Les pluies font payer un lourd tribut à la capitale à cause de la détérioration de l’environnement. Au-delà des dégâts humains et matériels que l’on déplore, des experts demandent à l’État de se pencher sérieusement sur une nouvelle politique d’extension de la ville.
Les experts en urbanisme sont à peu près d’accord que les constructions anarchiques sont la cause principale des problèmes de Kinshasa en matière d’aménagement du territoire. Faute d’une bonne politique de l’habitat, la capitale paye un lourd tribut aux pluies qui sèment la désolation dans plusieurs quartiers. « C’est un problème de gouvernance », déplore un sinistré des dernières pluies dans la commune de Matete. Il dénonce le dysfonctionnement dans la répartition des compétences administratives entre le gouvernement central et l’exécutif urbain, ainsi que l’inadéquation des méthodes de gestion des immondices. Après la pluie, Kinshasa devient invivable.
L’inertie des autorités
Les pluies torrentielles provoquent l’éboulement des terrains. D’où la progression des érosions à travers la ville. Les autorités urbaines sont régulièrement accusées d’inertie et de ne pas appliquer à la lettre le plan d’aménagement et d’élargissement de la capitale. L’ONG SOS Kinshasa est favorable à toute initiative d’extension de la capitale aux fins de décongestionner le centre des affaires. Mais elle insiste sur une planification urbaine en adéquation avec les exigences universelles. Elle demande aux partenaires du gouvernement de l’aider à élaborer un nouveau plan général d’aménagement de Kinshasa.
Pour les spécialistes, il faut une démarche globale qui tienne compte de la protection de l’environnement, et conduise à ne plus construire des « cités dortoirs », mais à créer de nouveaux pôles de développement économique et social. Les experts recommandent que les aménagements futurs répondent aux normes universelles de construction et d’expansion des villes modernes, à l’instar de villes comme Nairobi, Tunis, Lagos, Luanda, Kigali avec comme préalable, la viabilisation et l’assainissement des sites avant toute construction.
Une ville à la merci des érosions
Sans viabilisation ni assainissement, les érosions finiront par engloutir Kinshasa. C’est pourquoi le député Martin Fayulu Madidi ne cesse d’interpeller le gouvernement à propos du plan général d’aménagement de la capitale. « Notre ville risque de disparaître si l’on n’y prend garde. Des mesures conséquentes et immédiates doivent être prises pour la sauver. Une ville évolue en fonction d’un plan d’aménagement général traduit sous forme de loi opposable à tous », explique-t-il. Ce plan est mis en place, d’après lui, en tenant compte des contraintes de développement communautaire. « Il identifie et articule l’interaction des pôles préalablement définis : emplois, services sociaux, éducation, sport, transport en commun, police, brigade des sapeurs-pompiers… », poursuit Martin Fayulu. Le plan d’aménagement est l’expression d’une agrégation optimale de différents objectifs contribuant à améliorer les conditions de vie de la population.
Actuellement, Kinshasa connaît un boom immobilier, alors que le système de canalisation et les procédures d’assainissement ne sont pas respectés. Les constructions contribuent à la création d’emplois et à l’embellissement de la ville, certes. Mais elles ne répondent aucunement aux exigences urbanistiques modernes. Les autorisations de bâtir sont délivrées, pour la plupart, en violation des normes. Selon un expert des services du cadastre, la majorité des immeubles qui poussent à travers la ville n’ont pas obtenu le certificat de qualité délivré en bonne et due forme.
Le lotissement du quartier GB dans la commune de Ngaliema, par exemple, est illustratif de l’exception kinoise. Kinshasa a été construite sur la base d’un plan général d’aménagement et de plusieurs plans particuliers adaptés à chaque commune. Ces différents plans tenaient compte du relief spécifique de la ville, qui va de la plaine aux collines. À en croire les spécialistes, la capitale congolaise est construite sur un vieux lac résiduel. Son sol est argileux et marécageux sur sa partie plaine et sablonneuse côté colline.
Aux origines de Kinshasa
La capitale est traversée par de nombreux ruisseaux et rivières qui subissent régulièrement le débit du fleuve Congo susceptible de l’inonder. Se fondant sur la forte propension de rétention d’eau, les colonisateurs belges avaient accordé la priorité à la mise en place d’un impressionnant réseau de caniveaux et de collecteurs. Ce réseau assurait un drainage efficace des eaux de pluies et du fleuve Congo. Jusque dans les années 1970, les eaux de pluies ne stagnaient pas dans la capitale. Depuis, l’exode rural, la croissance démographique estimée à 5,7% l’an, les lotissements et les constructions anarchiques ont favorisé la destruction du réseau de canalisation. Par ailleurs, le déversement intentionnel d’immondices dans les rivières a entraîné la réduction de leur lit.
Une nouvelle ville à l’est de Kinshasa
Le fait de ne plus curer les conduits s’est révélé comme le facteur causal de l’apparition et de la progression des érosions. Le plan directeur du Bureau d’études et d’aménagement urbain (BEAU), élaboré en 1975, entrevoyait l’aménagement d’une ville autonome vers la périphérie est. La nouvelle ville de Kinshasa devait partir de l’aéroport international de Ndjili à Maluku. Un système de transport en commun devait relier les deux villes de Kinshasa. D’après le père Léon de Saint-Moulin, qui vit à Kinshasa depuis 1959, Léopoldville avait sa limite sur l’actuelle avenue Kabinda en 1945. Un cimetière se trouvait à l’emplacement actuel de la Cité de la Voix du peuple ou de la Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC). L’aérodrome de Ndolo était à l’extrémité de la ville.
Les communes de Barumbu, Kinshasa, Saint-Jean (Lingwala) et Bandalungwa qui s’étendait jusqu’à Ngiri-Ngiri, Dendale (Kasa-Vubu) et Léo II (Kintambo) constituaient des anciennes cités. C’est au début des années 1950 que l’on avait loti la Nouvelle Cité, qui comprend les communes de Kasa-Vubu et de Ngiri-Ngiri. Jusque dans les années 1960, les communes de Ngaliema et de Mont Ngafula appartenaient à la province du Kongo-Central… Le premier plan de la ville, rappelle Léon de Saint-Moulin, avait prévu un grand nombre d’espaces verts. Un autre plan, plus élaboré, était conçu pour les cités dites planifiées. Ce fut d’abord le quartier Renkin, devenu Matonge, où les rues n’étaient pas perpendiculaires mais obliques et où des espaces plus larges étaient réservés aux équipements collectifs.
Entre 1945 et 1950, la population de Kinshasa avait doublé, passant de 50 000 à 100 000 habitants. Sous la pression, les Belges lotirent rapidement les nouvelles cités. Suite au chômage et aux difficultés sociales et démographiques, l’administration avait réglementé les séjours à Kinshasa. En 1967, un plan d’urbanisation prévoyait de limiter la population de la capitale à 2,5 millions d’habitants. Actuellement, elle a dépassé la barre de 10 millions. Selon certaines prévisions, la capitale aura 25 millions d’habitants à l’horizon 2020.