Facebook est face aux règles à l’avenir

Au cours d’une discussion la semaine dernière, le commissaire européen au Marché intérieur a pété les plombs, en expliquant au patron de Facebook qu’il aurait intérêt à se conformer : « J’ai moi-même été un patron vous savez... »

LUNDI 18 mai, un think tank installé à Bruxelles, le Centre on Regulation in Europe (CERRE), organisait une discussion entre Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, et Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur. C’est une des pratiques favorites de Thierry Breton: dialoguer avec les grands patrons des Gafa. Ce soir-là, il remettait le couvert avec Mark Zuckerberg, pour un débat en visioconférence. Ce fut l’occasion pour le Français, ancien capitaine d’industrie, de donner une petite leçon de gouvernance à l’un des plus puissants jeunes loups de la tech. « Quand vous êtes le PDG d’une plateforme internet très importante, vous devez écouter vos très nombreuses parties prenantes, a expliqué le professeur Breton. Et à la fin, c’est Mark Zuckerberg, et lui seul, qui est responsable de ce que fait Facebook. »

Le mal du siècle

L’intéressé, critiqué par la presse américaine pour son pilotage de plus en plus solitaire du plus grand réseau social au monde, a gardé un visage impassible. Thierry Breton, qui n’est plus PDG mais désormais du côté des régulateurs, a prévenu. Dans le cadre de la lutte contre la désinformation, « le mal du siècle » se répandant sur les réseaux sociaux, il faut des résultats. Faute de quoi « nous régulerons », a-t-il menacé. Mark Zuckerberg n’y est pas opposé, si l’approche est « nuancée ».

Mieux, il encourage l’Union européenne (UE) à agir. « Je m’inquiète de voir le modèle (chinois) se répandre dans les autres pays, a développé le patron de Facebook, interdit dans l’empire du Milieu. Le meilleur antidote serait d’avoir un cadre réglementaire clair qui proviendrait des pays démocratiques occidentaux. » Quand l’Europe met en place des règles, ces dernières « deviennent souvent des standards partout dans le monde », a ajouté le dirigeant américain. Un compliment pour le commissaire Breton.

L’ancien PDG d’Atos, Thomson ou France Télécom a encore lancé : « J’ai toujours dit à mes collaborateurs ‘N’essayez pas d’être trop malins. Et payez vos impôts quand vous devez en payer’ ». Une injonction qu’il a plusieurs fois répétée par la suite à son interlocuteur du jour. « Cette idée de ne pas chercher à être trop malin, on pourrait avoir à s’en inspirer dans les jours futurs », a poursuivi le commissaire européen. « Parce que nous allons vers un monde avec de grands problèmes économiques (…) et dans lequel il sera très important de trouver des solutions ensemble… » L’ancien ministre français de l’Économie et ex-patron du groupe français Atos a ainsi rappelé à Marc Zuckerberg l’importance de payer des impôts : «J’ai été patron moi-même, il faut payer des impôts là où l’on doit en payer et ne pas aller dans des paradis fiscaux. »   

Et Thierry Breton, ministre de l’Économie sous Jacques Chirac et Dominique de Villepin ne s’est pas arrêté en si bon chemin : « Faites attention à ne pas devenir un acteur trop important du système qui ne jouerait pas avec ses règles, faites attention à la démocratie, anticipez ce qu’il pourrait advenir, soyez vigilants avec toutes les informations que vous agrégez… » En fin de compte, « ce qui importe le plus dans la société de l’information dans laquelle nous vivons, a conclu Thierry Breton face à un Mark Zuckerberg resté comme souvent livide et muet, ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas interdit qu’il est autorisé. »

Régulation

L’enjeu de cet échange était de taille puisque Facebook et l’UE se sont lancés dans une valse effrénée. Le tout est de savoir si le réseau social et ses satellites (Instagram, Whatsapp…) accepteront de concéder suffisamment à l’UE pour que celle-ci ne se décide pas à réguler leur activité. Mark Zuckerberg a appelé l’UE à montrer la voie dans la régulation des nouvelles technologies et à ne pas laisser des pays comme la Chine établir les standards pour le monde entier. « En ce moment, beaucoup d’autres pays regardent la Chine et se disent: ce modèle semble pouvoir fonctionner. Il donne peut-être plus de contrôle à notre gouvernement », a averti le patron de Facebook. 

« C’est vraiment dangereux et je m’inquiète de voir ce modèle se répandre dans les autres pays », a-t-il prévenu. « Je pense que le meilleur antidote serait d’avoir un cadre réglementaire clair qui proviendrait des pays démocratiques occidentaux et qui deviendrait le standard dans le monde entier… », a-t-il ajouté. Le patron américain a cité comme exemple le Règlement général sur la protection des données, établi par l’UE le 25 mai 2018, et qui depuis a été reconnu comme un modèle dans de nombreux pays. 

Le RGDP prévoit des droits renforcés pour les internautes et impose à toute entreprise, sur internet ou non, de demander un «consentement explicite et positif» pour utiliser des données personnelles collectées ou traitées dans l’UE.   

De son côté, Thierry Breton a rappelé à Marc Zuckerberg l’importance des valeurs régissant le continent européen. « Si vous comprenez les valeurs sur lesquelles est construit ce continent, alors vous comprenez comment il faut se comporter », a souligné le Français, qui a enseigné aux États-Unis ces dernières années.   

Le commissaire européen a également insisté sur l’importance d’une concurrence juste et équitable sur le marché intérieur européen. « Il faut faire attention […]. Ne pas jouer le rôle d’un acteur ultradominant » qui ne laisserait pas de place aux petites compagnies », a-t-il déclaré. La Commission européenne compte présenter à la fin de l’année un grand texte législatif sur les services numériques, destiné à limiter les pouvoirs des grandes entreprises technologiques américaines. Ce texte devrait couvrir tous les grands aspects relatifs à ce secteur: non seulement la répression contre les discours haineux sur internet, mais aussi la prévention des abus de position dominante des grandes entreprises. Les groupes de la Silicon Valley font actuellement un intense lobbying auprès de Bruxelles pour tenter de limiter cette législation en préparation. 

Les plateformes collaborent avec les autorités. Une telle coopération peut laisser des traces. Il y a pourtant quelques semaines à peine, politiques et géants du numérique s’écharpaient sur des dossiers comme la lutte contre la haine en ligne, le règlement des droits voisins pour la presse et le financement de la création. Mais ces bras de fer ont été mis en pause. Partout dans le monde, les Gafa ont été sommés par les pouvoirs publics de se joindre à la bataille contre la pandémie. La Maison-Blanche a ainsi monté une task force avec les géants de la Silicon Valley pour coordonner leurs actions. Pourtant honni par le président Donald Trump, Jeff Bezos participe à des réunions pour le compte d’Amazon.