A quelque chose malheur est bon. Le mépris de Donald Trump à l’égard des Européens, hier au G7 ou au sommet de l’Otan, aura eu au moins le mérite de les forcer à reconnaître ce qu’ils n’ont pas voulu voir depuis près de trente ans : avec l’effondrement de l’Union soviétique, l’Europe a perdu sa valeur stratégique pour l’Amérique.
Ce n’est pas nouveau. Avec candeur, Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la Défense de George W. Bush, disait déjà en 2002 que c’était « la mission [qui] détermine la coalition », ce qui est la négation d’une alliance permanente. A sa façon, Barack Obama a poursuivi le désintérêt de l’Amérique pour l’Europe. Avec brutalité, Trump parachève le mouvement en décrétant que l’Alliance atlantique est « obsolète, que les Européens ne sont pas des alliés, mais des concurrents économiques et que » l’Union européenne est « pire que la Chine en plus petit ».
Avec une différence notable donc : là où ses prédécesseurs ne faisaient preuve que d’indifférence, Trump ajoute l’hostilité ouverte et milite pour le démantèlement de l’Union européenne. Si bien que, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ajoutent leurs forces à celles de la Russie et de la Chine, pour oeuvrer à l’éclatement de l’Union européenne.
Un électrochoc pour l’Europe ?
Face à cette situation, les Européens ont jusqu’ici réagi avec un mélange d’anxiété, de frustration, de résignation et, depuis l’annonce de la sortie de l’accord sur le nucléaire iranien, l’imposition de droits sur l’acier et l’aluminium, et le fiasco du G7, avec un début d’irritation. Il reste que les grandes entreprises européennes se retirent d’Iran pour ne pas encourir de sanctions de la part de Washington et que la tendance en Europe est plus au nationalisme, au populisme et aux égoïsmes nationaux qu’à la solidarité et à l’unité.
Plus fondamentalement, les Européens, qui dépendent des Etats-Unis pour leur sécurité, du dollar pour leur commerce et de la Russie pour leur approvisionnement, se sont jusqu’ici refusés à raisonner en termes stratégiques.
Est-ce que cela peut changer ? A force d’insulter et d’humilier les Européens, Donald Trump ne va-t-il pas être un formidable moteur de l’unité européenne et provoquer le fameux sursaut qu’on attend depuis tant d’années ? Pour cela, il faudra beaucoup plus que les timides avancées en matière de défense, que les réponses tièdes et tardives de Mme Merkel aux propositions du président Macron. Il faut en réalité une « crise clarificatrice et salvatrice pour placer chaque pays d’Europe face à ses responsabilités », selon la formule d’Hubert Védrine. Cette crise, il la faut d’abord entre la France et l’Allemagne
Maintenir l’objectif commun
La chancelière allemande a fait grand bruit lorsqu’elle a déclaré que l’Europe ne peut plus compter sur les autres et doit désormais prendre son destin en main. Sauf que, dans le même temps, l’Allemagne continue de marteler son opposition à toute « union de transferts financiers », donne le sentiment de s’éloigner du projet européen et, après avoir largement bénéficié de l’euro et du marché unique, regarde plutôt vers les marchés internationaux. Or, une façon de résister aux mesures extraterritoriales américaines serait de renforcer l’euro comme monnaie de référence dans les transactions internationales afin de ne plus dépendre du dollar.
Quant à la France, le président Macron se trouve dans une situation singulière : il a misé sur une coopération franco-allemande refondée pour faire avancer l’Europe. Or, non seulement l’Allemagne n’est pas au rendez-vous mais l’Europe craque de toute part face à l’hostilité des partis et des citoyens. On ne sortira pas de cette situation avec des discours incantatoires.
L’objectif doit rester de créer à terme les conditions d’une souveraineté européenne en renforçant tous les moyens d’y parvenir : monnaie, budget, défense, énergie, innovation et, dans l’immédiat, la recherche urgente d’un consensus sur la définition d’une politique commune de l’immigration. Mais il faut aussi rassurer les citoyens sur leur avenir.
Comment y parvenir alors que la maison brûle ? Au lendemain de l’échec de la CED (Communauté européenne de défense), les Six ont eu l’idée de la conférence de Messine qui a sonné la relance de la construction européenne et a débouché sur la signature du traité de Rome et la création du Marché commun. C’est une démarche similaire qui s’impose aujourd’hui si l’on veut éviter le naufrage de l’Europe.