QUELS qu’ils soient, les entrepreneurs comptent sur les investissements, et c’est souvent là que le bât blesse, en ce qui concerne l’Afrique. Obtenir des fonds s’avère souvent difficile, aussi bien pour les petits commerçants qui veulent ouvrir un compte en banque que pour les entreprises qui sollicitent un prêt en vue de se développer. Les pays africains comptent, eux aussi, sur les inves- tissements. Aujourd’hui, ils ont tout particulièrement besoin de capi- taux pour pouvoir s’adapter aux effets du changement climatique et prendre part à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le changement climatique ajoute un caractère d’urgence aux besoins en capitaux existants, que ce soit en matière d’infrastructure, d’agri- culture, de santé et d’éducation. Pour Jean-Claude Bastos de Morais, le fondateur suisso-angolais de l’African Innovation Foundation (AIF), créée en 2009 afin de soutenir l’esprit d’innovation sur le conti- nent, les innovateurs africains qui s’emploient déjà à répondre aux défis du continent, ne doivent pas hésiter à se tourner vers l’inter- national pour exporter leurs solu-
tions. « Pour que l’Afrique atteigne une croissance économique durable et atténue la pauvreté, il est néces- saire de s’attaquer au déficit de sa balance commerciale », déclare-t-il.
Solutions locales
D’après lui, le continent continue d’importer des produits alimen- taires et des vêtements de base, alors qu’elle aurait la capacité non seulement de se maintenir, mais aussi d’exporter ce qu’elle produit. « Le continent regorge d’entre- preneurs et d’innovateurs qui se sont engagés à trouver de nouvelles solutions pour relever les défis les plus complexes de la région, mais ont-ils les moyens d’aller plus loin, sur les marchés internationaux ? », se demande-t-il. La sécurité alimen- taire est un des problèmes les plus urgents à résoudre sur le continent. Aujourd’hui, alors que l’agricul- ture est le principal employeur du continent et l’une de ses industries à la croissance la plus rapide, seu- lement 5 % des céréales importées en Afrique proviennent des pays africains voisins. Ilyadoncunproblème:«Aucours des dernières années, les innova- teurs africains ont contribué à la production agricole dans la région
grâce au développement de nou- velles techniques et de nouveaux engrais », explique-t-il. L’un des lauréats de l’édition 2013 du Prix de l’innovation pour l’Afrique (IPA), un programme emblématique de l’African Innovation Foundation, a ainsi inventé l’Agriprotéine, une méthode qui utilise des déchets et des larves de mouches pour pro- duire une alimentation animale na- turelle plus écologique, plus élevé en valeur nutritive et plus rentable pour les agriculteurs africains. Ses concepteurs ont réussi à lever plus de 11 millions de dollars en un an, et un montant supplémentaire de 17,5 millions de dollars en 2016, ce qui leur a permis de concrétiser leur projet en fondant des entre- prises d’élevage d’insectes. Ils ont également construit deux fermes de mouches commerciales à grande échelle. « Le continent africain ne peut pas se permettre de continuer à importer ses produits, alors qu’il présente la plus forte croissance du capital humain au monde », s’insurge Jean-Claude Bastos de Morais. Un autre gagnant, Alex Mwaura Muriu, du Kenya, a déve- loppé le Farm Capital Africa, un modèle de financement des agro- entreprises par partage des risques : les investisseurs recevant une partie des bénéfices de l’agriculture en échange de leur participation. Cette initiative identifie, analyse et sélectionne de petits exploitants et les aide à concevoir des plans agricoles pour attirer les investis- seurs potentiels qui réalisent des bénéfices au fil du temps. Nombre d’entreprises africaines innovantes ont réussi à développer des solutions africaines aux défis africains. « Il est temps pour elles d’ouvrir de nouvelles opportunités de collaboration avec des entre- prises étrangères, des investisseurs et des entreprises africaines ambi- tieuses, afin d’évoluer et d’exporter à l’échelle mondiale », estime le fondateur de l’AIF.
Leapfrog
L’Afrique doit créer un environ- nement propice aux technologies, en investissant notamment dans l’éducation. Ce sont des experts qui le recommandent. D’après eux, elle peut et doit sauter des étapes pour accélérer son développement et s’imposer comme le royaume de l’innovation. Il est en tout cas évident que la technologie et l’inno- vation sont en train de transformer le continent africain.
Tout le monde a entendu parler de M-Pesa, ce service de paiement par téléphone portable qui a, de facto, propulsé le Kenya au rang de leader mondial de la banque mo- bile. En Afrique subsaharienne, le téléphone portable fait désormais office de banque pour des millions de personnes qui n’avaient aucun espoir de pouvoir un jour ouvrir un compte bancaire traditionnel. En appuyant sur un simple bou- ton, les petits exploitants peuvent déterminer le prix de vente de leur production. Mais le téléphone por- table sert aussi à acheter de l’éner- gie solaire, à passer un électrocar- diogramme grâce à une tablette médicale au fin fond du Cameroun ou à livrer du sang par drone au Rwanda.
Plusieurs conditions sont encore nécessaires pour faire de l’Afrique une terre d’innovation : investir massivement dans les infrastruc- tures, instaurer une réglementation favorable à de nouveaux modèles économiques et, bien entendu, mettre l’accent sur la recherche et le développement, ainsi que sur la science et la technologie. Dans les plus grandes usines d’assemblage de téléphones portables en Chine, presque tous les jeunes ouvriers
n’ont qu’un diplôme de fin d’études secondaires mais se connaissaient probablement mieux en informa- tique que la plupart des Africains diplômés d’université. L’innovation requiert une main- d’œuvre suffisamment formée et un système éducatif solide. Selon le Rapport sur le développement dans le monde consacré à l’édu- cation, en Afrique, la majorité des enfants qui rentrent en sixième ont d’énormes lacunes en lecture et en maths. En Afrique, la moitié des adultes ne sont jamais allés à l’école ou ont uniquement fréquen- té l’enseignement primaire. Il faut donc ces adultes de compétences informatiques de base. La techno- logie évolue à un rythme tel que les pays ne peuvent se contenter de rattraper leur retard, la moi- tié des pays affichant les vitesses de connexion à Internet les plus faibles se trouvent en Afrique sub- saharienne.
Partout en Afrique, rien ne semble pouvoir arrêter les jeunes qui ont accès à Internet… dès lors qu’ils disposent des financements pour déployer tout leur potentiel. Sur l’ensemble du continent, des jeunes entrepreneurs talentueux sont en train de changer leur pays, start-up après start-up. Dès qu’ils voient un problème, ils essaient d’y remédier. En trouvant des solutions locales, ils pourraient devenir l’une des principales sources de création d’emplois dans leur pays.
Qu’il s’agisse de petites start-up ou de grands projets d’infrastructures visant à électrifier le continent, par exemple, le principal obstacle reste souvent le manque de finance- ments. Les énergies renouvelables confèrent à l’Afrique une occasion unique de se développer. Saura- t-elle la saisir ? L’Afrique devra investir massivement dans ce sec- teur. Des mécanismes de finance- ment non conventionnels peuvent s’avérer utiles, par exemple, dans le domaine des infrastructures. Toutes les tentatives n’aboutiront pas : les pays africains, le secteur privé et les partenaires de déve- loppement doivent être prêts à prendre des risques et à apprendre de leurs échecs. Mais une chose est sûre : faire preuve d’audace et considérer les obstacles comme des opportunités. Ce n’est qu’ainsi, et en créant un environnement propice à la diffusion des technolo- gies, que l’Afrique pourra mettre à profit l’innovation et s’approprier le XXIe siècle.