Faut-il encore de nouvelles concertations sur l’exercice du petit commerce ?

Les tenanciers des chambres froides et des vendeurs de produits alimentaires étaient dans la rue la semaine dernière pour réclamer notamment le respect strict des lois sur le petit commerce et le commerce de détail censés être réservés aux seuls Congolais.

FÉLIX ANTOINE Tshisekedi, le président de la République, a bien entendu le message des manifestants. Suite à leurs revendications, il a immédiatement invité le gouvernement lors du Conseil des ministres du vendredi 11 septembre à « poursuivre les efforts déjà engagés » pour faire respecter la réglementation en matière de l’exercice du petit commerce et du commerce de détail en République démocratique du Congo. Le chef de l’État a recommandé aux ministres concernés par cette question d’associer à leurs actions les associations patronales concernées et de proposer des projets de réforme. En clair, Félix Antoine Tshisekedi (re)lance un appel à des concertations. 

Encore des états-généraux pour valoriser les opérateurs locaux ? La loi sur le petit commerce et le commerce de détail n’est pas respectée en RDC. Il y a peu, contrarié par le traitement discriminatoire dont souffrent les opérateurs nationaux dans le traitement de leurs marchandises à l’importation, mais aussi agacé de voir des étrangers exercer délibérément dans ce créneau, créant ainsi une concurrence déloyale, le chef de l’État avait décidé de donner un coup de pied dans la termitière.

Valoriser les locaux

Une façon pour lui de rappeler que la force est toujours à la loi. Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo avait souhaité que « le gouvernement organise dans un bref délai les états généraux du commerce de détail ». En fait, une grenelle pour n’en percevoir que les résultats les plus concrets. Objectif : l’expansion et la promotion du commerce réservé aux opérateurs économiques locaux. Dans les pays qui se respectent, l’exercice du petit commerce et du commerce de détail est une exclusivité des nationaux. 

Cependant, dans notre pays, c’est tout le contraire dans la pratique. Des producteurs, des importateurs et des grossistes étrangers exercent dans ce secteur de l’activité économique sans que cela n’émeuve personne. Pourtant, en verrouillant l’accès aux étrangers, sauf dans certains cas (stations-service, supermarchés, restaurants, hôtels, etc.) exceptionnellement, le législateur congolais a tout simplement voulu « favoriser l’entrepreneuriat national et l’émergence d’une classe moyenne congolaise, gage du développement intégré de notre pays. »

Aujourd’hui, le commerce en général en RDC est pris en otage par des étrangers dont les nationalités sont connues de tous et qui nous vendent un peu de tout au détail. En septembre 2019, lors de l’investiture de son gouvernement à l’Assemblée nationale, Sylvestre Ilunga Ilunkamba a déclaré : « Le gouvernement va s’assurer que s’applique désormais sans faille la législation sur le petit commerce réservé aux seuls nationaux. Parce que nous parlons des investissements et autre conduite des affaires, je voudrais vous faire part de la volonté qui anime votre gouvernement à favoriser, à travers un accompagnement spécifique et particulier, l’émergence des grands hommes et grandes femmes d’affaires congolais. » 

Et d’ajouter : « Ce n’est pas juste que dans un pays comme le nôtre, que l’on continue à s’accommoder de la triste réalité qui voudrait que les grandes fortunes n’appartiennent qu’à des étrangers, et que les autochtones ne courent que derrière les petits intérêts. J’en appelle à toutes celles et à tous ceux des Congolais qui souhaitent entreprendre, d’avoir le courage de le faire. N’attendons plus le travail des autres, créons nous-mêmes du travail. »

C’est donc un constat d’échec qui renseigne que le commerce en général est entre les mains des étrangers, pour la plupart des Indo-pakistanais, des Libanais et des Chinois. Un détour dans le centre-ville ou sur la principale avenue marchande de Kinshasa, à savoir l’avenue du commerce, suffit pour s’en convaincre. Partout dans le pays, les commerçants locaux sont relégués au second plan, parfois avec la complicité des autorités du pays. Sur l’avenue du commerce à Kinshasa, derrière chaque Libanais, derrière chaque Chinois, derrière un Indopakistanais, il y a une autorité politique (ministre, député, gouverneur de province, etc.) ou un officier supérieur de la police ou de l’armée (colonel ou général)

Vecteur de relations

Des experts de la ville contactés pensent que l’initiative des états-généraux sur le petit commerce et le commerce de détail est la bienvenue. Ces assises, font-ils remarquer, permettront de recadrer les choses, étant donné que partout dans le monde, le commerce de détail ou de proximité est un vecteur de relations humaines. Pour maintenir son attractivité et répondre aux besoins de la clientèle, les commerçants adaptent leurs offres. 

À Kinshasa, une ville d’environ 12 millions d’habitants, dire avec exactitude qu’il y a autant de commerces ou prestataires de services, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Boulangeries, alimentations, boucheries, bars-terrasses, échoppes, restaurants, gargotes, boutiques d’habillement, salons de coiffure, bureautiques, cabines téléphoniques, épiceries, ateliers de couture, pharmacies, forges… ont pignon sur rue. Malheureusement, la municipalité ne met pas en valeur ces richesses patrimoniales et touristiques. 

Le commerce de proximité à Kinshasa relève souvent de l’informel. Voilà pourquoi les pouvoirs publics s’y attaquent. Cependant, il peut contribuer au développement durable. En tout cas, des institutions internationales, telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), conseillent de s’en servir comme source d’esprit d’entreprise.

L’absence de statut légal est un handicap majeur pour les structures qui fonctionnent dans l’informel. Beaucoup de portes leur sont fermées, notamment l’accès à des sources de financement même si le développement de la microfinance permet actuellement de les bancariser et de leur trouver des solutions de financement à court terme. De même, les structures du secteur informel sont privées de toute possibilité de concourir aux appels d’offres des marchés publics du fait qu’elles ne sont pas assujetties au paiement des impôts.

Avec la crise économique, insidieuse bien avant les années 1970, le secteur informel de l’économie a pris de l’ampleur au point de concurrencer, à son avantage, le secteur formel. Paradoxalement, l’informel, censé frauduleux, fonctionne allègrement au nez et à la barbe de tous. Toutes les activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire y sont représentées. Banques traditionnelles, ateliers de réparation, cybercafés (téléphone et Internet), immobilier (location et vente de logements), hôtellerie (flats), médecine de proximité (dispensaires), marchands ambulants…, tous s’y côtoient. Dans la capitale, le secteur informel a désormais droit de cité. Le sociologue Jules Bilomba donne les raisons de son expansion : « Le développement du chômage urbain, conséquence logique de la crise économique, s’est accompagné de l’émergence du secteur informel.