LA RÉPUBLIQUE démocratique du Congo a pris ses responsabilités. Elle financera, seule, les élections prévues le 23 décembre prochain. Sauf catastrophe naturelle. N’en déplaise à la communauté internationale, dont le soutien aux élections de 2006 et 2011 a été indéniable. Cependant, à quelque quatre mois de la tenue des scrutins – présidentiel, législatifs et provinciaux -, apparemment des doutes persistent, non seulement sur la capacité financière du gouvernement à organiser en solo ces élections, mais aussi quant à leur organisation à l’échéance prévue. Apparemment !
Dans certaines chancelleries occidentales à Kinshasa, voire à l’étranger, on est encore à se poser des questions, justement sur le financement sur fonds propres de ces élections. En tout cas, des diplomates occidentaux en poste à Kinshasa en doutent, et ils avouent même qu’ils n’ont pas la maîtrise de toutes les données du processus de décaissement des fonds en faveur de la Commission électorale nationale et indépendante (CENI) par le gouvernement.
On se souvient, début août, un tweet, sorti de nulle part, attribué à Henri Yav Mulang, ministre des Finances, a semblé jeter un pavé dans la mare. Selon ce fake new, le ministre des Finances alertait la classe politique de l’incapacité financière du gouvernement d’organiser les élections en décembre, et de ce fait, il invitait les politiciens à engager un dialogue en vue d’une transition politique. Heureusement, la réaction du cabinet du ministre des Finances a réagi rapidement à travers un communiqué pour démentir formellement.
Comme à son habitude, encore une fois, Joseph Kabila Kabange, le président de la République, aura fait durer le suspense jusqu’au bout. Le 19 juillet, au Palais du peuple, devant les parlementaires réunis en congrès, il déclare : « Aujourd’hui, notre modèle démocratique a fait ses preuves. Et tous ceux qui tentaient de s’improviser en donneur de leçons, l’ont bien compris. Le Congo n’ayant jamais donné des leçons à personne, il n’est pas disposé à en recevoir dans ce domaine, surtout pas de la part de ceux qui ont assassiné la démocratie dans ce pays et ailleurs sur le continent. »
Et il poursuit : « Je me dois de rappeler, à ce sujet, que ce ne sont ni des accusations gratuites et infondées ni des pressions ou menaces inconsidérées, et encore moins des sanctions arbitraires et injustes qui nous détourneront de la voie que nous nous sommes pourtant tracée nous-mêmes, volontairement et librement. Le cap des troisièmes consultations électorales, fixées en décembre prochain, reste donc maintenu. Notre engagement à respecter la Constitution demeure lui aussi non équivoque. »
Baroud d’honneur
Pour le président de la République, il s’agit, d’abord, « d’honorer le sens de notre lutte ; ce pour quoi nous nous sommes tant sacrifiés avec tant d’autres compagnons tombés sur le champ d’honneur, à savoir : redonner la parole longtemps confisquée à notre peuple et libérer ses énergies en vue de rebâtir un pays souverain et indépendant ». « C’est pour les mêmes raisons, a-t-il dit, que nous avons tenu également à affranchir notre processus électoral des contingences du financement extérieur et, par conséquent, des chantages de tous genres, afin de créer les meilleures conditions pour notre peuple de conférer sa pleine légitimité à ceux et celles qui sortiront vainqueurs de ces consultations. »
En clair, Joseph Kabila a réaffirmé donc que, désormais, les élections en RDC seront « réellement une affaire de souveraineté » et qu’elles seront en conséquence, « entièrement financées par l’État congolais ». Un défi qui résonne comme un pied de nez ! Même si le président de la République a pris soin de nuancer : « Loin de relever de la suffisance, encore moins de l’arrogance, il s’agit plutôt d’une option politique responsable qui donne un sens à notre indépendance et à notre dignité nationale. »
Indépendance et dignité nationale, les mots sont lâchés. Mais de quelle indépendance et de quelle dignité Joseph Kabila parle-t-il ? Vigilance et patriotisme. Surtout de la classe politique, toutes tendances confondues. Pour lui, les prochaines élections, « ouvertes du reste à tous ceux qui en réunissent les conditions légales d’éligibilité (sic !) », devront être « un moment de célébration de la cohésion et de l’unité nationales », afin que « seul le Congo puisse sortir vainqueur de ces consultations », afin que « vivent la paix, la stabilité, l’unité et le développement de notre pays ». Des atouts qui sont indispensables à l’activité économique.
Personnage clé
Un diplomate africain dont le pays est membre de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) confiait récemment à « Business et Finances » : « C’est maintenant qu’on apprend à connaître le président Kabila. Au fond de son regard, voire de sa voix, tout est calcul et non complaisance. Tenez, à travers ce discours du bilan de sa présidence, il semble nous dévoiler un pan de sa personne. Sans doute la culture anglo-saxonne sur laquelle il est moulé, doublée de l’éducation familiale sous le harnais d’un père autoritaire y est pour quelque chose. Les Anglo-Saxons ont ceci de comportemental ou de culturel : ils ne font jamais ou cas de ce qui est négatif, de ce qui est accessoire, tandis que les Francophones se délectent bien souvent des scandales… »
Pour ce diplomate, JKK est « l’un des personnages clés de la démocratisation en RDC ». Et de rappeler : « Pendant son parcours, il est resté droit dans ses bottes, pragmatique, ne cédant à aucun moment ni à la provocation ni aux injonctions internationales. Pour lui, ce qui compte c’est l’essentiel, peu importe ce qu’on dira. Et l’essentiel pour le Congo, c’est la paix, la stabilité et le développement, sans lesquels ce pays-locomotive ne peut pas tirer les autres vers le haut. Vous comprenez pourquoi la SADC tient tant à ce que la paix et la stabilité règnent en RDC. »
Pragmatisme
En cette fin de second mandat présidentiel, les Occidentaux voulaient que JKK ne soit plus déjà le personnage principal de la tragédie congolaise. Tout au plus la victime expiatoire et lui voler définitivement la vedette. Depuis septembre 2016, l’opposition radicale, des mouvements citoyens, les laïcs catholiques ont tenté d’occuper la rue pour réclamer les élections. La communauté internationale, l’Union européenne et les États-Unis en tête de peloton, ont tenté d’isoler le président Kabila et ses soutiens. On repasse encore, sans doute, le film des événements.
« Mais le président est resté serein… Dans son for intérieur, il savait que les élections auront lieu du moment où les finances de l’État l’auront permis », confie un des porte-parole de la majorité présidentielle. Le président devenu « bête noire » des Occidentaux ne fait pas connaître officiellement ses intentions sur l’organisation des élections. Il observe la plus grande discrétion. De même, les membres du gouvernement, voire ceux de la CENI, auraient reçu formellement la consigne de ne rien fuiter sur le dossier du financement du processus électoral.