«J’ai écouté les principaux candidats à la présidentielle et je ne les ai jamais entendus parler de ce que vivent les albinos », regrette Kondo Seif, porte-parole de Sous le même soleil Tanzanie (UTSS), la section locale d’une ONG canadienne qui lutte pour le droit à la dignité des albinos.
Il aura fallu attendre la dernière semaine de campagne des élections générales qui se tiennent le 25 octobre en Tanzanie pour que John Magufuli, candidat à la présidentielle du parti au pouvoir, le CCM (Chama Cha Mapinduzi, « Parti de la révolution »), aborde la question des albinos. Depuis 2006, soixante-seize personnes atteintes d’albinisme ont été tuées dans ce pays d’Afrique de l’Est en raison de croyances qui leur prêtent des pouvoirs maléfiques. Dans la région des Grands Lacs, des mineurs et des pêcheurs en quête de prospérité ont recours à la sorcellerie pour obtenir grigris et potions à base d’organes d’albinos.
« Cette année, des attaques et des meurtres ont été reportés en Tanzanie mais aussi au Malawi, au Mozambique et au Kenya. Les autorités de ces pays ont lié ces crimes aux élections tanzaniennes », explique Vicky Ntetema, directrice d’UTSS et ancienne journaliste à la BBC.
En mars, quatre condamnations à mort avaient été prononcées contre des personnes reconnues coupables du meurtre, en 2008, d’une femme atteinte d’albinisme. Les autorités tanzaniennes ont également réaffirmé à plusieurs reprises qu’elles mettraient un terme à ces atrocités en durcissant la loi sur l’interdiction de la pratique de la sorcellerie, qui date de 1928. Selon une étude réalisée par le Pew Research Center, plus de 60 % des Tanzaniens croiraient en la sorcellerie.
Un sujet tabou
Dans une maison située en périphérie de Dar es-Salaam, un « docteur traditionnel », comme il se définit lui-même, affirme qu’il assiste à une augmentation des consultations de politiciens en période électorale. « Ils viennent pour s’assurer une victoire. Certaines personnalités envoient même des intermédiaires pour ne pas prendre le risque d’être vues. »
Mathias Chikawe, actuel ministre de l’intérieur, affirme connaître des politiciens ayant recours à la sorcellerie, bien qu’il récuse le lien entre meurtre d’albinos et élections. « Les attaques d’albinos sont essentiellement liées à une élite économique et aux activités des mineurs et des pêcheurs de la région des Grands Lacs. »
« La sorcellerie est un sujet tabou en Tanzanie. Beaucoup disent qu’ils ne consultent pas les sorciers et qu’ils n’y croient pas, mais nous savons que ces pratiques restent fortement ancrées dans la société », ajoute le ministre.
Pourtant Vicky Ntetema dénonce ce qu’elle considère comme le faible engagement des différents candidats aux élections du 25 octobre à lutter efficacement contre les mauvais traitements infligés aux albinos. « Aucun d’eux n’a dit comment il comptait mettre fin à ces atrocités ni de quelle manière il aiderait les albinos à accéder aux services de santé et d’éducation », déplore-t-elle. Pour la responsable associative, les discriminations sont si fortes que « beaucoup de personnes atteintes d’albinisme ont été écartées lors de la sélection des candidats aux législatives ».
En Tanzanie, pays de près de 50 millions d’habitants, une personne sur 1 400 serait atteinte de cette maladie génétique qui se caractérise par une déficience de mélanine et une dépigmentation de la peau.