Finances publiques : état des lieux

Le plus grand reproche que l’on fait à l’État congolais, c’est de ne pas savoir exploiter à fond le potentiel fiscal du pays. Le système fiscal congolais (impôts, douanes, taxes) est souvent dénoncé, parfois avec véhémence, non seulement par les assujettis et les contribuables, mais aussi par l’État lui-même à cause de ses insuffisances en termes de mobilisation des recettes.

COMMENT relever les recettes de l’État à un niveau qui reflète les potentialités du pays ? Les faiblesses et les maux du système fiscal congolais sont relevés dans les rapports des missions gouvernementales ou parlementaires et corroborés par diverses analyses et études effectuées aussi bien par les partenaires que par des institutions ou organisations socioprofessionnelles. Parmi les faiblesses, il s’agit notamment de l’étroitesse de l’assiette fiscale qui fait peser le fardeau sur une petite catégorie des personnes ou des entreprises seulement, ce qui rend le système fiscal « inique ». Il est paradoxal que sur une population estimée à environ 84 millions d’habitants, la République démocratique du Congo ne compte que quelque 170 000 assujettis au système fiscal possédant un numéro d’impôt. 

Il s’agit aussi de la lourdeur et de la multiplicité des perceptions dont se plaignent les opérateurs économiques qui se sentent « asphyxiés ». En effet, outre la dizaine d’impôts perçus, il existe également près de 400 taxes à caractère légal et parfois illégal. Cela incite bon nombre d’assujettis à la fraude et à la corruption. Il s’agit également de la prolifération des exonérations provenant des régimes fiscaux d’exception, souvent à l’efficacité économique peu évidente, qui amenuisent les recettes fiscales et entraînent un traitement discriminatoire des opérateurs économiques. Enfin, il s’agit de la multiplicité des intervenants administratifs et de la différenciation des procédures qui ne facilitent pas l’accomplissement des obligations fiscales et les relations entre assujettis et administrations, rendant ainsi le système fiscal complexe.

Tendance à la baisse

Organisé en fonction de la décentralisation administrative et politique en trois paliers (fiscalité nationale, fiscalité provinciale et fiscalité locale), le système fiscal congolais compte 3 administrations fiscales nationales, 58 services d’assiette au niveau national, 26 régies financières provinciales et 260 services percepteurs au niveau des entités territoriales décentralisées et locales. Dans leur fonctionnement, non seulement tous ces services s’adressent généralement aux mêmes assujettis, des conflits de compétence naissent parfois entre eux, à l’instar des problèmes suscités par la perception de la taxe de pollution et de l’impôt sur les revenus locatifs.

Cette complexité du système fiscal ainsi que ses incohérences font que, d’un côté, les opérateurs économiques se plaignent d’être « asphyxiés par une fiscalité très lourde », et, de l’autre côté, l’État trouve faible le rendement du système fiscal national. En effet, bien qu’elle ait été croissante ces douze dernières années, avec toutefois une tendance baissière ces cinq dernières années, l’évolution des recettes fiscales de la RDC est loin de refléter le potentiel fiscal de son économie. Par exemple, alors qu’en 2016, les recettes internes mobilisées ne représentaient que 9,6 % du produit intérieur brut (PIB), une étude de la Banque mondiale estimait qu’avec la contribution du seul secteur extractif (minier), la RDC devait réaliser des recettes annuelles de l’ordre de 22 % du PIB.

Dès lors, l’évolution des recettes fiscales issues de certains secteurs d’activités, notamment les secteurs minier et immobilier, ne semble pas refléter la croissance enregistrée par ces secteurs. Pour corriger toutes ces faiblesses, estiment nombre d’experts, l’État doit réformer son système fiscal pour le rendre simple, attractif, compétitif et capable d’assurer une mobilisation élevée des recettes publiques. En tout cas, il faudra une bonne dose de volonté politique pour y parvenir. La volonté, tout court, suffit pour réformer, car, dit-on, qui veut, peut. Pour cela, il faut oser pour réformer et commencer quelque part. 

La réforme a un coût. C’est le coût du changement, c’est-à-dire le changement de culture et de mentalité. La réforme est avant tout un processus qui ne doit plus s’arrêter quand il est déclenché. En se projetant dans l’avenir, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, a affiché dans ses engagements de campagne électorale sa volonté de doter le pays d’un budget reflétant l’importance de son potentiel (ressources naturelles, humaines, matérielles et techniques). 

En 2020, il a imposé au gouvernement un budget de 10 milliards de dollars. Seulement voilà, rien que pour le premier semestre de cette année, les recettes mobilisées ont été de l’ordre de 4 588 373 817 266, contre les prévisions de 9 272 613 415 496, soit un taux de réalisation de 49,5 %. Bref, les mesures prises dans le cadre du Budget 2020 pour accroître les recettes de l’État n’auront pas produit les résultats attendus. Bien plus, le rêve d’un budget à deux chiffres ne pourra pas être réalisé l’année prochaine. En effet, le projet de Budget 2021 est chiffré à 6,8 milliards de dollars.

Pourtant, expliquent certains experts, un budget minimal de 15 milliards de dollars l’an est possible, pourvu qu’il y ait des changements dans la promotion de la croissance économique, la quantification de la matière imposable, la conception et l’exécution des outils de collecte moderne des impôts, taxes et redevances. 

Il faut aussi renforcer la lutte anti-corruption et contre l’incivisme fiscal. En application de cette vision, le programme du gouvernement prévoit de renforcer la mobilisation accrue des recettes en vue de vaincre la misère dans laquelle vit la grande majorité de la population, d’une part, et, d’autre part, à stabiliser les prix des biens de première nécessité sur le marché des biens et services. 

Les défis de la réforme

Comme si les contre-performances des trois régies financières (Direction générale des impôts/DGi, Direction générale des douanes et accises/DGDA, Direction générale des recettes administratives, domaniales, judiciaires et de participations/DGRAD) ainsi que des services d’assiette dans la mobilisation des recettes ne suffisaient, l’État est confronté à la problématique du rapatriement des devises par les compagnies minières et des sous-comptes parallèles au compte général du Trésor public. Pourquoi les finances publiques se trouvent-elles dans cet état ? Que faire pour sortir de cette spirale ? 

Plusieurs facteurs semblent être à la base de ces contre-performances, notamment le cadre juridique et réglementaire, la défaillance de l’État et l’absence de modernisation des équipements. Le cadre juridique et réglementaire pose problème dans l’application des lois et autres textes, tout comme elle favorise l’évasion fiscale, la fraude et les autres abus qui occasionnent des manques à gagner pour le Trésor public. 

Aujourd’hui, la numérisation des services publics est devenue un impératif  pour les États qui ont compris l’importance de simplifier les délais et les procédures, mais aussi de recourir aux nouvelles technologies de l’information et de la communication en vue de maximiser davantage leurs recettes publiques. Le diagnostic du système fiscal congolais montre : un, une multitude de petites taxes (recettes non-fiscales, parafiscalité, patente, enregistrement, etc./causes complexes en partie liées au manque de crédibilité du budget). Deux, une TVA en perte de vitesse (manque de contrôle de l’assiette et des contribuables), manque de contrôle des frontières et donc de la TVA sur les biens de consommation). Trois, un impôt sur le revenu à repenser (impôt cédulaire à repenser/impôt dual?) pour simplifier et rendre plus équitable, moderniser l’impôt des sociétés, inclure de meilleures règles de fiscalité internationale. 

Quatre, des exonérations non-contrôlées (revoir les termes des exonérations existantes, resserrer les exonérations de la TVA, resserrer et intégrer au droit commun les incitations à l’investissement). Cinq, coordonner la fiscalité du centre et des provinces (renforcer le dialogue permanent, conformité interprovinciale dans le respect des juridictions et privilèges de chacun). Et six, simplifier la législation fiscale (multiplicité de codes, code général des impôts et code des douanes devraient tout rassembler). Selon ce diagnostic, le système fiscal congolais pourrait se résumer à « simplifier, moderniser et élargir l’assiette ».