Pour beaucoup, le gouvernement aurait le choix entre trouver un compromis rapide sur la réforme des retraites ou laisser pourrir le conflit social tout en avançant dans la procédure d’adoption du futur projet de loi.
Notre conviction est au contraire qu’il doit parvenir le plus vite possible à ce compromis pour pouvoir ensuite maîtriser le pourrissement de la grève qui est inévitable, compte-tenu de l’opposition irréductible d’une partie des syndicats et de leur base à l’encontre du régime universel par points.
La nouvelle année commence comme 2019 s’est terminée, avec des transports publics, ou plus exactement la SNCF et la RATP, au ralenti et une grève qui bat chaque jour des records de durée. L’appel à la trêve pour les fêtes lancé par le président de la République n’a pas été entendu, même si le trafic a sensiblement repris. Et les dernières études d’opinion ne montrent qu’une légère érosion du soutien des Français au mouvement de protestation. Ainsi qu’on pouvait s’y attendre, les vœux que leur a adressés Emmanuel Macron ne comportaient pas d’éléments de nature à débloquer dans l’immédiat la situation. Toutefois, en enjoignant au gouvernement, après avoir redit qu’il entendait mener à son terme la réforme du système de retraite, «de trouver les voies d’un compromis rapide», le Président a implicitement indiqué quelle est sa vision de la sortie de crise et donc ce que sera sa stratégie au cours des prochaines semaines. Celle-ci repose désormais sur la recherche d’un compromis et en même temps sur l’acceptation d’un pourrissement de la grève.
Retirer l’âge pivot
A partir du moment où est exclue toute renonciation à la création d’un régime universel par points, le compromis, au-delà des négociations catégorielles déjà largement engagées et qui ne suffiront pas, ne peut être trouvé qu’avec ceux des syndicats qui soutiennent le changement de système ou à tout le moins en acceptent le principe. Et il ne peut se faire que sur la ligne rouge définie par ceux-ci : la fixation par la future loi d’un âge pivot à 64 ans. Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas cité ce volet de la réforme dans son allocution.
Concrètement la solution est simple : puisque la responsabilité est le troisième pilier de la réforme, il suffit de retirer l’âge pivot de la loi et de confier aux partenaires sociaux, qui géreront le futur régime, de définir avant 2022, année de mise en place de celui-ci, les moyens permettant d’assurer son équilibre à terme. Sous le contrôle de l’Etat bien sûr et en préservant sa capacité à se substituer à la gouvernance du système si celle-ci était défaillante. C’est ainsi que fonctionne depuis de nombreuses années l’Unedic.
Reprise partielle du travail
Une telle décision ne suffira pas à faire cesser la grève puisqu’une majorité de syndicats et leur base réclament le retrait pur et simple de la réforme. Mais elle permettra d’infléchir le rapport de force et de renforcer la tendance à la reprise du travail. Tant que la France n’est pas paralysée et que son économie continue à tourner, le gouvernement peut engager et poursuivre la procédure législative, en dénonçant les contraintes imposées à l’ensemble des citoyens. Et plus les salariés non-grévistes de la SNCF et de la RATP sont nombreux et moins leurs camarades grévistes peuvent les empêcher de travailler.
On s’orienterait ainsi vers une situation comparable à celle qui a prévalu au printemps 2018 à l’occasion de la réforme du statut de la SNCF : une grève partiellement suivie, dont les usagers s’accommodent comme ils le peuvent, jour après jour, ponctuée de grandes manifestations aux étapes les plus importantes de l’examen du projet de loi : adoption en conseil des ministres, ouverture du débat parlementaire, vote sur le projet de loi… soit trois à quatre mois supplémentaires de conflit.
Le pourrissement, une stratégie à double tranchant
S’il paraît inéluctable, ce scénario n’est pas sans présenter de réels dangers pour le gouvernement, mais aussi pour les organisations syndicales.
Le constat de l’inefficacité de son mouvement devrait conduire à une radicalisation croissante d’au moins une partie de la base, avec le risque d’une multiplication d’actions coup de poing qui peuvent toujours dégénérer, l’opinion publique pouvant ensuite rejeter la responsabilité d’éventuels incidents ou bavures sur le gouvernement. Ce qui pourrait redonner un second souffle à la mobilisation contre le projet. Sans compter, les effets potentiels d’un conflit de longue durée sur les résultats des élections municipales.
Mais, pour le front syndical du refus, le pourrissement n’est pas forcément, non plus, sans dangers. Engager leur base dans un conflit d’une durée sans précédent, courir le risque d’être débordées par une partie des salariés grévistes et instrumentalisées par des groupuscules violents, comme ce fut le cas au printemps 2018, assumer les sacrifices financiers qu’impliquera ce mouvement, pour finalement ne pas être en mesure d’empêcher la suppression des régimes spéciaux, n’est pas de nature à renforcer les organisations syndicales et à assurer leur pérennité. Elles pourraient ressortir durablement affaiblies d’un tel échec.
Emmanuel Macron s’est trop engagé sur le principe de l’instauration d’un régime universel par points, pendant sa campagne électorale puis dans le cadre de son mandat, pour pouvoir envisager d’y renoncer. Il faudra à Edouard Philippe user de tout son savoir-faire politique et de ses talents de communicant pour accepter d’écarter de la loi les mesures paramétriques, qu’il a tenu à introduire alors que le candidat Macron les avait exclues, sans s’affaiblir au point de ne plus être en situation de conduire la mise en œuvre de la réforme, après son adoption par le parlement et… les élections municipales.
Eric Giuily est président de CLAI, cabinet de conseil en communication.