DANS la ville de Goma, tous sont à peu près d’accord que c’est une bonne chose que de soulager la souffrance des populations, surtout dans l’arrière-pays où les services sociaux de base ne sont pas toujours bien assurés. Sans doute qu’« on ne crache pas sur la main qui vous nourrit ». Mais, et c’est un mais qui compte, le silence assourdissant sur le travail de ces « bénévoles » venus d’ailleurs inquiète. Lorsqu’on aborde le sujet, on voit le gêne d’en parler chez les gens, surtout les institutions. Les officiels confient off the record qu’ils sont un peu perdus.
Nous avons alors demandé aux gens comment ils jugent le travail des ONG dans cette ville. « Parler des ONG, oui, mais desquelles ? Des organismes onusiens, ces mastodontes de l’humanitaire ? Des ONG qui dépendent de leurs gouvernements ? Ou alors des ONG qui fonctionnent grâce à des contributions des privés ? Il faut avoir du courage pour s’en prendre aux financements fainéants et dormants qu’apportent toutes ces structures ou pour s’aventurer dans ce bourbier », nous confie un ancien agent CICR rencontré à Mugunga dans la périphérie de Goma.
Ce père de famille aujourd’hui au chômage, sert de relais communautaire bénévole quand il en a le temps.
Des profits rapaces
Si les politiques et les autres feignent de ne rien voir, cet homme de 57 ans, lui, a remarqué que toutes ces ONG ne sont pas là que pour de l’humanitaire. Derrière les rideaux, dit-il, il y a des « profits rapaces » : salaires astronomiques pour les experts expatriés, avantages divers (logement, véhicule et autres) qui ne cadrent pas avec la réalité du milieu d’intervention… et au final, rien que des miettes pour le projet proprement dit.
En effet, sur 5 dollars investis dans le projet, 1 dollar seulement va à la réalisation de ce projet. Jamais rassasiés, selon notre interlocuteur, ces experts de l’aide humanitaire venus d’ailleurs se transforment en entrepreneurs de l’humanitaire, cherchant parfois à se substituer à l’État dans certains endroits du pays ou à prendre la place des structures locales actives sur le terrain. Vu sous cet angle, souligne un autre habitant de la ville, Congo Maji est l’illustration parfaite du business humanitaire.
Tout est sur mesure
De quoi s’agit-il ? Dans le cadre du programme Imagine, qui apporte « un soutien aux zones précaires affectées par des conflits », le Département britannique de développement international (DFID) a envisagé de mettre à la disposition de la République démocratique du Congo un financement de 8 millions de dollars pour l’amélioration de l’alimentation en eau potable des populations de la ville de Goma.
Mais, cette proposition de financement est assortie des deux conditions. Le fonds ne sera mobilisable que si DFID obtient la garantie « qu’une gestion performante sera mise en place pour pérenniser les ouvrages construits » mais aussi celle d’un service d’eau à la population conforme « aux normes internationalement acceptées ». C’est ce qui ressort de la « Note de concept » pour la proposition d’un contrat de collaboration entre la REGIDESO SA et l’ASBL Mercy Corps pour l’exécution des activités commerciales, et éventuellement la gestion technique d’une partie du réseau de distribution de la ville de Goma.
C’est ainsi que, nous rapporte-t-on, Mercy Corps, agence d’exécution désignée par DFID pour la mise en œuvre du programme Imagine, va faire une « offre spontanée ». On précise que c’est dans le cadre de la composante « Fourniture de services » de ce programme. Lequel est exécuté en collaboration avec la REGIDESO SA pour la mise à disposition des moyens afin d’améliorer la gestion du service d’eau et garantir une viabilité financière dans les secteurs d’intervention.
Et cela, à travers un contrat de collaboration pour la gestion des bornes fontaines de la ville de Goma (de 5 ans, renouvelable au plus deux fois, en vertu de la loi en RDC et en conformité avec l’évolution institutionnelle du secteur hydraulique urbaine en RDC). Cette collaboration peut être étendue à la gestion technique du réseau de distribution et à la gestion commerciale des abonnés d’une partie de la ville (après l’achèvement du volet investissement du projet Imagine et la viabilité financière assurée par la phase 1). La durée de la gestion technique est de 5 ans, renouvelable au plus deux fois, intégrée dans celle de la phase 1, etc.
En effet, la proposition avait trois objectifs : premièrement, « continuer le processus d’amélioration de la qualité de service dans la ville de Goma, particulièrement dans les zones 5 et 6, où les investissements nécessaires ont été programmés ». Deuxièmement, « parvenir à une viabilité financière en termes de recouvrement des coûts d’exploitation ».
Et troisièmement, « fournir un service d’eau efficient, qui rend le modèle d’investissement plus attrayant pour accéder aux financements concessionnels et commerciaux nécessaires pour combler le manque d’infrastructures d’eau de la ville de Goma ».
On nous explique que « de par les garanties de qualité de service durable contenue dans la proposition », DFID n’hésitera pas à mettre la main dans son escarcelle pour libérer le financement de 8 millions de dollars envisagé. La proposition précise également le cadre contractuel. Dans la phase 1, il est mentionné que « la REGIDESO délègue directement à Mercy Corps la gestion de l’ensemble des bornes fontaines retenues de la ville de Goma » et que « le gouvernement provincial sera appelé comme témoin dans le cadre de ce contrat de collaboration ».
Pour ce qui est de la phase 2, dans la configuration actuelle, la REGIDESO requerra l’autorisation du ministre du Portefeuille pour déléguer une partie du service public de Goma à Mercy Corps. Il est encore souligné : « En cas d’accord du ministre, l’extension des services pourrait être consacrée par un avenant au protocole de collaboration de la phase 1. » Et le gouvernement provincial sera encore appelé comme témoin dans le cadre de l’avenant au protocole de collaboration de la phase 1…
Sur la base de cette proposition, la REGIDESO, les autorités provinciales du Nord-Kivu et Mercy Corps prendront ensemble des engagements pour signer une lettre d’intention confirmant un accord sur le contenu de la proposition, et explorer comment lever des fonds supplémentaires pour la poursuite des travaux, le renforcement des exploitations, l’amélioration de la desserte… Cette proposition a été lu et approuvée le 7 avril 2018 par Engau Ipeleza, alors secrétaire général à la REGIDESO, et Mark James Dwyer, le directeur exécutif WSO Imagine, pour le compte de Mercy Corps.
La Lettre d’intention
Et le 26 juin, Anselme Kitakya, le ministre provincial des Ressources hydrauliques et d’Électricité, des Mines, des Hydrocarbures, de l’Industrie et des PME, transmet à Clément Mubiayi Nkashama, le directeur général de la REGIDESO, à Kinshasa la « Note de concept » de cette proposition de collaboration, mais aussi la « Lettre d’intention ».
Dans celle-ci, il est écrit : « Considérant que la REGIDESO et Mercy Corps ont développé et expérimenté en avril 2014, dans le cadre de l’extension Goma Nord (EGN), un système de gestion pilote des bornes fontaines, et cette expérience s’est avérée satisfaisante (…), les parties conviennent dans le cadre des fonds disponibles du projet Imagine de confier à Mercy Corps la responsabilité de l’exécution, sous contrôle de la REGIDESO, des prestations… »
Et les parties s’accordent que « Mercy Corps peut se doter d’une structure appropriée pour assumer les responsabilités mentionnées. Toutefois, la REGIDESO devra se rassurer de la capacité de cette structure à réaliser les objectifs assignés à Mercy Corps ». En signant cette lettre d’intention datée du 14 mai 2018, les deux parties s’engagent à ce que le contrat de collaboration pour l’exploitation des bornes fontaines dans la ville de Goma soit signé au plus tard le 30 juin 2018 pour permettre le démarrage opérationnel en août de la même année. Clément Mubiayi a signé à Kinshasa, au nom et pour le compte de la REGIDESO, et Mark James a signé à Goma, au nom et pour le compte de Mercy Corps. Tandis que Julien Paluku Kahongya, alors gouverneur du Nord-Kivu, a signé à Goma, en tant que témoin, pour le compte de la province. Mais comment la société Congo Maji a-t-elle été créée ?