DANS l’avion A320 de Congo Airways qui nous ramène à Kinshasa, ce dimanche 9 février, après un séjour de travail (grand reportage) de quelque 5 jours à Goma, un ingénieur français évoque avec nous ses impressions sur la ville. Cela fait une dizaine d’années qu’il séjourne régulièrement à Goma, mais également dans d’autres villes du pays dans le cadre de son travail. Il est en quelque sorte témoin de la transformation et de la modernisation de cette ville. « Je vois depuis toutes ces années comment la ville de Goma fait évoluer son image », nous confie-t-il.
Avec lui, nous allons parler, pendant tout le temps du voyage (2 heures), des perspectives dans cette ville qu’il s’empresse de qualifier d’« émirat de la RDC ». Vu du ciel, quand l’avion entame les manœuvres d’atterrissage, Goma ressemble à une ville balnéaire. Le littoral (lac Kivu), avec le complexe hôtelier Ihusi II et les autres constructions, ressemble fort à un quartier de Los Angeles aux États-Unis ou presque. « La comparaison à Los Angeles peut paraître exagérée, certes. Mais elle me semble fondée dans la mesure où Goma symbolise aujourd’hui la réussite et l’émergence d’une classe moyenne congolaise. Et cela transpire à travers la modernisation de la ville. À Goma, je pense que vous avez pu le vérifier de vous-mêmes, l’immobilier est roi. Le moindre lopin de terre est exploité pour donner place à quelque chose d’attractif… », fait observer cet ingénieur français.
Insécurité foncière ?
Le boum de l’immobilier perceptible dans la ville a aussi son revers de médaille : la convoitise pour le foncier devient tentaculaire. Les grandes parcelles sont sous la pression du morcellement, et les concessions non encore mises en valeur sont menacées de spoliation. C’est notamment le cas de la concession SU 1715 appartenant à Charles Auguste Chiwy, un citoyen belge décédé le 28 octobre 1997. Voilà que les héritiers de première catégorie, Claudine Geneviève Chiwy et Christian Edouard Chiwy viennent de faire opposition, par l’entremise de leur conseil, à la mutation et au morcellement de la parcelle de leur défunt père, ainsi qu’au certificat d’enregistrement volume G1/76 folio 103 du 28 janvier 2020 qui reconnaît la propriété de la parcelle désormais querellée à ces neuf personnes. En effet, en date du 28 janvier 2020, ils ont été informés par itératif commandement jeté dans la parcelle en question qu’il y a un jugement par défaut sous RC 20 366 rendu par le Tribunal de grande instance de Goma, le 26 novembre 2019. Et aux termes duquel un prétendu acte de cession de 2005, prétendument passé entre Charles Auguste Chiwy, leur père, et neuf personnes, a été homologué. Par cet acte donc, la propriété a été forfaitairement attribuée à ces neuf personnes.
Un certificat d’enregistrement a été établi au nom de ces dernières que les héritiers Chiwy considèrent comme des personnes fictives aux adresses inconnues. En plus, l’affaire défraie la chronique judiciaire car le propriétaire de la parcelle est décédé il y a environ 13 ans. On se demande par quelle magie il est ressuscité pour signer l’acte de cession qui date de 2005. Christian et Claudine Chiwy disent être au courant de l’existence d’un « réseau maffieux qui a comploté contre leur propriété avec la complicité très active de certains fonctionnaires de l’État œuvrant dans diverses institutions à Goma ».
Après l’éruption volcanique (Nyiragongo) de 2002, Goma ressemblait à un champ de ruines, et les années de guerre sont venues en rajouter à ce tableau sombre. À quelque chose, parfois malheur est bon, les gens ont pris conscience qu’il faut rebâtir la ville. Jour après jour, elle fleurit sous le leadership des autorités provinciales, aidées en cela par le secteur privé.
Dans une ville ravagée par la lave volcanique, la voirie est un casse-tête. L’exécutif provincial a mis en œuvre un partenariat public-privé autour de la consommation du carburant pour financer les travaux de voirie urbaine. Jean Paul Kahindo Maregani, le directeur du cabinet du gouverneur de la province du Nord-Kivu, nous a expliqué que ce partenariat public-privé marche bien. Et il précise que la taxe sur la consommation du carburant n’intervient qu’à hauteur de 20 % dans les travaux de voirie, le reste étant financé par l’exécutif provincial.
L’objectif est d’asphalter 56 km dans la ville de Goma. Pour l’instant, 18 km sont déjà revêtus d’asphalte. Sur le terrain, les travaux de voirie et de drainage se poursuivent sans relâche. Les routes secondaires sont pavées ou dallées et interdites aux véhicules poids lourds… L’exécutif provincial s’est même doté d’une usine d’asphalte sur fonds propres. Aujourd’hui, les Gomatraciens parlent avec fierté de leurs routes, ce qui réjouit les dirigeants de la province. Ils envisagent d’ailleurs de dupliquer le modèle de Goma sur les autres villes de la province, notamment Beni et Butembo. À Beni, 4 km (témoin) ont été asphaltés.
« Design your Life »
L’ambition est de faire plus et mieux, mais les moyens font défaut. Par exemple, la rétrocession aux provinces des recettes nationales n’a fonctionné que trois fois en 2019. En plus, l’exécutif provincial concentre ses efforts sur la lutte contre l’insécurité et la guerre dans la province. Le développement durable étant un processus, le directeur du cabinet du gouverneur de la province du Nord-Kivu nous a assuré que plusieurs chantiers sont ouverts, mais il faut commencer quelque part. Le but est d’améliorer la vie des populations. De leur côté, les entrepreneurs (commerçants, hôteliers, agro-industriels, etc.) et les particuliers se lancent dans une sorte de « Design your Life ». En effet, les résidents semblent décider eux-mêmes comment la ville, et donc leur vie, sera dans l’avenir. Difficile de dire pour le moment comment Goma sera demain. Sans doute calquée sur le modèle d’un émirat, c’est-à-dire un espace économiquement très attractif. Vu sous cet angle, il faudra des politiques. Faire en sorte que Goma ne soit pas une ville monstre pour séduire les investisseurs étrangers et les touristes…
Le Nord-Kivu est une province riche en réserves agricole, minière, pétrolière et gazière. Public et privé sont d’accord qu’il faut désormais faire rimer performance économique et développement social. « Et tout se fait très vite », commentait en 2018 un professeur visiteur dans les universités de la province : « On veut tout, tout de suite, c’est la logique locale, et l’argent est disponible. » « C’est un pays bluffant, renchérissait un humanitaire onusien. Tout s’est construit en si peu de temps et les Gomatraciens ont conscience que leur ville et leur province ne se développeront que par eux-mêmes.
Une conviction qui confère la pérennité à ce qu’ils fondent par ailleurs. » Tout se passe dans la discrétion mais surtout dans la transparence (?). Il semble que cela est une vertu culturelle dans cette partie du pays. Mais jusqu’à quand va-t-on se refuser à promouvoir l’image d’une ville, d’une province où tout est en train de bouger malgré la guerre ? Mondialisation oblige, les « princes » de cet « émirat en devenir », surtout la nouvelle génération, cherchent, eux, à s’ouvrir au pays et au monde, diversifier leurs affaires, sortir de leur carcan culturel pour voir ailleurs, notamment à Kinshasa, la capitale du pays.
Une telle effervescence transforme peu à peu la ville de Goma en un « petit paradis ». À l’instar de Dubaï. Ici, les critères changent, et de véritables lobbies se créent. Si cet engouement pour la modernité provoque quelque réserve, il ne trouve pas d’oppositions réelles. Qui peut reprocher à une province, à une ville de caresser l’ambition de devenir la plaque tournante de l’économie et de l’entreprenariat ? Le partenariat entre autorité provinciale et secteur privé au sujet des routes, de l’eau et de l’électricité ne fait pas encore grande polémique. Pourvu que ce partenariat vise le bien-être de la population.