DANS le classement 2019 du Doing Business de la Banque mondiale, la République démocratique du Congo a perdu deux places. Doing Business est l’un des baromètres annuels les plus suivis dans le monde pour l’appréciation du climat des affaires dans un pays. Selon Albert Yuma Mulimbi, le président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), la RDC est dans une situation de dégradation de l’environnement des affaires « très difficile ». Et cela est d’ailleurs confirmé, dit-il, par Ernst Young dans son étude « Attractiveness Program Africa » sur l’attractivité des investissements directs étrangers (IDE) en RDC.
Le président de la FEC note que l’économie de la RDC reste « toujours dépendante du seul secteur extractif. Dans pareille situation, cela va de soi que l’État est à la merci des opérateurs de ce secteur. « On a vu en 2018, lors de la renégociation sur le code minier et le règlement minier, les industriels du secteur prendre des postures qu’ils n’oseraient jamais prendre dans aucun autre pays au monde », a fustigé Albert Yuma lors de la cérémonie d’échange de vœux à la FEC.
Dysfonctionnements préjudiciables
De manière plus microéconomique, a souligné le président de la FEC, les opérateurs économiques continuent de déplorer les « dysfonctionnements gouvernementaux, le non-respect de la hiérarchie administrative dans l’édiction de textes réglementaires et de l’application de dispositions réglementaires par les agents de l’État eux-mêmes ». Ces derniers ont pris l’habitude de considérer leurs fonctions comme des charges et leur administration comme leur patrimoine, a encore dénoncé le président de la FEC.
D’ailleurs, à maintes fois, le patronat s’est élevé auprès des autorités compétentes contre des situations qu’Albert Yuma qualifie au mieux d’« irrégulières » et au pire d’« irrationnelles et incohérentes ». Ces situations sont le plus souvent restées ignorées, voire carrément rejetées par ces mêmes autorités. Et comme si cela ne suffisait pas, les requêtes du patronat introduites auprès des instances judiciaires compétentes tendant à les faire annuler, n’ont pas été suivies des décisions dans le délai requis, exposant ainsi les entreprises au risque de paiements indus et de tracasseries diverses.
Les exemples en cette matière sont légion. Et Albert Yuma d’en citer quelques-uns. Premièrement : la redevance logistique terrestre (RLT). Initialement instituée pour une période de deux ans, le produit de la RLT n’a pas servi à l’objet pour lequel elle a été destinée, c’est-à-dire assurer le financement de la réhabilitation et de nouveaux projets ferroviaires de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP SARL, ex-ONATRA). Par voie d’arrêté interministériel, déplore la FEC, la perception de cette redevance a été illégalement généralisée dans tous les postes frontaliers du pays, même dans les provinces où il n’existe pas un seul kilomètre de chemin de fer, renchérissant ainsi inutilement les prix aussi bien des produits destinés au marché intérieur que ceux des produits à l’export.
Deuxièmement : les prestations de l’Office national du café (ONC). Elles ont été illégalement étendues aux autres produits agricoles alors que le texte légal créant cet office lui reconnaît les compétences d’assurer la promotion de la culture et le commerce seulement du café. Pour la FEC, la dernière décision du 1ER Ministre portée par son décret transformant l’ONC en l’ONAPAC n’a résolu aucun problème mais, au contraire, en crée d’autres en multipliant le conflit des compétences ouvert entre institutions en matière de contrôle et expose les entreprises au double emploi d’intervenants et de paiements.
Troisièmement : l’augmentation non justifiée du taux des droits de trafic maritime. Par voie d’arrêté, le ministre en charge des transports a majoré ce taux de plus de 360 %, en toute violation des dispositions légales et réglementaires en la matière, selon la FEC.
Quatrièmement : la perception de la taxe de promotion de l’industrie (TPI). La FEC estime que la TPI est perçue « sans fondement juridique », à l’occasion des importations effectuées par les sociétés minières, alors que le code minier prescrit l’exclusivité et l’exhaustivité de la perception dans ce secteur. D’ailleurs, à ce propos, la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (LICOCO) s’insurge contre l’instruction du 1ER Ministre. Elle la qualifie d’« illégale et violant le code minier ».
Pour rappel, la TPI a été instituée par l’ordonnance-loi n°89-031 du 7 août 1989. Elle est perçue à l’importation sur les marchandises de toute provenance, assujetties aux conditions du tarif des droits et taxes à l’importation, à moins qu’elles n’en soient expressément exonérées. Curieux tout de même, les opérateurs miniers paient la TPI sans y opposer la moindre objection, alors qu’aucune disposition du code minier ne l’autorise. La LICOCO redoute que cette taxe ne vienne encore empoisonner le climat des affaires déjà mal en point. « Les taxes, redevances et autres impôts sont bien définis dans le code minier. Si on veut y ajouter d’autres, le service concerné doit recourir au processus législatif. Aujourd’hui, les sociétés minières paient la TPI, la RLT et la taxe due à l’OGEFREM alors qu’elles ne sont pas reconnues par le code minier », insiste la LICOCO.
Instabilité et complexités
Cinquièmement : l’instauration de frais techniques par l’hygiène aux frontières. Pour la FEC, cette décision est prise en violation du décret du 1ER Ministre qui les avait interdits.
Sixièmement : le paiement d’un droit d’accise spécial. La FEC estime que la réclamation par la Direction générale des douanes et accises (DGDA) du paiement au taux de 20 % de ce droit est « sans soubassement requis ».
Septièmement : l’attribution à l’Office national du tourisme (ONT) des redevances perçues par la Direction générale des recettes administratives, domaniales, judiciaires et des participations (DGRAD) au profit du Trésor public. Pour la FEC, un arrêté ministériel ne peut pas abroger les dispositions d’une ordonnance-loi. Il y a donc risque de double imposition pour les entreprises de ce secteur.
Et huitièmement : les décisions illégales tendant à déposséder irrégulièrement les entreprises de leurs avoirs immobiliers et fonciers. Malgré le fait que la propriété privée est garantie par la constitution et que les actifs des entreprises sont acquis en bonne et due forme et couverts par des titres, des mesures sont prises en violation de la loi, déplore la FEC. Ce qui a le désavantage de multiplier les conflits et surtout fragiliser les garanties offertes pour l’obtention d’un crédit à l’investissement et limiter l’accès au financement, particulièrement pour le développement des PME/PMI. Tout en souscrivant à la réforme en cours dans ce secteur, la FEC est d’avis que « la sécurisation des titres demeure une nécessité ».
Face à cette situation qui est principalement caractérisée par un cadre macroéconomique « peu propice au développement de l’activité des opérateurs-investisseurs » et un appareil d’État qui « ne joue pas le rôle qu’il devrait de soutien du secteur privé », y aurait-il des raisons d’espérer ? L’année 2018, tout comme l’année 2017, ont été caractérisées par une certaine instabilité gouvernementale, peu favorable à la mise en œuvre des politiques pérennes et durables.
À cela s’ajoutent certaines complexités issues des compromis politiques qui ont conditionné ces équilibres. Il est donc tout à fait normal que les réformes majeures n’aient pas pu être mises en œuvre par les gouvernements successifs et que des administrations se sentent parfois autorisées à prendre certaines libertés avec les textes. Cette situation a conduit à une sorte d’immobilisme généralisé dans un grand nombre de ministères. Elle n’a pas été non plus propice aux investissements dans tous les secteurs d’activités, plus particulièrement dans l’agriculture et l’industrie. Les opérateurs craignant l’incertitude et le risque ont préféré attendre le dénouement du processus électoral dans une position de retrait. Les élections se sont déroulées de la façon que tout le monde sait. Est-ce pour autant suffisant pour dire que les perspectives sont désormais claires pour les cinq ans à venir ?