C’est la problématique majeure pour toute économie qui aspire à l’émergence. Business et Finances a souhaité réaliser avec le Centre d’études stratégiques Alter (CESA) un baromètre d’opinion auprès des chefs d’entreprise, permettant d’explorer comment ceux-ci anticipent l’avenir de leur entreprise dans la perspective des élections de fin 2018. Ce baromètre fait ressortir un constat majeur: face aux nombreuses incertitudes qui perdurent, la plupart des chefs d’entreprise souhaitent le changement de leadership économique dans le pays. D’après eux, le gouvernement fait état d’une « vague d’optimisme jamais vue ». Ils sont conscients que le cycle économique fait fluctuer le Produit intérieur brut (PIB) autour de sa tendance de long terme, déterminée par les facteurs de production de l’économie.
Or, le PIB de la RDC a décroché par rapport à sa tendance passée et n’a pas encore retrouvé sa trajectoire d’avant 1980. Et depuis, la chute du niveau et de la croissance de la production perdure. Le PIB est actuellement inférieur à la moyenne de la région d’Afrique subsaharienne (22 %). Selon les acteurs économiques, le pays a un potentiel de rattrapage considérable à condition de mobiliser l’offre. D’après eux, le diagnostic d’un déficit de compétitivité et d’une offre contrainte reste entier malgré la reprise. Par ailleurs, le déficit commercial est important, selon les douanes. La conjonction d’un déficit commercial et d’un niveau de chômage élevé vont dans le sens d’un déficit de compétitivité qui freine le potentiel de l’économie : la demande est là mais l’offre nationale ne suit pas car elle n’est pas assez compétitive.
Pour eux, il y a un « gisement de croissance » important, qui reste à mobiliser. Le potentiel de rattrapage est important sur l’ensemble des facteurs de production (travail, capital, technologie), mais c’est sur le facteur travail qu’il est le plus apparent. Le niveau élevé du taux de chômage (plus de 80 % de la population active) est une mesure de capacités de production supplémentaires mobilisables, notamment lorsqu’il est comparé aux niveaux observables dans d’autres pays. Les autres indicateurs de mobilisation de l’offre de travail (taux d’emploi, taux d’activité, etc.) renforcent le diagnostic d’une sous-mobilisation significative du marché du travail et donc d’un gisement de croissance à ce niveau.
Une fenêtre d’opportunité
D’après les mêmes opérateurs économiques, le pays offre une « fenêtre d’opportunité » pour sortir de l’ornière. Ils pensent que la période actuelle est extrêmement favorable pour l’ensemble des paramètres de la politique économique, notamment du fait d’un retour de la croissance au niveau mondial. Mais il faut un gain notable en capital de confiance et d’attractivité, à la fois vis-à-vis des investisseurs nationaux et étrangers. Il faut également des conditions financières exceptionnellement accommodantes, pour l’ensemble des acteurs de l’économie nationale et pour les partenaires.
Cependant, cette fenêtre d’opportunité est relativement étroite, ce qui plaide pour une accélération des transformations visant à mobiliser l’offre. Au niveau international, les paramètres financiers pourraient être bousculés par une surprise à la hausse sur l’inflation et les prix de matières premières ou par une cristallisation des tensions politiques déjà présentes.
Nous avons interrogé les chefs d’entreprise pour avoir leur point de vue. Les enseignements à retenir sont multiples, mais on retiendra utilement que les chefs d’entreprise privilégient la réforme du cadre légal et réglementaire face aux incertitudes de demain. En effet, ils disent que les entreprises en RDC sont confrontées à de multiples défis à moyen et long termes. Tel pourrait-on résumer l’état d’esprit actuel dans les entreprises. Des réformes sont en cours pour assainir le cadre général des affaires afin de permettre à l’économie congolaise de montrer de solides perspectives de reprise. Ce n’est pas encore assez, estiment les patrons (79 %) qui se montrent confiants, à condition que l’on mette fin à certaines pratiques.
Sur le plan économique, à un horizon de 5 ans, seuls 27 % des chefs d’entreprise pensent que l’activité économique pourrait se reprendre. Sur le plan technologique, un tiers des chefs d’entreprise (32 %) déclarent que dans 10 ans, des évolutions technologiques seront visibles au sein de leurs entreprises et de leur secteur d’activité. Sur le plan des modes de consommation enfin, des chefs d’entreprise (seulement 34 %) ont une bonne visibilité à 10 ans de l’évolution de leur clientèle et de ses attentes (consommateurs ou entreprises). Il faut dire que la somme des défis auxquels devront faire face les entreprises est conséquente avec 57 % des chefs d’entreprise qui déclarent être « très » ou « assez » concernés par la gouvernance économique au pays, 52 % par la digitalisation… 23 % par tout ce qui pourrait transformer largement les modèles économiques actuels, et donc l’activité des entreprises.
Emploi et diversification
L’emploi et la diversification sont au cœur de la stratégie d’avenir des entreprises. Comment faire face, dès lors, à tant d’incertitudes économiques et technologiques? Si l’investissement dans les technologies figure parmi les prescriptions des chefs d’entreprise, ceux-ci privilégient également d’autres moyens: Les ressources humaines et l’investissement humain (emploi et formation): parmi les priorités affichées par les chefs d’entreprise figure en première place l’embauche de « nouveaux profils de salariés », citée par 68 % d’entre eux.
Mais aussi une diversification de l’activité économique, par le développement d’une nouvelle offre (55 % de citations) et une diversification des clients, des intermédiaires et des modes de distribution (42 %). On notera d’ailleurs que ces deux priorités affichées en devancent d’autres, certes essentielles mais apparaissant en second plan dans la hiérarchie des préoccupations des chefs d’entreprise. L’investissement matériel dans de nouveaux outils et machines, tout de même cité par 41% des chefs d’entreprise… Le chef d’entreprise de demain restera d’abord un acteur économique, créateur d’emplois et de richesses. Dans ce contexte, le rôle attendu du chef d’entreprise pour l’avenir rejoint ces préoccupations pour l’investissement humain.
Si un grand nombre de patrons souhaitent que les chefs d’entreprise prennent davantage la parole sur les enjeux du moment et du futur, le rôle du chef d’entreprise sera bien à l’avenir – et prioritairement – celle d’un acteur économique ayant « vocation à créer et protéger les emplois » (pour 58 % des chefs d’entreprise interrogés) et créer de la richesse (46 %), avant même d’autres préoccupations majeures comme la capacité à innover ou à manager.
Si les technologies et les modes de production connaîtront de profondes mutations dans les années à venir, ce sera d’abord aux forces vives de l’entreprise de relever ces défis majeurs. Face à ces mutations économiques et technologiques, quelles seront les caractéristiques de l’entreprise de demain ? Une entreprise largement tournée vers le numérique, y compris dans la stratégie. Une entreprise flexible, capable de s’adapter rapidement au changement, au marché et à la clientèle. Une entreprise tournée vers l’innovation, avec des compétences très pointues, avec une grande qualité de professionnalisme. Une entreprise proche de ses salariés, avec de nouvelles méthodes de travail plus souples, avec une organisation moins pyramidale, impliquant davantage ses collaborateurs dans l’entreprise». Une entreprise qui fonctionne sur la base de la communauté et du bien-être de ses salariés. Bref, une entreprise compétitive tournée vers l’international, qui produit mieux, plus vite, responsable, soucieuse de l’environnement, transparente…
D’autant plus que la société attend que les entreprises jouent le rôle de création et protection des emplois ; de création de la richesse, de participation à la croissance ; de révélation des talents, des managers ; d’innovation, de création de quelque chose de nouveau ; de contribution à l’amélioration de la société ; de création des biens et services utiles à la société… De ce fait, l’image des chefs d’entreprise auprès du grand public doit s’améliorer pour faire d’eux les principaux acteurs du développement. Le gouvernement devra favoriser l’entrepreneuriat.