En matière d’innovation, les Africains plébiscités grands entrepreneurs

DAVID LUYEYE

Quels qu’ils soient, les entrepreneurs comptent sur les investissements, et c’est souvent là que le bât blesse en ce qui concerne l’Afrique. Obtenir des fonds s’avère souvent difficile, aussi bien pour les petits commerçants qui veulent ouvrir un compte en banque que pour les entreprises qui sollicitent un prêt en vue de se développer. Les pays africains comptent, eux aussi, sur les investissements. Aujourd’hui, ils ont tout particulièrement besoin de capitaux pour pouvoir s’adapter aux effets du changement climatique et prendre part à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le changement climatique ajoute un caractère d’urgence aux besoins en capitaux existants, que ce soit en matière d’infrastructure, d’agriculture, de santé et d’éducation.

Des solutions locales pour un objectif global

Jean-Claude Bastos de Morais, le fondateur suisso-angolais de l’African Innovation Foundation (AIF), créée en 2009 afin de soutenir l’esprit d’innovation sur le continent. Pour le fondateur de l’AIF basée à Zurich en Suisse, les innovateurs africains qui s’emploient déjà à répondre aux défis du continent, ne doivent pas hésiter à se tourner vers l’international pour exporter leurs solutions. « Pour que l’Afrique atteigne une croissance économique durable et atténue la pauvreté, il est nécessaire de s’attaquer au déficit de sa balance commerciale », déclare-t-il. D’après lui, le continent continue d’importer des produits alimentaires et des vêtements de base, alors qu’elle aurait la capacité non seulement de se maintenir, mais aussi d’exporter ce qu’elle produit. « Le continent regorge d’entrepreneurs et d’innovateurs qui se sont engagés à trouver de nouvelles solutions pour relever les défis les plus complexes de la région – mais ont-ils les moyens d’aller plus loin, sur les marchés internationaux ? », s’interroge-t-il.

La sécurité alimentaire est un des problèmes les plus urgents à résoudre sur le continent. Aujourd’hui, alors que l’agriculture est le principal employeur du continent et l’une de ses industries à la croissance la plus rapide, seulement 5 % des céréales importées en Afrique proviennent des pays africains voisins. Il y a donc un problème. « Au cours des dernières années, les innovateurs africains ont contribué à la production agricole dans la région grâce au développement de nouvelles techniques et de nouveaux engrais, explique-t-il. L’un des lauréats de l’édition 2013 du Prix de l’innovation pour l’Afrique (IPA) – un programme emblématique de l’African Innovation Foundation – a ainsi inventé l’Agriprotéine, une méthode qui utilise des déchets et des larves de mouches pour produire une alimentation animale naturelle plus écologique, plus élevé en valeur nutritive et plus rentable pour les agriculteurs africains. »

Ses concepteurs ont réussi à lever plus de 11 millions de dollars en un an, et un montant supplémentaire de 17,5 millions de dollars en 2016, ce qui leur a permis de concrétiser leur projet en fondant des entreprises d’élevage d’insectes. Ils ont également construit deux fermes de mouches commerciales à grande échelle. Le continent ne peut pas se permettre de continuer à importer ses produits. Un autre gagnant, Alex Mwaura , du Kenya, a développé le « Farm Capital Africa », un modèle de financement des agro-entreprises par partage des risques : les investisseurs recevant une partie des bénéfices de l’agriculture en échange de leur participation. Cette initiative identifie, analyse et sélectionne de petits exploitants et les aide à concevoir des plans agricoles pour attirer les investisseurs potentiels qui réalisent des bénéfices au fil du temps.

Nombre d’entreprises africaines innovantes ont réussi à développer des solutions africaines aux défis africains. Il est temps pour elles d’ouvrir de nouvelles opportunités  avec des entreprises étrangères, des investisseurs et des entreprises africaines ambitieuses, afin d’évoluer et d’exporter à l’échelle mondiale. « Le continent ne peut pas se permettre de continuer à importer ses produits alors qu’il présente la plus forte croissance du capital humain au monde », estime Jean-Claude Bastos de Morais.

« L’Afrique, futur royaume de l’innovation ? »

Pour Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale, le continent doit créer un environnement propice aux technologies en investissant notamment dans l’éducation. D’après lui, l’Afrique peut et doit sauter des étapes pour accélérer son développement et s’imposer comme le royaume de l’innovation. Il est en tout cas évident que la technologie et l’innovation sont en train de transformer le continent africain.

Tout le monde a entendu parler de M-Pesa, ce service de paiement par téléphone portable qui a, de facto, propulsé le Kenya au rang de leader mondial de la banque mobile. En Afrique subsaharienne, le téléphone portable fait désormais office de banque pour des millions de personnes qui n’avaient aucun espoir de pouvoir un jour ouvrir un compte bancaire traditionnel. En appuyant sur un simple bouton, les petits exploitants peuvent déterminer le prix de vente de leur production. Mais le téléphone portable sert aussi à acheter de l’énergie solaire, à passer un électrocardiogramme grâce à une tablette médicale au fin fond du Cameroun ou à livrer  du sang par drone au Rwanda.

Cependant, ces réussites masquent une réalité moins radieuse. Plusieurs conditions sont nécessaires pour faire de l’Afrique une terre d’innovation : investir massivement dans les infrastructures, instaurer une réglementation favorable à de nouveaux modèles économiques et, bien entendu, mettre l’accent sur la recherche et le développement, ainsi que sur la science et la technologie. « Lors d’un voyage dans la province du Guangdong, en Chine, il y a quelques années, rapporte Makhtar Diop, j’ai visité l’une des plus grandes usines d’assemblage de téléphones portables au monde. J’ai été surpris de constater que presque tous les jeunes ouvriers que j’ai rencontrés n’avaient qu’un diplôme de fin d’études secondaires mais s’y connaissaient probablement mieux en informatique que la plupart des Africains diplômés d’université ». De fait, souligne-t-il, l’innovation requiert une main-d’œuvre suffisamment formée et un système éducatif solide. Selon le Rapport sur le développement dans le monde consacré à l’éducation, en Afrique, la majorité des enfants qui rentrent en sixième ont d’énormes lacunes en lecture et en maths. Ceci est inacceptable. Le Kenya est parvenu à raccorder des écoles rurales très isolées au réseau électrique et à leur fournir un accès à Internet. En 2016, 95 % des écoles du pays avaient l’électricité, contre seulement 43 % en 2013. Plus de 90 000 enseignants ont reçu une formation à l’éducation numérique et l’apprentissage en ligne a été introduit dans plus de 18 000 écoles primaires. Ces investissements porteront leurs fruits.

En Afrique, la moitié des adultes ne sont jamais allés à l’école ou ont uniquement fréquenté l’enseignement primaire. « Si l’on veut que personne ne reste sur le bord du chemin, il faut doter ces adultes de compétences informatiques de base. La technologie évolue à un rythme tel que les pays ne peuvent se contenter de rattraper leur retard (la moitié des pays affichant les vitesses de connexion à Internet les plus faibles se trouvent en Afrique subsaharienne) », préconise Makhtar Diop.

Pour qui, « il faut faire preuve d’audace ». D’Accra à Dar es-Salaam, dit-il, rien ne semble pouvoir arrêter les jeunes qui ont accès à Internet… dès lors qu’ils disposent des financements pour déployer tout leur potentiel. Les start-up africaines ont levé 129 millions  USD  de financements en 2016. Il s’agit certes d’un montant honorable, mais ce n’est qu’une goutte d’eau par rapport aux sommes dont ils auraient besoin, pense-t-il. Sur l’ensemble du continent, poursuit-il, il rencontre des jeunes entrepreneurs talentueux, qui sont en train de changer leur pays, start-up après start-up. Dès qu’ils voient un problème, ils essaient d’y remédier.

« En trouvant des solutions locales, parie-t-il, ils pourraient devenir l’une des principales sources de création d’emplois dans leur pays. Qu’il s’agisse de petites start-up ou de grands projets d’infrastructures visant à électrifier le continent, par exemple, le principal obstacle reste souvent le manque de financements. » Les énergies renouvelables confèrent à l’Afrique une occasion unique de se développer. Saura-t-elle la saisir ? Pour Makhtar Diop, l’Afrique devra investir massivement dans ce secteur,