Faut-il inventer un modèle pour l’émergence ?

La problématique de l’émergence de l’Afrique préoccupe le PNUD au moment où le continent veut réaliser le Programme 2030 et l’Agenda 2063, qui traduit l’approche visionnaire de l’Union africaine.

La Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique (CIEA) est une tribune qui permet aux Africains d’approfondir le débat sur la problématique de la mise en œuvre des plans d’émergence de leurs pays à la lumière des expériences menées sur le continent et ailleurs. Comment accélérer la transformation structurelle et l’industrialisation pour créer des emplois pour les jeunes et les femmes est actuellement au centre des discussions. L’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA) et l’Agenda 2030 sur les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies balisent la voie. Pour l’administrateur du PNUD, Helen Clark, « l’émergence de l’Afrique contribuera grandement à la réalisation de ces deux Agendas.

Le PNUD considère qu’il est nécessaire de prendre des mesures effectives dans cinq domaines stratégiques : l’industrialisation autour de l’agriculture et les industries extractives (exemple de l’Éthiopie, qui a fait la démonstration du potentiel des parcs industriels et des zones économiques spéciales pour transformer le secteur manufacturier), la promotion de l’esprit d’entreprise notamment chez les jeunes et les femmes, l’investissement continu et à grande échelle dans les infrastructures de qualité (électricité stable, réseaux routiers et ferroviaires en bon état, secteur portuaire fort et des systèmes de communications aériens et maritimes efficaces), des politiques sociales saines, construire un État développementiste porteur d’une vision claire et partagée, caractérisé par une gouvernance responsable et transparente et détenteur d’une forte capacité institutionnelle.

La position de la FEC

Pour Dieudonné Kasembo, vice-président national de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) en charge des PME, la RDC riche en potentialités énormes, a grandement besoin d’investissements divers que variés pour les transformer en richesses. « Si elles ne sont pas mises en valeur, l’émergence souhaitée ne sera qu’illusion », laisse-t-il entendre. D’après lui, « toutes les conditions nécessaires sont réunies pour attirer les investissements », notamment, les terres cultivables, le fleuve et ses affluents, le sol et sous-sol riche en minerais, une population jeune et dynamique, un marché potentiel de par sa démographie, la position géographique du pays au cœur de l’Afrique, ce qui lui permet d’appartenir à différentes communautés économiques régionales…

Cependant, malgré toutes ces potentialités, le volume d’investissements n’est pas au niveau où il devrait l’être. La décision d’investir, explique-t-il, découle de l’analyse du risque d’investissement et tient à plusieurs facteurs, notamment le contexte politique et économique, la taille du marché, le niveau du pouvoir d’achat de la population, la sécurité juridique et judiciaire, la qualification de la main d’œuvre, l’état des infrastructures, la disponibilité des matières premières, les démarches administratives, le niveau de prélèvement obligatoire, les incitations et autres facilités pour attirer et promouvoir l’investissement.

« Le poids de chaque facteur peut varier suivant certains types d’investissements, et éventuellement les mesures d’atténuation disponibles relatives à la couverture du risque en présence que représente un facteur », souligne-t-il. Étant donné l’étroite relation entre le développement et l’investissement, l’attrait des investissements est devenu de plus en plus un enjeu majeur pour les États, poursuit-il. « Les gouvernements se livrent une compétition permanente au même titre que le font les entreprises concurrentes sur le marché commercial. C’est ainsi que les stratégies et politiques publiques de gouvernance sont dynamiques pour mettre en place un environnement des affaires intéressant pour les opérateurs qui exercent déjà et attirer des nouveaux investisseurs », note-t-il.

Selon Dieudonné Kasembo, le classement Doing Business publié chaque année par la Banque mondiale sur la facilitation de faire les affaires dans les économies est un motif d’émulation pour les États qui s’engagent résolument dans les réformes audacieuses et courageuses. Le niveau des coûts de production des biens et services est un facteur très pertinent qui influence sensiblement la décision d’investir. Il permet de comparer la compétitivité d’un espace à un autre et est à la base des délocalisations enregistrées ces dernières années dans le monde. « Ce n’est pas en vain que le code des investissements dans beaucoup de pays s’évertue à accorder des avantages dits fiscaux aux investisseurs au titre d’incitation à l’investissement », fait-il remarquer. Sur la question d’accroître les charges d’exploitation des entreprises par le biais des prélèvements à caractère obligatoires, il dit que la RDC n’est pas un modèle. Le secteur privé déplore « des changements intempestifs des règles, des modifications régulières des taux qui interviennent après que l’investissement a déjà été réalisé ». Ce qui bouleverse toutes les prévisions de l’opérateur économique et rend moins prévisible son action.

Par exemple, les taxes sont créées pour répondre au non-paiement de 40 % de la rétrocession aux gouverneurs de provinces ou pour permettre aux différents ministères de faire des recettes sur le dos des opérateurs économiques. La Société nationale d’électricité (SNEL) n’étant pas en mesure de couvrir la fourniture de l’énergie nécessaire, l’opérateur investit dans l’acquisition d’un générateur, un investissement supplémentaire, mais il est taxé parce qu’il utilise un générateur. L’investisseur pour fonctionner organise une fourniture en eau potable par forage ou un pompage privé, il doit payer à la DGRAD de l’argent.

Tout retard de paiement parce que les affaires ne marchent pas ou dès qu’il a un contentieux, des saisies des comptes sont opérées dans les banques empêchant l’opérateur de fonctionner. À ce jour, on compte plus de 200 taxes prélevées auprès des investisseurs, qui les empêchent de prospérer et, du coup, n’attirent pas des nouveaux investisseurs. La multiplicité des contrôles qui frisent parfois la tracasserie de la part des fonctionnaires préposés mus visiblement par le souci de toucher les 40 % des verbalisants. À cause de la multiplicité des taxes à l’interne, certains produits locaux coûtent plus cher que les produits importés… Un autre facteur qui incite l’investisseur à s’installer dans un pays, « c’est ce qui lui reste quand il a fini de dépenser et de couvrir toutes ses charges utiles à son exploitation et combien le projet est susceptible de générer sur ce qui a été placé sur les activités. Ce n’est pas d’abord ce qu’il dépense qui compte, même s’il fait bien attention à cela ». Kasembo explique : « Aujourd’hui, avec une marge bénéficiaire légale fixée, le retour sur investissement en RD est très limité. Seuls quelques secteurs restreints en bénéficient encore. Le nombre des entreprises qui ferment ou en cessation d’activités illustre bien cette lecture des faits ». Selon lui, l’investisseur en tant qu’actionnaire voudrait aussi voir « son argent produire plus et générer un profit confortable ». Pourquoi placer de l’argent là où il ne lui rapporte rien au lieu de le mettre dans un projet qui permet de bénéficier des rétributions conséquentes ?

Le retour sur l’investissement s’amenuisant, il s’en suit que le revenu à distribuer aussi se rétrécit. Son imposition à l’impôt mobilier au taux de 20 % le réduit encore. En effet, en RDC sur un bénéfice net avant impôt de 100 et s’il est décidé la distribution des dividendes, 52 % seulement de ce revenu sera réparti entre les actionnaires, impôt sur le bénéfice et le profit (IBP), 35 %, revenus après impôt, 65 ; IM 20… Tout cela réduit la capacité financière du projet à distribuer les dividendes aux actionnaires. Le constat est que les entreprises qui opèrent dans une éthique s’interdisant toute pratique frauduleuse, ont été dans l’impossibilité de poursuivre leur exploitation dans notre pays et ont dû fermer des usines de production (Bralima à Mbandaka et à Boma en 2015 et 2016). Trop d’impôts tuent l’impôt. D’autres entreprises ne font que passer de contrat-programme à contrat-programme en vue de bénéficier de certaines immunités fiscales ou protection face aux importations.

Et pourtant, le pays a fait l’expérience d’une loi incitative, le code minier de 2002 qui, plus que le code des investissements, a permis de drainer près de 10 milliards d’investissements en créant plusieurs emplois directs et indirects et contribuant significativement à la croissance du PIB, selon Kasembo. « Cette loi, de par son caractère global et exclusif en matière de la fiscalité, a constitué un signal rassurant pour les investisseurs quant à la clarté, la prévisibilité ainsi qu’à la stabilité des charges fiscales à supporter par les entreprises pendant plusieurs années », confie-t-il.

« En vue d’éviter la décapitalisation des entreprises du fait de la fiscalité et partant leur délocalisation déjà pourtant en cours, il y a tout à gagner à procéder à une véritable refonte de la fiscalité de manière à instituer une protection législative du contribuable ainsi que contre l’arbitraire des administrations, à simplifier la fiscalité, réaménager la politique fiscale, à abaisser les taux, à élargir les bases d’imposition, à abolir les taxes à l’exportation, à réduire les droits à l’importation et à simplifier la structure des taux, etc. » Ceci permettrait de limiter si pas supprimer le recours à des mesures d’incitations spécifiques en faveur des investisseurs au cas par cas.  Puisqu’il n’existe aucune politique fiscale incitative dans le secteur agricole et en faveur de la jeunesse, Kasembo propose l’instauration d’un impôt spécifique, unique et global tenant compte des difficultés de retour rapide sur l’investissement ainsi qu’une fiscalité appropriée pour inciter la PME à pouvoir investir. « Il y a lieu de procéder à un allègement du régime fiscal des PME ».