoute comme la peste l’avènement d’une « République des juges » (le fait pour un juge de privilégier son interprétation personnelle au détriment de la lettre et de l’esprit de la loi/La constitution est ce que les juges disent qu’elle est). Ce qui n’est pas sans provoquer l’angoisse dans l’opinion : jusqu’où va aller le pouvoir du parquet près la Cour d’appel de Matete ?
L’exécutif tient le parquet
Le constat est que le scandale financier qui a éclaté au grand jour, met à nu des pratiques révoltantes d’enrichissement personnel. Le procureur chargé du dossier du financement du programme présidentiel de 100 Jours, version XXL, donne l’impression d’aller jusqu’au bout sans ménager personne. Apparemment, le citoyen lambda s’en délecte parce que désabusé, dégoûté de voir que la RDC d’en bas ne mange pas, ne se soigne pas à sa guise et ne parvient pas à scolariser les enfants alors que ceux qui sont aux affaires de l’État se la coulent douce, en se remplissant les poches en toute impunité. Dans la rue kinoise, on est convaincu que personne ne sortira vivant de cette épreuve judiciaire qui fait l’effet d’une bombe.
L’engouement risque d’être de courte durée. Vraiment ? Est-ce que le parquetier ne payera pas pour sa « témérité » ? Ne va-t-il pas être « exfiltré » discrètement vers le parquet général ou ailleurs, quand on sait que le parquet est à la main de l’exécutif ? En tout cas, au fur et à mesure que le dossier s’enfonce dans l’instruction, et que le magistrat interpelle à tour de bras, il faut s’attendre à tout, surtout à ce que le dossier soit classé sans suite. Au moins, l’histoire retiendra que Kisula Betika, à défaut d’être un super Attorney, il est le magistrat qui aura démontré qu’il est possible d’avoir une justice de qualité et un parquet dont l’action est légitime dans notre pays.
L’action du parquet près la Cour d’appel de Matete déplaît dans la classe politique, mais il faudra privilégier le destin d’une nation au-delà de l’institution judiciaire qui reste dangereuse pour ceux qui nous dirige. Alors, comme c’est le pouvoir politique qui nomme les parquetiers à sa guise, cela risque d’être l’étouffoir général. Sans libre arbitre, la justice ne veut pas dire grand-chose. Dans ce cas, pourquoi ne pas activer le Parquet national financier (PNF) ?
Donner vie au PNF
Beaucoup de Congolais ne savent pas qu’il existe un parquet national financier en République démocratique du Congo. Pourtant, c’est depuis 1987 que le Parquet financier près la Cour des comptes existe, et dont Sultan Kayumba Nkudi est le procureur général. De toute manière, le rôle de ce parquet est défini dans la constitution, mais aussi dans la loi n°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques, la loi organique n°18/024 du 13 novembre 2018 relative à la Cour des comptes.
Concrètement, le parquet financier peut, à son initiative propre, mener des investigations pour déceler la faute de gestion pouvant conduire soit à la fraude fiscale, soit à la corruption d’un agent public, soit encore au détournement de deniers publics. Mais depuis qu’il existe, ce parquet n’a jamais rendu d’arrêt, sous prétexte que les litiges sont plutôt portés devant les juridictions judiciaires, souvent par ignorance.
Et pourtant, chaque jour qui passe, le citoyen lambda voit comment ceux qui ont le mandat public étalent le produit de leur enrichissement sans cause. La Radio Trottoir qui émet plus puissamment que les médias classiques dans notre pays, nous gave de ces récits croustillants à propos des mœurs politiques sur l’argent public. C’est la rumeur, dira-t-on ! Mais la Radio Trottoir, toujours elle, informe souvent mieux que les médias officiels sur les histoires underground pour lesquelles le Tout-Kin a un goût très vif.
À la suite donc du scandale politico-financier actuel, des observateurs pensent que le gouvernement se doit de doter le PNF d’instruments nouveaux permettant de faciliter la détection des infractions, de renforcer l’efficacité des poursuites et d’accroître le recouvrement des avoirs criminels qui en sont le produit. L’objectif est de lutter de manière déterminée contre toutes les formes de fraudes et d’immoralité portant atteinte à la solidarité nationale et à l’exemplarité de la République.
Comme partout dans le monde, le PNF doit être réellement chargé de traquer la grande délinquance économique et financière dans le pays car la création de cette institution judiciaire répond partout à une politique publique globale de transparence démocratique et de lutte contre les formes de fraudes les plus graves aux finances publiques et les atteintes à la probité. Vu sous cet angle, le PNF exerce l’action publique, requiert l’application de la loi dans son domaine de compétence, reçoit les plaintes et dénonciations, saisit les services de police aux fins d’enquête, procède ou fait procéder à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité (perquisitions, auditions, examens techniques ou scientifiques, etc.).
Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, tout citoyen a le devoir de transmettre au PNF tous les renseignements sur un crime économique ou délit financier. Le PNF devra recevoir toutes les plaintes ou dénonciations relevant de son domaine de compétence. Si la meilleure cour suprême, c’est le peuple, selon l’expression de Charles De Gaulle, la justice est alors le « chien de garde de l’exécutif », selon la formule de Michel Debré.