Le coup d’État militaire de Joseph Désiré Mobutu en novembre 1965 redonna confiance aux milieux politiques et d’affaires belges, parce que le Congo était encore perçu comme « un élément important de l’économie belge en termes d’emploi, de valeur ajoutée aux matières premières, de contribution au revenu national, sans compter les bénéfices des sociétés actives ou en lien avec lui ». Mais en 1966, le président Mobutu s’en prit aux sociétés ex-coloniales ayant adopté le droit belge. Une loi du 7 juin 1966 imposa le transfert obligatoire du siège social de ces sociétés étrangères ayant leur principal siège d’exploitation au Congo. La loi (foncière) Bakajika (le sol et le sous-sol appartiennent à l’État) visa principalement les concessions minières et territoriales accordées sous la période coloniale.
Dans sa quête d’asseoir son autorité, Mobutu avait dans son viseur les milieux d’affaires étrangers dont il recherchait l’engagement à son pouvoir. La gestion des entreprises en pâtit. C’est le cas de l’Union minière dont le refus des dirigeants de transférer le siège de la société au Congo entraîna la nationalisation de ses actifs congolais en décembre 1966. Mobutu créa une société d’État, la Gécomines pour les exploiter. Mais une filiale de l’Union minière, la Société générale des minerais, gardait la main quant à l’assistance technique et la commercialisation des minerais.
Le processus de dégagement de l’économie zaïroise des influences extérieures se poursuivit en novembre 1973. Mobutu « zaïrianisa » la plupart des entreprises détenues par des étrangers dans divers secteurs comme la construction, les hydrocarbures, les mines, l’agriculture et l’élevage… L’État reprit leurs actifs avant de les confier à des nationaux « Zaïrois », inexpérimentés, pour la plupart des proches du Président, ses collaborateurs et les membres de leurs familles ou des fidèles soutiens politiques. L’ignorance et l’incurie de nouveaux propriétaires entraînèrent la faillite rapide de la plupart de ces affaires. Mobutu dut faire marche arrière et l’État reprit tout à son compte. Mais cette mesure ne résolut rien.
Politiciens aux affaires
Avant la réforme de 2009, le portefeuille de l’État comportait 51 entreprises ayant pour objectif la création de richesses et d’emplois, l’offre de services sociaux de meilleure qualité et l’apport au budget de l’État. Malgré ce poids numérique important, soit 80 % du tissu économique du pays, les entreprises publiques ont affiché au fil des ans un tableau plutôt sombre : faible productivité, personnel pléthorique et vieillissant, insuffisance de matériels et équipements nécessaire à l’exploitation ; surendettement et mauvaise gestion des ressources…
Dans un élan de nationalisme immodéré, Mobutu Sese Seko confiait la gestion des entreprises publiques à qui il voulait, universitaires et politiciens. Sous le régime du Mouvement populaire de la révolution (MPR), parti-État, les entreprises publiques ont été gérées alors comme des biens privés ou sans maître. Les mandataires n’avaient des comptes à rendre qu’au seul Président-Fondateur (PF) qui détenait le pouvoir de nommer et de révoquer comme il l’entendait.
Les entreprises publiques fonctionnaient alors selon des pratiques contraires aux règles de bonne gestion. Des années durant, rares étaient celles qui tenaient une comptabilité ou qui produisaient annuellement un bilan. Ce n’est pas parce que les mandataires étaient incompétents que les entreprises se sont retrouvées dans une situation de quasi-faillite. C’est bien l’incurie, la prévarication et le clientélisme qui seraient à l’origine de leur descente aux enfers.
Les pratiques anciennes du « mobutisme », c’est-à-dire « servir les intérêts du président et se servir » ont survécu au « Grand Léopard ». Aujourd’hui, encore, pour conserver son poste d’ADG ou DG, il faut satisfaire à toutes les demandes d’argent ou autres sollicitations du « Chef » ou de ses proches, ses collaborateurs et des ministres de tutelle. Aujourd’hui encore, les mammouths que sont la REGIDESO, la Société nationale d’électricité (SNEL), la Société nationale d’assurances (SONAS), la Société commerciale des transports et des ports (SCTP), la Générale des carrières et des mines (GECAMINES), la Minière de Bakwanga, etc. sont des « vaches à lait » des politiciens au pouvoir.
Rien d’étonnant que les charges domestiques, les voyages et séjours à l’étranger, l’acquisition des maisons et véhicules, ainsi que diverses dépenses personnelles soient souvent orientés vers les entreprises publiques pour payer les notes. De même, des frais de mission pour les officiels et le personnel politique des institutions, les dépenses d’organisation de certaines manifestations politiques et privées sont supportés par ces mêmes entreprises. Dans les années de la transition démocratique (1990-1997), Mobutu plaça un de ses proches collaborateurs devenu son fils adoptif à la tête de l’Office des douanes et accises (OFIDA). C’était pour s’occuper des « besoins » de la famille présidentielle mais aussi de l’opposition politique alimentaire. Des exemples des pratiques de ce genre ont été légion, et continuent encore à défrayer la chronique.
Des cas de bonne gestion
Dans cet environnement mû uniquement par le clientélisme politique dominant, la corruption, les malversations et l’opacité dans la gestion, des cas de bonne gouvernance ne manquent pas. Même aujourd’hui, on trouve encore des oiseaux rares. Désiré Balazire Bantu, le directeur général de la compagnie aérienne nationale, est cité en modèle pour son management à la tête de Congo Airways. Les résultats de gestion plaident en sa faveur. Et il n’est pas le seul.Sous le long règne de Mobutu Sese Seko, cependant, les mandataires qui osaient s’écarter de « pratiques à la mode » de l’époque par des méthodes de gestion classique d’entreprise, ont été défenestrés sans autre forme de procès et souvent avec humiliation.
Dans les années 1980, à l’ère des Programmes d’ajustement structurel (PAS) initiés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) pour sortir l’économie du pays de la récession, le Belge Pallincks en a fait les frais.
Les travailleurs de l’ex-ONATRA et de la GECAMINES se rappellent encore de son travail de redressement de ces deux entreprises publiques. Appelé à la rescousse pour redresser l’Office zaïrois du café (OZACAF), Bonaventure Mesa Kiboba, alors représentant congolais à l’Organisation internationale du café (OIC), en a pris pour son grade. Il eut tort de s’opposer à Victor Nendaka Bika, membre influent du Comité central du MPR, qui voulait davantage de quotas pour l’exportation de son café. Son refus lui valut la révocation, le 31 décembre 1987, dont l’ordonnance fut lue au cours du journal des 20 heures de la télévision nationale, alors qu’il s’apprêtait à passer le réveillon de la Saint Sylvestre en famille. D’autres mandataires ont connu le même sort. Malgré leur réforme sanctionnée par des lois nouvelles, les entreprises du portefeuille de l’État sont encore gérées sur le modèle de l’ancien régime. Jusqu’à quand ?