En nommant Judith Sumwina Tuluka Première ministre, le président de la République, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, l’a chargée de former un gouvernement, en vertu de l’article 78 de la Constitution. « Avant d’être le choix de l’Union pour la démocratie et le progrès social/UDPS, c’est avant tout le choix du président de la République lui-même. C’est le choix de la compétence au service du pays, d’une femme de conviction, d’action et de réalisation », a expliqué à Business et Finances un proche de Félix Antoine Tshisekedi. Qui s’est dit par ailleurs, pour l’anecdote, ne pas être surpris par cette nomination : « Déjà en 2019, le président lui aurait confié qu’elle sera sa première Première ministre. Et hop !, la voilà Première ministre. C’est le destin ! »
Rigueur et compétence
Cette technicienne tenace, jugée loyale, est perçue par le chef de l’État lui-même comme « une grande dame » ayant fait ses preuves au gouvernement pendant la dernière année (24 mars 2023-31 mars 2024) du premier quinquennat de Tshisekedi, au ministère du Plan en passant par le Programme des Nations unies pour le développement/PNUD et le Conseil présidentiel de veille stratégique/CPVS.
Outre le fait d’être une femme, cette ancienne coordonnatrice adjointe du CPVS a également pour spécificité d’appartenir à l’aile gauche (les élites) de la tshisekedie. Un atout à l’heure où la RDC doit réellement et véritablement entamer sa mue à la faveur de nouvelles réformes sociales, à commencer par la mère des batailles, c’est-à-dire le retour à la paix et la stabilité dans l’Est du pays.
Pour ceux qui la connaissent et ceux qui ont travaillé à ses côtés, Judith Sumwina est connue pour sa rigueur et ses compétences. « Le développement durable est au cœur de son engagement », confie un ancien du PNUD. Avant le remaniement gouvernemental du 24 mars 2023, son nom était régulièrement cité pour occuper le poste de ministre du Plan et le président l’avait élevé au rang de ministre d’État. « 1ER Ministre au profil social et développemental, elle a tout pour réussir, sinon pour bien faire : elle a la culture de l’État, elle connaît bien le pays profond et les attentes des populations. En tout cas, elle a su démontrer au CPVS sa capacité à mener sur terrain les équipes d’experts pour un travail de suivi et évaluation de qualité de la mise en œuvre des engagements présidentiels par le gouvernement », a indiqué un membre du gouvernement sortant.
La formation du gouvernement devrait désormais intervenir dans les jours qui viennent. « La composition du nouveau gouvernement et l’identité des grands ministres peuvent avoir une influence très forte sur l’action du 1ER Ministre », a ainsi souligné Jean Marie Kidinda, un aviseur sur la politique en RDC, en rappelant que « la présence des supers ministres dans le gouvernement précédent a inhibé le rôle et l’action de Sama Lukonde en faisant de lui un roi fainéant et de casser la majorité en plusieurs morceaux ».
Mais, relève-t-il, « l’impatience des Congolais » se focalise surtout « sur des questions sociales (santé, éducation, salaires, emploi, etc.), d’économie (pouvoir d’achat, inflation, production), d’infrastructures (routes, logement, eau, électricité), d’environnement et de sécurité (paix et stabilité) » auxquelles il va falloir répondre en toute urgence.
Une classe politique machiste
L’hypothèse de la nomination de Judith Sumwina était toutefois vue avec circonspection par certains à l’UDPS tout comme dans la classe politique, jugeant le profil de cette femme « pas assez politique ». Une femme à la Primature ? Ça n’est jamais arrivé en RDC. Mais ils sont nombreux à lui souhaiter « bonne chance et surtout beaucoup de courage avec une classe politique machiste ». Et à considérer que ce choix est « d’autant plus stratégique qu’il vient confirmer l’orientation qu’entend se donner le chef de l’État pour son second mandat, en promettant d’éviter les erreurs du passé et de tenir compte du ras-le-bol social exprimée par de nombreux Congolais lors de la campagne de l’élection présidentielle, et de changer de méthode. Ça y est, nous y sommes vraiment ?
Le président a brouillé les cartes. Maintenant, il va vouloir remettre les fidèles dans le jeu, il va falloir montrer que la Première ministre est la patronne, prisonnière de personne. À chaque membre du gouvernement de faire ses preuves. Judith Sumwina a placé la paix et le développement au cœur de ses objectifs. Certes, le président va devoir, désormais, s’appuyer sur elle sans lui faire ombrage dans la conduite des affaires de l’État, surtout sur certains sujets de société : pouvoir d’achat, chômage, santé, scolarité…
La nomination de Judith Sumwina est perçue comme un symbole d’audace politique mais surtout de changement de méthode de gestion de la chose publique. Pour cela, elle aura besoin du soutien du président mais également de la solidarité entre tous les membres du gouvernement qu’elle va diriger, si elle veut vraiment être Première ministre d’action et de courage. Sinon quoi son histoire personnelle tout autant que son éthique politique ne feront pas d’elle un exemple pour toutes les petites filles concernant l’égalité entre les femmes et les hommes.
Un député sur le banc de l’opposition a estimé que la Première ministre va découvrir la vraie vie politique : « Elle va voir ce que c’est de gérer le pays au quotidien, elle va voir ce que c’est d’être frustré, elle va voir ce que c’est de faire face aux crises sociales ».