Goma : la dérive foncière met en péril les investissements en RDC

La hantise du m² tout court devient plus qu’obsessionnelle et d’une exceptionnelle gravité, menaçant la paix sociale et l’activité économique. Si l’État ne protège pas les droits de ceux qui sont là depuis des lustres, aucun homme d’affaires sérieux ne mettra son argent dans le pays.

LES CAS emblématiques de spoliation foncière dont Tout-Goma parle, ce sont l’affaire de la concession SU 1715 appartenant à Charles Auguste Chiwy, un citoyen belge décédé le 28 octobre 1997 (jugement par défaut RC 20 366 du TGI de Goma, rendu le 26 novembre 2019), l’affaire de l’immeuble de la BDEGL (jugement inique sous RC 19 847/20 003 rendu en avril dernier par le même TGI de Goma), et l’affaire de la concession de l’hôtel Karibu. Nous avons écrit sur ces différentes affaires dans nos colonnes. 

Pas plus que tard que la semaine dernière, le groupe d’« autochtones de Kyeshero » qui est en procès contre la société TOURHOTELS SA, propriétaire de l’hôtel Karibu, a publié le lundi 10 août un communiqué dans lequel il dit avoir gagné le procès en appel. 

D’après eux, c’est sans surprise que la Cour d’appel de Goma a confirmé l’arrêt « réputé contradictoire » rendu sous RPA1 628 datant  du 28 septembre 2016. Selon cet arrêt, TOURHOTELS SA appartenant à l’homme d’affaires congolais Victor Ngezayo a été condamnée pour « usage de faux » et pour « occupation illégale » des 15 ha de terres appartenant aux « autochtones de Kyeshero ». 

Un avocat d’affaires exerçant à Goma est inquiet : « Les gens dans cette ville ne se rendent pas compte de la gravité de la spoliation foncière sur la paix sociale et le climat des affaires dans le pays. Chaque jour qui passe, les scandales se succèdent avec la complicité des autorités administratives et judiciaires. Dans une ville dynamique et en plein dans la modernité, comme Goma, la convoitise du foncier devient une paranoïa. 

La chasse aux grandes parcelles et aux concessions non encore mises en valeur est désormais un sport favori à Goma. » Et d’ajouter : « Le mode opératoire des spoliateurs est connu : le conservateur des titres immobilier monte des faux dossiers en complicité avec des pontes. Ils instrumentalisent les cours et tribunaux pour prononcer des jugements iniques et mobilisent l’armée et la police pour neutraliser les ayants-droit. Ensuite, ils se partagent les parcelles ou les immeubles convoités. » 

Corruption foncière

« Que des groupes d’individus continuent d’opérer en toute impunité au mépris des conséquences graves sur la paix sociale et le climat des affaires est tout simplement dégoûtant », râle cet avocat d’affaires. Il y a longtemps que l’État devait mettre de l’ordre dans ce secteur. Ailleurs, les États cherchent à juguler la corruption dans le secteur foncier en luttant contre la corruption, la non-application des lois, l’abus de pouvoir ou la confusion des rôles. « Les problèmes sont connus, mais personne n’ose prendre la responsabilité de changer la situation parce que les autorités en profitent pour faire n’importe quoi », explique un agent du ministère des Affaires foncières. Dans certains pays, la sécurisation foncière est institutionnalisée parce que le foncier est le conflit le plus fréquent devant les tribunaux. En République démocratique du Congo, la corruption plein tube à tous les niveaux de la constitution du titre foncier met en danger la sécurisation foncière. Pour nombre d’observateurs, la RDC est un exemple parfait du chaos foncier. 

Ce chaos se traduit par l’ineffectivité de la loi en ce qui concerne les droits fonciers conférés par l’administration foncière, la procédure d’enregistrement des terres, la procédure de renouvellement des titres, la procédure de mutation, les opérations de lotissement, la pratique de morcellement, la rectification des croquis, le remplacement des certificats d’enregistrement, la gestion des contentieux fonciers, la rédaction des certificats d’enregistrement, la délivrance des titres en milieu rural sans enquête préalable et le changement de destination des terres concédées, le triomphe des pratiques en marge de la loi, l’accaparement et la thésaurisation foncière par les élites, la prolifération des conflits fonciers, les lotissements pirates, la pluralité d’instances d’intervention dans la gestion foncière et la pluralité des modes de preuve des droits fonciers, les usages opportunistes des textes légaux, les coûts informels des transactions foncières… 

Les autorités violent allégrement la loi foncière en régularisant des situations contraires à la loi ou tout simplement, sans en avoir la compétence, attribuent des droits sur des parcelles et délivrent des titres non reconnus par la législation. 

La multiplication des circonscriptions foncières est venue en rajouter au chaos, avec comme conséquence la superposition des titres fonciers et immobiliers. Les conflits fonciers auxquels donnent lieu les lacunes de la législation et les dysfonctionnements de l’administration foncière, mettent en scène divers acteurs non concernés par la gestion des terres ou le règlement des litiges fonciers. Ceci aggrave le chaos. La circulation des droits fonciers suscite de nombreuses contestations. De plus en plus aussi, les conflits fonciers naissent aujourd’hui de l’attribution d’un même terrain concurremment par une autorité coutumière et une autorité moderne, à des concessionnaires différents. Presque partout en RDC, le développement de la vente des terres comme mode de transmission des droits fonciers s’accompagne aussi d’une multiplication des conflits fonciers. Ces conflits résultent bien souvent des ventes frauduleuses des terres d’autrui. 

Bref, la corruption foncière a pris de l’ampleur parce que la terre représente désormais un enjeu économiquement important. 

Les principaux défis

Pour nombre d’experts, les principaux défis que la politique foncière en RDC devra relever portent sur la promotion des droits fonciers plus sécurisés et équilibrés ; l’amélioration de la viabilité́ des différentes formes d’exploitation des terres ; l’utilisation du foncier comme un levier permettant de valoriser de façon optimale les potentialités des territoires et de développer la complémentarité́ des différentes activités de production. Mais aussi la mise en cohérence des textes législatifs et réglementaires qui régissent le foncier avec la légitimité des pratiques foncières en vigueur sur le terrain; ce qui se traduirait par la reconnaissance et la formalisation des différents types de droits fonciers existants. 

Dans cette même dynamique, il faudra renforcer les compétences des collectivités locales qui sont les gestionnaires de proximité des terres et des autres ressources naturelles, à travers la déconcentration de l’administration foncière pour créer des services fonciers de proximité. 

En ce qui concerne l’accès des investisseurs privés au foncier, il faudra mettre l’accent sur la nécessité de promouvoir l’investissement privé dans le secteur agricole comme levier pour impulser une dynamique de développement des territoires ruraux, en prenant en compte deux exigences essentielles: la protection des droits fonciers et des intérêts des populations locales ; et la préservation des intérêts des investisseurs. 

Pour concilier ces deux exigences il faudra définir un cadre de régulation des transactions foncières. En d’autres termes, encadrer l’accès des investisseurs privés au foncier.