LA force est à la loi. Cette situation doit cesser rapidement, a tranché le vif Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le chef de l’État. Il souhaite que le gouvernement organise dans un bref délai les états généraux du commerce de détail. En fait, une Grenelle pour n’en percevoir que les résultats les plus concrets. Objectif : l’expansion et la promotion du commerce réservé aux opérateurs économiques locaux.
Dans son discours-programme de septembre 2019 à l’Assemblée nationale, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre, avait réaffirmé que « le gouvernement va s’assurer également que s’applique désormais sans faille la législation sur le petit commerce réservé aux seuls nationaux ». Et par là même favoriser, à travers un accompagnement spécifique et particulier, « l’émergence des grands hommes et grandes femmes d’affaires congolais ».
En effet, à ses yeux, il n’est pas juste que « dans un pays comme le nôtre, que l’on continue à s’accommoder de la triste réalité qui voudrait que les grandes fortunes n’appartiennent qu’à des étrangers, et que les autochtones ne courent que derrière les petits intérêts ».
Un constat d’échec qui renseigne que le commerce de gros et de détail est entre les mains des étrangers, pour la plupart des Indo-pakistanais, des Libanais et des Chinois. Un détour dans le centre-ville ou sur la principale avenue marchande de Kinshasa, à savoir l’avenue du commerce, suffit pour s’en convaincre. Partout dans le pays, les commerçants locaux sont relégués au second plan, parfois avec la complicité des autorités du pays. Sur l’avenue du commerce à Kinshasa, derrière chaque Libanais, derrière chaque Chinois, derrière un Indopakistanais, il y a une autorité politique (ministre, député, gouverneur de province, etc.) ou un officier supérieur de la police ou de l’armée (colonel ou général)
Vecteur de relations
Des experts de la ville contactés pensent l’initiative des états-généraux sur le petit commerce est la bienvenue. Ces assises, font-ils remarquer, permettront de recadrer les choses, étant donné que partout dans le monde, le commerce de détail ou de proximité est un vecteur de relations humaines. Pour maintenir son attractivité et répondre aux besoins de la clientèle, les commerçants adaptent leurs offres.
À Kinshasa, une ville d’environ 12 millions d’habitants, dire avec exactitude qu’il y a autant de commerces ou prestataires de services, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Boulangeries, alimentations, boucheries, bars-terrasses, échoppes, restaurants, gargotes, boutiques d’habillement, salons de coiffure, bureautiques, cabines téléphoniques, épiceries, ateliers de couture, pharmacies, forges… ont pignon sur rue. Malheureusement, la municipalité ne met pas en valeur ces richesses patrimoniales et touristiques. Qu’en pensent les commerçants ?
Jean-Marie Mbodia et Paul Makwala, propriétaires, l’un d’un bar-terrasse, l’autre d’un salon de coiffure, sont installés dans la capitale depuis des dizaines d’années. « Nous constatons une évolution des mentalités », confie Mbodia. Qui ajoute que « tout le monde veut faire comme tout le monde ». D’après lui, si chaque vitrine a ses atouts, son identité, la cohésion de l’ensemble des acteurs économiques de la ville est nécessaire pour travailler le vivre ensemble et développer le service de proximité.
Le développement du commerce de proximité est un enjeu majeur dans la préservation du lien social. C’est l’avis de P. Makwala, propriétaire d’une chaîne de magasins des produits alimentaires. Du petit cireur de chaussures au patron d’un grand magasin ou bar, fidéliser et pérenniser sa clientèle est un objectif majeur. Michel Mingiedi dit s’adapter aux besoins de sa clientèle.
Anne Mulanga estime pour sa part que la prolifération des petits commerces à Kinshasa impose de se transformer en multiservices. Quoi de plus normal qu’un salon de coiffure devienne en même temps une terrasse, un restaurant… Pour Mulanga, dépanner le client à tout moment permet de le conserver. Pour cela, il faut improviser et être réceptif à ses sollicitations. On observe que les prestataires de services veillent à répondre à la demande du client, sinon il part ailleurs.
Richesse sociale
Pour l’épicière Charlotte Tshilanda, le commerce de proximité a toute sa place dans les réseaux de la ville de Kinshasa. Alors que sa richesse sociale est indéniable, elle ne comprend pas que l’autorité urbaine s’y attaque. Pourtant, ailleurs, les pouvoirs publics tendent à le développer. « Il faut savoir être à l’écoute, se donner les moyens de le conquérir et de le maintenir, dit-elle. Pour Ambrosie Mbaro, exerçant dans la coiffure depuis plus de 30 ans, chaque petit commerce a ses spécificités et complémentarités. « Ensemble on peut encore mieux faire. Sans cela, Kinshasa va disparaître. Faire mieux, tirer le côté positif du commerce de proximité pour resserrer le lien social », explique-t-il.
Les spécialistes font remarquer que l’économie rurale recèle un énorme potentiel, en ce qui concerne la création d’emplois décents et productifs, ainsi que la contribution au développement durable et à la croissance économique. D’après eux, elle représente une part importante de l’emploi et de la production dans bon nombre de pays en développement, mais se caractérise souvent par de graves déficits en matière de travail décent et par une main-d’œuvre pauvre. Ce secteur regroupe en effet près de 80 % de la population pauvre dans le monde.
La promotion du travail décent dans l’économie rurale est essentielle pour éradiquer la pauvreté et faire en sorte que les besoins alimentaires d’une population mondiale en augmentation soient satisfaits. Cet objectif fait partie du Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui vise notamment à accroître l’attention portée au développement rural et à l’agriculture, et en particulier à la sécurité alimentaire.
Le commerce de proximité à Kinshasa relève souvent de l’informel. Voilà pourquoi les pouvoirs publics s’y attaquent. Cependant, il peut contribuer au développement durable. En tout cas, des institutions internationales, telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), conseillent de s’en servir comme source d’esprit d’entreprise.
L’absence de statut légal est un handicap majeur pour les structures qui fonctionnent dans l’informel. Beaucoup de portes leur sont fermées, notamment l’accès à des sources de financement même si le développement de la microfinance permet actuellement de les bancariser et de leur trouver des solutions de financement à court terme. De même, les structures du secteur informel sont privées de toute possibilité de concourir aux appels d’offres des marchés publics du fait qu’elles ne sont pas assujetties au paiement des impôts.
Avec la crise économique, insidieuse bien avant les années 1970, le secteur informel de l’économie a pris de l’ampleur au point de concurrencer, à son avantage, le secteur formel. Paradoxalement, l’informel, censé frauduleux, fonctionne allègrement au nez et à la barbe de tous. Toutes les activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire y sont représentées.
Banques traditionnelles, ateliers de réparation, cybercafés (téléphone et Internet), immobilier (location et vente de logements), hôtellerie (flats), médecine de proximité (dispensaires), marchands ambulants…, tous s’y côtoient. Dans la capitale, le secteur informel a désormais droit de cité. Le sociologue Jules Bilomba donne les raisons de son expansion : « Le développement du chômage urbain, conséquence logique de la crise économique, s’est accompagné de l’émergence du secteur informel.