LE NOUVEAU président de la République devra investir beaucoup – peut-être trop – pour gérer le pays. Les Congolais, en « donnant » la majorité parlementaire absolue aux soutiens du pouvoir sortant, MP devenue FCC, perturbent sérieusement cette marche de l’opposition qui se voulait triomphale. Une issue électorale dont Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo (Fatshi) ne devrait pas se targuer. Cette carte refroidit à coup sûr ses ambitions politiques à la tête du pays.
Et voilà la République démocratique du Congo plongée, une fois de plus, dans l’une de ses tourmentes politiques spasmodiques qui ont jalonné son existence. Et voilà tous les responsables politiques nationaux à la recherche de la formule magique qui permettrait de sauver l’alternance (?) sans humilier le peuple frondeur. « La RDC, c’est de toute façon la crise permanente », commente et tempère un diplomate occidental.
Il estime que dans les rangs de l’opposition, après avoir encaissé le choc l’on devrait resserrer les rangs écartelés, renouer le dialogue et définir les lignes directrices de la future stratégie. Il estime aussi que ce « fâcheux contre-temps » ne devrait pas être minimisé ni dramatisé.
« Il faut laisser le temps au temps sans en prendre », explique-t-il. Deux précédents de cohabitation sont, évidemment, dans tous les esprits : celles du président Mobutu Sese Seko avec Etienne Tshisekedi, qui avait rejeté, déjà, une première fois le poste de 1ER Ministre avant de l’accepter, après avoir été élu à la Conférence nationale souveraine (CNS) en 1992, et à la suite de la guerre de l’AFDL en 1997. Est-il possible d’appliquer une fois encore ce genre de recette ? L’avenir le dira, mais, d’ores et déjà, il est légitime de s’interroger sur les conséquences à court terme du vote des Congolais.
Les priorités de la présidence
Félix Tshisekedi devra ne pas sous-estimer les difficultés et savoir pertinemment qu’il ne devrait pas s’ériger en donneur de leçons. Mais il doit se décider à redoubler d’ardeur en comptant notamment sur des appuis internes et extérieurs pour faire aboutir les « 350 mesures prioritaires » de son programme de campagne.
Techniquement, la présidence de Tshisekedi devra, de toute façon, se dérouler dans le cadre de cinq dossiers clés : paix et sécurité (notamment dans l’Est) ; primauté de l’État de droit ; protection des libertés individuelles et démocratiques ; lutte contre l’impunité, la corruption et l’enrichissement sans cause ; amélioration du climat des affaires pour attirer les investisseurs, créer les emplois et la croissance. Sur deux dossiers au moins, le « séisme » électoral risque de faire sentir ses effets : la paix et la sécurité ; la relance de l’économie. Sur le premier, il faut donner plus de « vigueur » à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour le retour de la paix et la stabilité à l’Est. La relance de l’activité économique et le développement durable dans les provinces touchées (notamment le riche Nord-Kivu) sont à ce prix-là.
Sur le second, le nouveau président n’aura pas de répit si les chefs d’entreprises ne retrouvent pas le moral, ni si le pouvoir d’achat des Congolais ne se reprend pas, ni si les emplois ne sont pas créés…
Il pourra aussi souffrir du climat général et perdre beaucoup de sa superbe si le dossier des revendications sociales : salaires décents, gratuité de la scolarité, soins médicaux, retraite, logement, transport… n’est pas directement et rapidement mis en main.
Il ne s’agit plus de se lancer dans un processus gouvernemental où les postes sont obtenus par copinage (politique ou familial). Mais de baisser les vannes. « Sérieusement, pas plus de quinze ministres, privilégier la compétence et non le militantisme, éviter les cafouillages pour assainir les finances publiques… », souligne un secrétaire général de l’administration retraité.
Il va de soi que les Congolais se montreront très sévères sur le comportement du nouveau président et du nouveau gouvernement, les deux têtes de l’exécutif national face à leur capacité de résoudre les problèmes du pays. Les Congolais s’inquiètent depuis plusieurs années pour leur avenir. « Si sur aucun des grands dossiers du pays qui préoccupent les gens, le nouvel exécutif n’apporte de réponse intelligible, pourquoi voulez-vous que les citoyens, quand ils sont consultés, n’expriment pas leur mauvaise humeur ? », ajoute un syndicaliste dans le secteur de l’enseignement.
« Il faut qu’il change vite fait ». C’est le refrain que serinent tous les commentaires à l’adresse du nouveau chef de l’État. Il est vrai qu’avant le vote, les Congolais souhaitaient le changement, l’alternance, le gouverner autrement sous la bannière de l’opposition. Il est vrai aussi que le clivage ou la « division » au sein de l’opposition qui compte a traversé l’élection présidentielle, et le « coup de tonnerre » change tout. « Cette fracture plombe l’ambiance dans le pays, touche toutes les politiques nationales. On ne fait pas la politique avec des institutions faibles », explique un politologue.
D’où la nécessité de la volonté de ne pas se contenter d’un rafistolage institutionnel mais de réhabiliter la politique au niveau national. Les attentes des citoyens sont immédiates. Tshisekedi, lui-même, a fini par se convaincre qu’il doit cesser d’être le président d’un parti, d’une tribu… et prendre de la hauteur. Avec vue sur l’histoire nationale. La RDC est une nation tempérée, traversée par les manifestations de revendications politiques, démocratiques et sociales. Elle veut quelqu’un pour la diriger et boire les colères de la population. Quelqu’un qui parle vrai. Comme Patrice Emery Lumumba.