À quatre jours de la rencontre prévue à Washington entre Liu He, le vice-1ER Ministre chinois, et Donald Trump, le président des États-Unis, le département américain de la Justice a osé inculper Huawei, numéro un chinois de la technologie, d’« espionnage industriel et de fraude ».
Cependant, le département du Commerce a tenu à préciser que les procédures contre Huawei sont « totalement séparées » des négociations commerciales avec Pékin que Liu He est allé mener à Washington. Pour autant, l’affaire illustre la position des États-Unis à l’égard de la Chine depuis l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche. Plus question d’accorder des circonstances atténuantes à Pékin pour ne pas faire perdre des contrats à des entreprises américaines en Chine.
Assignée à résidence au Canada
La double inculpation annoncée lundi 28 janvier dans la capitale américaine est venue compléter le dossier délicat de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, âgée de 46 ans, fille du fondateur du géant chinois des télécommunications. Arrêtée à Vancouver, au Canada, début décembre 2018, elle est assignée à résidence avec un bracelet électronique, en attendant que la justice canadienne décide si une procédure d’extradition demandée par Washington est fondée.
D’une part, Huawei et sa directrice financière sont inculpées de « fraude bancaire », de « violation des lois américaines interdisant le commerce avec l’Iran ». D’autre part, dans le cadre d’une procédure distincte mais complémentaire, la société est accusée d’« avoir volé une technologie de T-Mobile USA, filiale de l’opérateur allemand Deutsche Telekom ». Il s’agit de « Tappy », un robot mis au point par T-Mobile pour tester les smartphones et imiter l’action des doigts humains sur un écran de portable.
Selon les procureurs fédéraux américains, Meng Wanzhou a personnellement menti aux banquiers de Huawei, en août 2013. Pourquoi ? Elle voulait leur cacher le fait que l’équipementier chinois de télécommunications contrôlait en fait Skycom Tech Co., société établie en Iran. L’objectif de Huawei aurait été de se servir de cette société pour vendre à Téhéran des équipements contenant des technologies américaines interdites à l’exportation vers l’Iran.
« Manipulations politiques »
Huawei et sa filiale américaine sont en outre accusées d’obstruction à la justice. L’entreprise chinoise, qui se dit « déçue », a rejeté les chefs d’inculpation, démentant avoir commis tout vol de technologies ou violation de sanctions contre l’Iran. Dans un communiqué, Pékin a accusé Washington de « manipulations politiques » de la part des États-Unis qui « utilisent le pouvoir de l’État pour discréditer et attaquer certaines entreprises chinoises, dans une tentative d’étrangler leurs opérations, qui sont légitimes et légales (…). Il y a derrière tout cela de fortes visées politiques, des manipulations politiques. »
Selon des observateurs, l’affaire est à remettre dans le contexte de la campagne mondiale menée par Washington pour convaincre les opérateurs américains et ceux des pays alliés de ne pas acheter d’équipements auprès de Huawei. Ils seraient susceptibles d’être facilement utilisés par Pékin pour espionner les télécommunications au sein des pays occidentaux.
Les accusations d’espionnage industriel reprennent par ailleurs les éléments déjà connus du contentieux résolu au civil par T-Mobile USA et Huawei en 2017. La firme chinoise se retrouve maintenant au pénal, obligée de se défendre d’avoir laissé deux de ses ingénieurs prendre des photos et des mesures, et même volé des pièces, d’un robot mis au point par T-Mobile. Huawei est également accusé d’avoir offert des primes à ses employés qui voleraient la technologie de sociétés rivales.
La tension a monté d’un cran
La guerre commerciale que se livrent Washington et Pékin monte d’un cran. L’administration de Donald Trump a lancé ces derniers mois une offensive tous azimuts contre la Chine, l’accusant de vol de technologies, de « bellicisme à l’égard de ses voisins », ou encore de développer un « État totalitaire à l’intérieur de ses frontières ».
Cette attaque se déroule sur fond de guerre commerciale déclenchée par le président américain à coups de taxes douanières. Ce coup de force de la justice américaine constitue un nouvel avatar pour Huawei. Début décembre 2018, l’opérateur télécoms britannique BT avait annoncé qu’il allait retirer les équipements du groupe chinois du cœur de ses réseaux 3G et 4G et ne les utilisera pas non plus sur les parties centrales de son réseau de téléphonie mobile 5G.
La Nouvelle-Zélande et l’Australie qui redoutent une éventuelle ingérence de la Chine dans leurs infrastructures de communications, avaient également demandé aux opérateurs télécoms de pas utiliser les équipements de Huawei dans les nouveaux réseaux 5G. Les « Five eyes » (l’appellation désigne l’alliance des services de renseignement des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie) coopèrent étroitement sur cette question de l’ingérence chinoise dans les télécoms, indique un expert du secteur.
« Depuis l’élection de Donald Trump, les États-Unis ont fait de ce sujet une priorité absolue. Ces cinq pays, menés par Washington, livrent une guerre commerciale et technologique à la Chine », déclare-t-il. Symbole de cette lutte sans merci : les smartphones Huawei ont été en grande partie bannis des États-Unis en début d’année.
Le 14 février 2018, les directeurs du FBI, de la CIA et de la NSA avaient ainsi déclaré devant le Sénat américain qu’ils déconseillaient fortement à leurs concitoyens d’utiliser les smartphones de la firme de Shenzhen, évoquant des risques d’espionnage par Pékin. Et le 13 août dernier, le gouvernement américain a interdit l’usage des technologies de Huawei et de ZTE dans tous les systèmes « critiques » des administrations publiques.