À L’ANALYSE, la législation et la règlementation en République démocratique du Congo en vigueur en matière de taxation des produits du tabac sont minimalistes, et les obstacles à leur application stricte sont grands : la fraude, la contrebande des produits contrefaits… Les cigarettes sont vendues au mépris de toute norme, dans les supermarchés que fréquentent les autorités sensées faire appliquer la loi. Dans une récente étude, la Banque mondiale épingle trois principaux facteurs à l’origine du tabagisme qui se situe bien loin devant l’alcoolisme : la croissance de la population jeune, les taxes d’accise minimales imposées et la faiblesse des structures gouvernementales.
Ce sont ces facteurs qui font du continent africain une « zone stratégique », selon la Banque mondiale, pour les acteurs de la contrefaçon du tabac. Globalement, explique le rapport de la Banque mondiale, 43 milliards de tiges de cigarettes illégales circulent chaque année sur le marché en Afrique subsaharienne. À l’échelle mondiale, les pertes en recettes fiscales liées au tabac illégal ont été estimées entre 40 et 50 milliards de dollars, ce qui représente l’équivalent de 10 % de la valeur de consommation mondiale de cigarettes.
En RDC, le commerce illicite du tabac est à la base de l’augmentation des fumeurs, selon l’enquête réalisée en septembre 2019 par Initiative locale de développement intégré (ILDI-ONGD) auprès des élèves de 13 à 15 ans dans le milieu scolaire à Kinshasa et à Lubumbashi. L’étude révèle que la consommation moyenne du tabac est estimée à 33 % de la population. La tige de cigarette coûte environ 0,03 dollar pour la marque économique, tandis que le haut de gamme se vend à 0,12 dollar.
Et selon la même enquête, la RDC enregistre d’importantes pertes fiscales du fait de la présence de plusieurs marques de cigarettes sur le marché, y compris dans les supermarchés, sans vignette fiscale officielle. Pour l’ILDI, l’importation frauduleuse massive du tabac et de ses dérivés justifie la stabilité des prix de vente au détail de la cigarette en RDC. Cela fait en sorte que, le prix de vente de la cigarette, par paquet dans les magasins hors taxes, est au même niveau que celui pratiqué dans les supermarchés.
Forum consultatif
La vente à la tige de la cigarette qui est contraire à la Convention-Cadre de la lutte pour l’élimination du commerce illicite des produits du tabac, une initiative de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), non encore ratifiée par la RDC, rend les cigarettes accessibles à toutes les bourses. Dans l’Est de la RDC, des cargaisons de cigarettes sujettes à caution passent par des voies officielles, ce qui donne à penser à une complicité entre les agents de la Direction générale des douanes et accises (DGDA) et les trafiquants de cigarette. Des associations nationales de lutte contre le tabagisme, comme l’ILDI-ONGD, ne désespèrent pas dans leurs efforts de plaidoyer. Avec le nouveau code des accises (O-L n°18/2002 du 13 mars 2018), le taux d’imposition moyen (ad valorem) des produits du tabac est passé de 40 % à 60 %. Tandis que le taux pour les droits spécifiques a été porté à 20 %. Outre cette augmentation du taux d’imposition, le nouveau code des accises prévoit également la possibilité d’imposer un droit d’accises spécial aux produits du tabac, d’instaurer des signes fiscaux à apposer sur les paquets de 20 cigarettes ainsi que d’autres dispositions particulières pour réduire et décourager la consommation de tabac en RDC.
D’après ces associations, le commerce illicite des produits du tabac tue à petit feu les consommateurs de ces produits. Par ailleurs, la contrebande, la contrefaçon et la fabrication illégale occasionnent un manque à gagner énorme des recettes fiscales. C’est pour ces raisons et d’autres encore que l’ILDI-ONGD a organisé à Kinshasa un forum consultatif. « Nous demandons une action accélérée pour mettre en place des mesures politiques au niveau national afin de stopper efficacement les FFI en provenance de l’Afrique en général et en RDC en particulier, et de récupérer des milliards pour des investissements nationaux solides », a déclaré Godefroid Mboyo, le chargé des projets à l’ILDI-ONGD.
C’est dans le prolongement de la campagne mondiale de sensibilisation des décideurs sur la nécessité de décourager et bannir le commerce illicite du tabac, conformément à la Convention-Cadre de l’OMS, que ces assises viennent d’être tenues. L’une des actions de l’ILDI-ONGD, c’est de sensibiliser la DGDA, la Direction générale des impôts (DGI) et le ministère du Commerce extérieur à une « collaboration étroite » pour lutter contre le tabagisme, un véritable problème de santé publique.
En RDC, la cigarette est vendue par tige au prix de 0,03 dollar alors que la Convention-Cadre de lutte antitabac de l’OMS interdit la vente du tabac à la pièce ou par petits paquets. « Cette modalité de vente de la cigarette rend malheureusement le tabac accessible à la population pauvre et surtout aux mineurs », a déploré Godefroid Mboyo, chargé des projets au sein de l’ILDI-ONGD.
D’après cette ONG, il y a une incohérence dans les données : l’importateur de produits du tabac déclare des chiffres d’affaires différents au cours d’un même exercice fiscal aussi bien pour le calcul de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) que pour l’impôt sur le bénéfice et le profit (IBP). Par ailleurs, les données du ministère du Commerce extérieur ne concordent pas avec celles de la Direction générale des douanes (DGDA), utilisant pourtant le système Sydonia Word. « Les écarts vont du simple au double. »
Une loi contraignante
Sensibiliser les acteurs étatiques et non étatiques sur l’importance de l’augmentation des taxes sur le tabac mais aussi sur la nécessité de la réforme du système fiscal à l’heure de la pandémie de coronavirus, c’est l’objectif de cette réflexion à l’initiative de l’ILDI-ONGD. Pour son coordonnateur, Harley Kabamba Bukasa, il a été question d’évaluer les efforts dans la lutte contre le tabagisme et le système fiscal en République démocratique du Congo afin de proposer « des solutions idoines ». Pour faire court, le forum consultatif a débouché sur un plaidoyer fiscal, notamment pour l’augmentation des taux de la taxation sur l’importation du tabac ou des cigarettes.
Le tabac est à la base de plus de 25 maladies pulmonaires, cardio-vasculaires et d’autres maladies au niveau du sang avec le monoxyde de carbone, fait remarquer le toxicologue Ndelo-Di-Phanzu. Le tabagisme diminue l’immunité. Le tabagisme est à la base du risque le plus important des maladies pulmonaires obstructives chroniques et des infections des voies respiratoires… Pour l’ILDI-ONGD, la loi n’est pas très regardante en matière de lutte contre le tabagisme. « Il faut une loi en matière pénale », préconise le toxicologue Ndelo-Di-Phanzu. « Le levier fiscal constitue l’une des mesures efficaces pour le contrôle du tabac, car l’augmentation régulière des taxes pourrait ainsi contribuer à la diminution de sa demande auprès des consommateurs », souligne Harley Kabamba.