EN CE MOMENT solennel précis, où le Continent Africain, dans son ensemble célèbre la première édition de la Journée Africaine de Lutte contre la Corruption, placée sous le thème : « Vers l’élaboration d’une position africaine commune sur le recouvrement des avoirs », c’est pour moi, un insigne honneur, de prendre la parole devant de votre auguste assemblée pour, une fois de plus, rappeler mon indéfectible engagement à lutter avec hargne et sans relâche contre la corruption et les actes infractionnels qui lui sont voisins, en l’occurrence la concussion, le détournement des deniers publics, le favoritisme, le clientélisme, etc.
En effet, dans notre pays, la corruption est un phénomène qu’on ne présente plus : elle se présente sous des formes multiples, on parle notamment de petite et de grande corruption. Elle touche de nombreux secteurs, qu’ils soient publics ou privés. La diversité de la corruption renvoie, d’une part, à la petite corruption qui touche le citoyen lambda dans son quotidien et, d’autre part, à la grande corruption qui est celle qui s’insinue au sein même des structures étatiques, même au plus haut niveau de l’État, impliquant un large éventail d’agents publics (des fonctionnaires subalternes aux membres les plus hauts placés de l’État).
Selon des études crédibles, la corruption qui existait déjà en RDC sous la colonisation belge et qui a durablement affecté la période postcoloniale, a atteint un statut de « règle absolue » sous sa forme étatique depuis plusieurs années. Pendant la Deuxième République, la corruption avait trouvé ses ferments dans « un pouvoir autocratique sans contrepoids ni comptes à rendre, une confusion entre biens publics et biens privés, une pression sociale valorisant l’ostentation des élites et la redistribution ».
Au lendemain de la Révolution de l’AFDL, la corruption a été nourrie par des stratégies prédatrices violentes sous forme notamment de confiscation des biens que l’on convoitait. Bien après le régime AFDL, la corruption s’est diversifiée dans ses formes au point même d’être normalisée et même banalisée. Tantôt, elle prend la forme d’accaparement et/ou le détournement des biens et deniers publics principalement pour servir à l’achat de voix lors des élections, tantôt elle se présente sous forme des pots-de-vin lors de rencontres avec des autorités de police, des magistrats, des inspecteurs des impôts ou même pour décrocher un marché public ou encore pour l’obtention d’un permis de construire.
Pour stigmatiser l’ampleur du phénomène et son ancrage dans la société congolaise, d’aucuns ont indiqué avec ironie que « tout peut s’acheter au Congo : une décision judiciaire, un titre universitaire, un diplôme scolaire, une carte d’identité, un emploi, un permis de conduire, un passeport, une nomination politique, une promotion administrative, un titre foncier, un certificat de naissance, une attestation de bonne vie et mœurs… ».
Devant l’ampleur de ce phénomène de corruption, l’opinion tant nationale qu’internationale se demande pourquoi, en dépit de l’existence d’un arsenal juridique acceptable composé notamment de lois anticorruption, d’institutions étatiques en charge de ce secteur, des cas clairs de grande corruption et de transactions douteuses rapportés par l’Organisation des Nations Unies et des groupes de la société civile (comme ce fut le cas récemment à l’occasion des élections sénatoriales et législatives), de la proclamation de diverses campagnes de lutte contre la corruption sous diverses appellations dont « Tolérance zéro », la corruption rampante dans tous les secteurs (politique, socioéconomique) demeure malgré tout l’un des principaux problèmes de notre pays et les personnes impliquées ne sont nullement inquiétées.
À titre de rappel, la RDC a érigé la corruption en infraction sévèrement sanctionnée par les peines d’amendes et de prison (art. 149 bis Code Pénal livre II). Elle s’est dotée d’un Code de Conduite de l’Agent Public de l’État (Décret-loi 017-2002 du 03 octobre 2002) et d’un Observatoire du Code d’Éthique professionnelle (Décret n° 075-2003 du 03 avril 2003). Elle a ratifié un protocole d’accord avec la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) daté de 2001 pour la lutte anti-corruption. Depuis 2004, notre pays dispose d’une loi réprimant le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Loi n° 04/016 du 19 juillet 2004). Par ailleurs, notre pays a signé la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption en 2013. Les réponses à ces interrogations peuvent être trouvées tant du côté de l’État que des opérateurs privés et même des citoyens.
Du côté public, l’ingérence politique constante en matière économique et financière, l’impunité quasi-absolue pour les titulaires de charge publique, le manque de volonté politique, l’absence quasi totale de transparence dans les décisions gouvernementales et la reddition des comptes, y compris pour les marchés publics. On met également l’inefficacité des structures gouvernementales, la faiblesse des capacités administratives ainsi que les bas salaires, associés à l’absence de surveillance, la partialité et l’intermittence des audits, le faible suivi de l’exécution des décisions étatiques.
Du côté des entreprises opérant en RDC, en particulier celles qui se trouvent dans le secteur lucratif (de l’exploitation minière, du bois, de télécommunication, etc.), elles compromettent trop souvent leurs valeurs morales et éthiques officiellement défendues et ont peu d’intérêt à la transparence concernant les appels d’offres, les ventes d’actifs et, surtout, à la mise en œuvre de la protection environnementale, au respect des droits fondamentaux des travailleurs et des villageois au sein des grands projets miniers, énergétiques, agricoles, etc.
Pour de nombreuses grandes entreprises, les coûts élevés de corruption demeurent plus faibles que les coûts d’une pratique véritablement intégrée et éthique des affaires. Une telle situation de corruption ne peut ni être tolérée ni être entretenue. D’où la nécessité et l’urgence d’envisager de mesures essentielles et plus efficaces pour faire face à ce phénomène et de la sorte ancrer la crédibilité du Gouvernement dans sa quête d’une croissance inclusive et soutenue de la RDC…
LA PREMIÈRE mesure reste le respect de l’État de droit. Le respect de la loi à tous les niveaux doit être notre guide. À ce sujet, je fais appel à tout le personnel de l’appareil judiciaire du pays, spécialement aux Magistrats qui doivent, en toutes circonstances, rendre une justice juste et équitable sans pour autant céder à la tentation de corruption. Des moyens adéquats et conséquents seront mis à la disposition de la Justice pour lui permettre de bien faire son travail.
Loin de moi l’idée de minimiser l’approche préventive qui consiste à mener des actions allant dans le sens de sensibiliser et de moraliser la population sur les méfaits de la corruption et des actes asociaux qui lui sont proches pour l’essor socio-économique de notre pays. Ainsi, ces actions de sensibilisation viseront particulièrement les familles, cellules de base de la société et tous les secteurs sociaux.
À cette double approche répressive et préventive doit s’ajouter le renforcement du cadre légal et institutionnel de lutte contre la corruption. Cela requiert de revisiter notre arsenal juridique et institutionnel de lutte contre la corruption et de mettre en place d’autres mécanismes et moyens plus adaptées à la mutation du phénomène de la corruption, avec des sanctions plus dissuasives. J’insiste sur l’approche répressive pour lancer ainsi un message fort contre les intouchables corrupteurs et corrompus d’hier et d’aujourd’hui. Sous mon mandat, ces intouchables sont appelés à la reconversion par la stricte application de la loi. En conséquence, dans un avenir proche, je vais signer et déposer les instruments de ratification de la Convention de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption. Cette ratification permettra, sans nul doute, à la RDC de récupérer les avoirs et les produits de transaction de la corruption disséminés dans les paradis fiscaux au détriment du bien –être social du peuple congolais. Dans le même ordre d’idées, comme je l’ai indiqué dans mon message à la Nation, je prends aussi l’engagement de pouvoir solliciter et obtenir du Parlement, la modification de la Loi électorale, en ce qui concerne le mode d’élection des députés provinciaux, des Gouverneurs et des Sénateurs. Sur le plan institutionnel, je vous informe de la création, sous peu, au sein de mon Cabinet, d’un Service Spécialisé dénommé « Coordination pour le Changement de Mentalités », en sigle CCM, qui aura entre autres missions d’assurer la prévention, la sensibilisation, la lutte contre toutes sortes d’antivaleurs.
C’est avec une note d’espoir que je termine mon propos de ce jour, en affirmant avec ma toute dernière énergie que je crois fermement en la capacité de changement positif de l’homme congolais. À cet effet, conjuguons tous, nos efforts, chacun dans son secteur d’activités, afin de vaincre ce fléau de corruption avec toutes les antivaleurs qui lui sont voisines. Il est, certes difficile, et non impossible d’arriver à une génération sans corruption. Il suffit d’y croire et de travailler, main dans la main, pour son éradication à tous les niveaux.
Je tiens à remercier les organisateurs de la cérémonie, plus particulièrement l’Observatoire de Surveillance de la Corruption et de l’Éthique Professionnelle, OSCEP en sigle, à qui je rends hommage et demande de ne jamais de baisser les bras dans la lutte contre la corruption et ce, en dépit des difficultés et des écueils rencontrés.