MALGRÉ les réticences de la REGIDESO et de l’autorité provinciale, le « Contrat de collaboration » a été tout de même signé par la REGIDESO, Congo Maji Sarl et la province (en tant que témoin) en date du 31 août 2018. Les réticences étaient fondées sur le manque de transparence dans l’exécution du Contrat de collaboration entre la REGIDESO et Mercy Corps à travers Congo Maji, avec pour témoin la province. Par exemple, les associés dans Congo Maji Sarl, Mark James Dwyer et Papy Saïdi Byamungu, sont toujours employés de Mercy Corps/RDC.
L’année dernière, au Forum de Paris sur la paix, Mercy Corps a présenté son programme Imagine, comme le premier partenariat public-privé innovant à Goma et Bukavu, afin d’y améliorer l’accès à l’eau potable. « Les présentations de Mercy Corps ont porté sur le succès d’un modèle innovant qui complète le développement des infrastructures publiques d’eau par la mise en œuvre d’une solution de gouvernance au travers d’un partenariat public-privé gagnant-gagnant », peut-on lire dans la News Letter de Mercy Corps/RDC, du 6 novembre 2019.
Présent à ce forum, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, avait fait un détour au stand de Mercy Corps, où on lui a parlé de ce programme, comme un partenariat gagnant-gagnant pour 5 raisons. Un, il permet à la population d’avoir accès à l’eau potable et à faible coût. Deux, il permet à la REGIDESO d’avoir des revenus sûrs, tout en optimisant l’affectation de ses ressources humaines. Trois, il permet au gouvernement congolais, au travers de la province, d’expérimenter son nouveau rôle de maître d’ouvrage, de collecter des taxes et impôts supplémentaires en conséquence de l’exécution de ce contrat et surtout de satisfaire à l’un des besoins fondamentaux de sa population. Quatre, il permet à Congo Maji de développer des outils toujours performants et plus adaptés au contexte afin de livrer les résultats du contrat et de couvrir ses dépenses de fonctionnement (Opex). Et cinq, il permet à Mercy Corps de prouver qu’il est possible, même dans des conditions d’environnement plus hostiles, de relever la résilience de la population.
Selon ce qu’en rapporte justement cette News Letter, le président de la République s’est préoccupé de savoir trois choses : le programme Imagine est-il un business social en faisant payer l’eau à la population ? Quel est le modèle de business qu’il utilise ? Et quelle pérennité des activités du programme sur les entreprises congolaises ?
Flou artistique
Tout porte à croire aujourd’hui que Congo Maji n’a servi finalement que de faire valoir à Mercy Corps pour obtenir le contrat de collaboration avec la REGIDESO. Mais au profit de quels intérêts et dans quel but ? Mark James Dwyer, dont le nom revient souvent, avait promis, pourtant, de répondre à toutes les questions que les gens se posent. Les rédactions de Business et Finances attendent toujours.
C’est en date du 27 novembre 2018 que les associés dans E4I, réunis à Edinburgh, lui ont délégué des pouvoirs pour négocier, transacter toutes les parts sociales de Congo Maji Sarl au profit d’E4I, de modifier les statuts de celle-ci et de créer une société unipersonnelle (Sarl-U). Fort de ces pleins pouvoirs, Mark James Dwyer va procéder, en janvier 2019, à la modification des statuts de Congo Maji Sarl pour lui substituer Congo Maji Sarl, société unipersonnelle.
En réalité, il a évincé son associé Saïdi Byamungu pour rester seul maître à bord (associé unique) dans Congo Maji new look. Dans les statuts de Congo Maji Sarl-U, il est dit que la société E4I est représentée par Mark James Dwyer, son initiateur et concepteur. En plus, il y est écrit que E4I été créée en janvier 2019, alors que les statuts ont été approuvés le 20 décembre 2018 (soit 10 jours avant la mise en œuvre du Contrat de collaboration) et notariés à Goma le 4 février 2019.
Congo Maji Sarl disparaît donc au profit d’E4I, qui a racheté toutes ses parts. Le capital social passe automatiquement de 25 000 dollars à 350 000 dollars (art 7 des statuts de Congo Maji Sarl-U). Alors qu’il est directeur exécutif au sein du programme Imagine de Mercy Corps, Mark James Dwyer représente la société écran E4I en tant qu’« agent de terrain » investi de tous les pouvoirs pour transacter des sociétés et mener des activités en son nom et pour son compte. À ce titre, il a la gestion directe des finances, du commercial et de l’exécutif de Congo Maji.
Dans ce dossier, Mercy Corps ne communique pas sur l’essentiel à ses partenaires : aucune communication sur les modifications du capital de Congo Maji Sarl ; aucune communication sur la société E4I, sur ses ressources, sur son personnel, sur son adresse physique en RDC, sur son expérience, sur son expertise, sur ses capacités financières, sur ses partenaires, sur ses sources de financement ; aucune communication sur le transfert de 3 millions de dollars destinés à Congo Maji Sarl pour la mise en œuvre du Contrat de collaboration.
Tenez : fin 2019, les services fiscaux provinciaux constatent l’utilisation de la main-d’œuvre non déclarée dans Congo Maji-E4I-Mercy Corps. La Direction générale des impôts (DGI/NK) contraint Congo Maji à payer environ 70 000 dollars pour pratiques frauduleuses. Pour sa part, la Direction générale des recettes administratives, domaniales, judiciaires et de participations (DGRAD) enquête sur les pratiques douteuses d’E4I-Congo Maji-Mercy Corps. En même temps, Jean Ruyange, le ministre provincial de l’Énergie et des Ressources hydrauliques du Nord-Kivu, décide de voir clair dans la relation de Mercy Corps à Congo Maji Sarl et E4I.
À propos de Mercy Corps, on retiendra utilement que c’est une association sans but lucratif (ASBL) de droit américain, qui a son siège principal à Portland, Oregon, aux États-Unis, et à Edinburgh en Ecosse. Elle gère un important portefeuille de financements de l’UKAID et de l’USAID. En RDC, elle a son bureau de représentation à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu.
Mercy Corps a signé un accord-cadre avec le gouvernement congolais, le 9 septembre 2013, notamment, entre autres, pour développer et promouvoir le partenariat avec les nationaux et encourager la gestion des projets par les bénéficiaires afin de pouvoir les pérenniser. Par ailleurs, tout litige résultant de l’application ou de l’interprétation de cet accord-cadre sera soumis, à défaut d’un arrangement à l’amiable entre les deux parties, devant les juridictions compétentes du ressort du bureau de représentation de Mercy Corps en RDC.
Dans le cadre du programme Imagine, qui apporte « un soutien aux zones précaires affectées par des conflits », le Département britannique de développement international (DFID) a envisagé de mettre à la disposition de la RDC un financement de 8 millions de dollars pour l’amélioration de l’alimentation en eau potable des populations de Goma.
La ville de Goma est bâtie sur la roche volcanique, ce qui rend difficile le forage. Il n’y a que le lac Kivu pour produire et distribuer l’eau potable dans les quartiers. C’est ainsi que la libéralisation du secteur de l’eau, mais aussi de celui de l’électricité, dans le chef-lieu de la province du Nord-Kivu est une réalité que l’on vit au quotidien. Dans cette ville, tous sont quasi unanimes que l’alternative des privés et des ONG à la gestion (production, distribution et commercialisation) de l’eau face à la défaillance de l’opérateur public est un grand enjeu d’aujourd’hui et de demain.