Les défenseurs de la protection de la biodiversité n’ont pas jubilé quand des sources concordantes ont fait état de la promesse faite par l’entreprise britannique de ne plus poursuivre ses activités d’exploration dans cette aire protégée. L’éventuel retrait de cette entreprise pourra se comprendre comme une bataille gagnée. Mais la guerre se poursuivra, sous d’autres formes, avec, au milieu de l’arène, un arbitre encore indécis : le gouvernement congolais.
Les menaces qui pèsent sur l’environnement du parc national des Virunga, dans le Nord-Kivu et faisant frontière avec le Rwanda et l’Ouganda, sont de divers ordres. En plus des impacts pouvant découler de toute opération d’exploration/exploitation pétrolière, les autres pressions sur ce « réservoir de la biodiversité » et inventoriées ont pour noms : des populations illégalement installées, des groupes armés voire des soldats, des exploitations agricoles, la déforestation, le braconnage. Ce sont ces différents facteurs qui pèsent, comme une épée de Damoclès, sur l’avenir, non seulement de l’antre des Virunga, mais aussi des communautés locales actuelles et des générations futures.
Dans ce dossier devenu fort encombrant pour plusieurs parties prenantes, l’initiative de Soco International, d’intervenir en pleine aire protégée, est en fait la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Sur l’échiquier s’affrontent deux réalités majeures. Il y a, d’abord, un capital environnemental spécifique et qui fait le bonheur des publications scientifiques : 218 espèces de mammifères, 706 espèces d’oiseaux, 109 de reptiles et 78 d’amphibiens. Concernant, par exemple, les gorilles, il y a ceux de montagne (200 individus) et des plaines orientales ainsi que des chimpanzés. Le parc national des Virunga est aussi connu, au plan national et international, pour ses volcans, lacs, rivières, savanes, marais et glaciers.
La seconde réalité forte est cette détermination du gouvernement congolais à vouloir transformer les énormes ressources naturelles du pays en richesses réelles afin d’améliorer le train de vie d’une population estimée à 70 millions d’habitants. La majorité de cette population croupit dans une extrême-pauvreté et vivote avec un revenu en dessous du seuil de pauvreté (soit moins de 1,3 dollar par jour). Pour « booster » la machine économique et financière nationale et commencer à s’attaquer aux déséquilibres et dysfonctionnements qui caractérisent, notamment, le secteur social, Kinshasa a besoin de ressources financières proportionnelles à ses ambitions afin de parvenir, dans la période allant de 2025 à 2030, à être bien classée dans le groupe des pays à revenus intermédiaires et sur la liste des nations émergentes. Or, dans le contexte actuel, la gouvernance nationale pose encore problème.
Position flottante de Kinshasa
En fait, la montée en pic de cette autre « crise » du parc national des Virunga découle des tergiversations constatées dans le chef du leadership national. Le cas de l’épopée Sico International PLC tend à le prouver. A la fin de la décennie 2000, plusieurs compagnies pétrolières avaient exprimé leur volonté de mener des explorations/exploitations dans le Rift Albertin où sont signalés d’importants gisements de l’or noir. Le Congo-Kinshasa et l’Ouganda ont été très sollicités. Ce dernier pays n’a pas tergiversé car il est, aujourd’hui, en train de comptabiliser le niveau de production de ses barils provenant du lac Edouard, à la frontière avec la République démocratique du Congo.
Pour le cas de ce dernier pays, plusieurs entreprises, notamment Total et Soco International, avaient proposé de travailler également dans le parc des Virunga. Des études sont allées jusqu’à délimiter les 85 % de cette aire protégée en concessions pétrolières. Des organisations de la société civile de la République démocratique du Congo et leurs partenaires internationaux (WWF, Greenpeace, Human Rights Watch…) se sont alors mobilisés. Total a fini par accepter de ne pas intervenir dans le périmètre de l’aire protégée, tout en indiquant, pardoxalement, que ses travaux se poursuivraient « en bordure du parc ».
Pour sa part, la britannique Soco, qui a pu décrocher en juin 2010 le « contrat de partage de production pétrolière » dans le bloc 5 du Rift albertin, a commencé, en avril dernier, l’exploration par la phase de prospection sismique. La société, qui a pris entre-temps acte de différentes pressions provenant d’institutions nationales, comme le Parlement ainsi que d’instances étrangères et internationales, notamment l’UNESCO, le gouvernement britannique, les Parlements belge et allemand, la Commission de l’Union Européenne, l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), a tenté, en vain, de faire prévaloir le contenu d’une étude sur les impacts environnementaux et sociaux qu’elle a, elle seule, diligentée. Pour les défenseurs de l’environnement, il faut, au-delà d’un simple retrait de l’entreprise britannique, annuler, de manière formelle, le droit lui concédé pour mener des activités d’exploration/exploitation dans ce parc.
Dans l’attente des résultats d’une étude internationale
C’est à ce niveau que la position du gouvernement congolais reste un problème. Pendant toutes ces péripéties, il n’a pas réussi à fixer les différentes parties concernées sur sa façon de voir les choses. En 2011, il avait suspendu la validité de ce permis querellé car « violant la loi congolaise sur la conservation de la nature et la convention de l’UNESCO sur la protection du patrimoine mondial ». Mais, bien vite, l’exécutif s’était ravisé et avait autorisé à l’entreprise britannique de poursuivre ses activités.
Réputé démissionnaire depuis octobre 2013, le gouvernement continue à expédier, à sa manière, les affaires courantes. Concernant ce dossier du parc national des Virunga, il semble être parvenu à souffler le chaud et le froid. En fait, il a tenu compte de différentes pressions exercées de l’intérieur du pays et de l’extérieur, tout en laissant une marge de manœuvre à Soco International. Pour le ministre congolais des Hydrocarbures, Crispin Atama Tabe, une étude sur les impacts environnementaux et sociaux a été commandée auprès « d’un cabinet international ». Et, au cas où, des gisements importants seraient inventoriés dans le parc, Kinshasa n’hésiterait pas à autoriser des opérations d’exploitation.
Par ailleurs, un autre problème se traduit en termes de non-existence d’une évaluation évidente des potentialités pétrolières que recélerait le sous-sol de cette aire protégée. Au niveau du gouvernement, il n’est pas aisé d’avoir des chiffres concrets. Par contre, les ONG internationales et locales sont parvenues à dresser un tableau de la « valeur économique » de ce parc. Tel est le cas du rapport rendu public par WWF International et intitulé « Valeur économique du parc national des Virunga, Rapport 2013 », commandé auprès du cabinet international Dalberg. A partir de recherches conduites sur les aspects vérifiables et concernant « l’usage direct potentiel de l’écosystème du parc », « l’usage indirect potentiel du parc » et « la valeur de non-usage », cette ONG avance notamment que « dans la situation actuelle, la valeur du parc des Virunga s’élève à 48,9 millions de dollars par an. Dans une situation stable, caractérisée par l’absence de conflit, un accès sécurisé au parc et suffisamment de ressources pour protéger l’écosystème, le parc pourra accroître sa valeur pour atteindre plus de 1,1 milliard de dollars par an ».
Classé site du patrimoine mondial de l’UNESCO et inventorié comme domaine « en péril » depuis 1994, le parc national des Virunga reste ainsi sous différentes pressions pouvant conduire à sa disparition en tant que réserve universelle de la biodiversité et « source verte » des revenus durables pour la population congolaise.