Les élus démocrates au Congrès américain lancent une procédure d’impeachment à l’encontre de Donald Trump. Cela traduit-il une faiblesse du clan démocrate, à un an des élections présidentielles ?
Jean-Eric BRANAA .– Ici, ce sont les démocrates du Congrès qui ont appliqué strictement la Constitution. Dans l’État américain le législatif contrôle l’exécutif : il ne s’agit donc ici que d’une application de cette règle. Une enquête a été lancée puisque des faits ont été portés à la connaissance du Congrès. La Chambre des représentants est parfaitement dans son rôle.
Cette décision de lancer une enquête pour destituer le Président ressemble à de l’emballement.
Une lecture politique pourrait montrer que les Démocrates font preuve d’une certaine «faiblesse» en ayant recours à cette procédure, alors qu’ils sont incapables de battre Trump sur le plan politique. Mais c’est faux. Le candidat favori chez les Démocrates, Joe Biden, a choisi un unique thème de campagne : la volonté de battre Donald Trump. Il promet de débarrasser les États-Unis de ce Président encombrant. C’est une campagne différente de celle de ses rivaux, Elizabeth Warren et Bernie Sanders : en prenant résolument le contre-pied de Trump, Biden n’a pas vraiment de programme à détailler et à présenter à ses soutiens. Ce qui arrive est donc une épine dans le pied du favori démocrate : le Congrès se chargerait avant lui de remplir sa promesse de campagne.
La menace d’une telle procédure pesait depuis longtemps sur Trump, pourquoi les démocrates ont-ils choisi de n’agir que maintenant?
On peut raisonnablement se demander pourquoi les Démocrates ont agi maintenant alors que cela fait en effet déjà des années que la question de destituer Trump se pose. Il ne semble pas qu’il y ait de raison logique à cette décision. Cette décision presque soudaine de lancer une enquête pour destituer le Président ressemble à de l’emballement. Depuis deux ans et demi déjà la base progressiste très à gauche du Parti démocrate ne cesse de pousser dans ce sens. Nancy Pelosi occupait donc une place de plus en plus difficile à tenir. Le mardi 24 septembre au matin, 130 députés américains démocrates demandaient une procédure d’impeachment et lorsqu’elle l’a finalement annoncée, ils étaient 196 à la vouloir. Avec seulement 25 députés qui ne s’étaient pas exprimés en faveur de la procédure, elle se trouvait dans l’obligation de le faire. Seule, elle ne pouvait opposer une fin de non-recevoir.
La députée Alexandria Occasio-Cortez appuyait pour la destitution depuis longtemps. Al Green lui aussi avait déjà déposé quatre ou cinq demandes d’impeachment. Mais ce ne sont que les figures les plus médiatiques : en plus d’eux, énormément de demandes.
Lors de la campagne pour les Midterms (élections de mi-mandat) en 2018, au plus fort de la bataille électorale, on entendait beaucoup parler de la réforme de la santé – l’une des préoccupations principales des électeurs – dans les meetings du Parti démocrate. Mais le deuxième thème était celui de l’éviction de Trump. Le slogan «Impeach 45!» (Donalt Trump est le 45e Président des États-Unis) résonnait à chaque fois. Ce qui se passe aujourd’hui était donc réclamé depuis longtemps par une base démocrate chauffée à blanc.
Le Président américain ne semble pas s’en inquiéter. Cela pourrait-il au contraire le renforcer, comme il le prétend?
Le grand perdant sera finalement l’ensemble de la société américaine.
Pour les deux camps, c’est un immense pari. Il semble que tout se jouera finalement à pile ou face. Les démocrates ont parié que leur stratégie fonctionnerait et leur rapporterait des voix. Donald Trump lui, a fait le pari que la procédure d’impeachment le ferait au contraire réélire. Et l’on aurait plutôt tendance à penser que Trump a raison.
Les électeurs sont en effet déjà très intéressés par la campagne. Un récent sondage indiquait que près de 75 % d’entre eux auraient déjà fait leur choix. Mais cet intérêt repose sur les idées, sur des projets portés par des élus et non sur des anathèmes, des disputes, … Beaucoup d’électeurs risquent d’avoir le sentiment que la procédure de destitution leur «vole» d’une certaine manière cette campagne qu’ils attendaient. Cela pourrait donc lasser voire énerver l’opinion publique. Elle pourrait alors se porter plutôt vers un soutien à Donald Trump : c’est en tout cas le pari que fait le Président.
Quelles pourraient être les conséquences à court terme et à long terme d’une telle procédure?
Quoiqu’il arrive, le grand perdant sera finalement l’ensemble de la société américaine. C’est l’unité américaine tout entière qui en pâtit. Il y aura un grand déballage dans les jours qui viennent et cela figera les deux camps dans leurs positions. Or, tout le monde cherche au contraire à renforcer l’unité du pays.
Les soutiens à Donald Trump représentent à peu près 45,3 % des électeurs. Ils se resserreront aux côtés de leur candidat et l’aideront en lui donnant leur soutien, en lui envoyant de l’argent, en étant actifs sur les réseaux sociaux, etc. Les 52 % qui n’aiment pas Donald Trump se resserreront aussi autour de cette idée de rejet. Ils ne bougeront en aucun cas.
Ce sont finalement les 3 % qui n’ont pas fait leur choix qui feront l’élection. En passant de 45 % à 48 %, le collège électoral peut être gagné et Trump pourra alors prétendre à une réélection. Il s’agit donc pour les deux camps de capter ces 3 %. Cela se fera avec une violence extrême et personne n’y gagnera. Les oppositions et les haines se renforceront encore plus entre les deux camps, ce qui ne bénéficiera à personne.
Jean-Éric Branaa est maître de conférences à Paris II Assas et chercheur au centre Thucydide et à l’institut IRIS. Il a publié Et s’il gagnait encore chez VA Press en juin 2019.