S’il vous arrive de mourir à Kinshasa, autant le savoir déjà de votre vivant : votre corps ne sera ni incinéré dans un crématorium, ni inhumé dans un cimetière. Il sera tout simplement enfoui quelque part. Dans une nécropole. Entre le Ciel et la Terre…
Autre privilège dont vont incessamment jouir les Kinois, c’est celui de bénéficier, sans coup férir, dans les artères mêmes de leur belle ville, de commodités d’une piscine et du potentiel piscicole d’un étang. Eh oui, vous avez bien lu !
Les saint-thomas n’ont qu’à se rendre toute affaire cessante au rond-point de la Victoire. En effet, aux commissures de la fameuse place a jailli, on ne sait quand, sans doute des entrailles de l’avenue du même nom, un immense lac qui a toutes les chances de devenir, si on l’aménageait, la future piscine olympique municipale. Pourvu que les responsables de l’Office de voirie et de drainage (OVD) ou ceux de l’Office des routes (OR) ne mettent pas beaucoup de temps pour dégager une voie de déviation afin d’empêcher les automobilistes kinois, toujours pressés, de continuer de barboter dans les eaux du bassin de natation !
Pourquoi, diantre, ceux-ci n’imiteraient-ils pas les paysans de nos villages qui, dès qu’ils réalisent que des eaux ont inondé ou coupé un sentier, le contournent tout bonnement. Car, voyez-vous, il n’est pas nécessaire d’être citadin pour comprendre que le tracé d’une artère peut s’avérer mauvais et donc nécessiter une rectification.
Toujours sur la même avenue, mais à l’autre extrémité, une gigantesque béance met à rude épreuve, depuis quelques mois déjà, les amortisseurs de tacots et les nerfs de conducteurs qui se hasardent à s’engager dans le cratère. Les policiers de la Légion d’intervention rapide dont le campement jouxte l’étang rassurent qu’aucune bombe n’a été larguée à cet endroit. Qui donc, je vous le demande, aurait provoqué cette excavation ? Qui donc aurait intérêt à y élever alevins et alligators ?
En face du campement des policiers est érigé l’ex-Athénée de la Victoire. Y aurait-il, au sein de cet établissement d’enseignement secondaire, une section d’agriculture et de pêche ?
J’ai appris à me méfier des habitants de cette mégalopole. Leur imagination est constamment féconde, déroutante à souhait, mégalomaniaque pour tout dire. Las d’attendre la métamorphose de Kinshasa en la Kin-la-belle, tant vantée, tant désirée, ils ont, on le sait, résolu de baptiser carrément les 24 communes de la capitale de noms des villes célèbres de la planète. Une façon comme une autre pour eux de contraindre le destin à se plier à leurs fantasmes, à muer leurs rêves loufoques en réalités.