Des liens utiles avec l’administration américaine. Carlos Ghosn devient donc le « sauveur » de Nissan, au point que Barack Obama l’appelle en personne pour lui proposer de venir au chevet de l’entreprise General Motors, alors en difficulté aux États-Unis. Mission qu’il refuse, étant déjà bien occupé par l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, mais les liens noués à cette période avec l’administration américaine lui servent ultérieurement. Carlos Ghosn souhaite en effet investir 660 millions d’euros en Iran pour y construire une troisième usine et produire 300 000 véhicules de plus. Or au moment où Donald Trump menace de rétablir des sanctions envers l’Iran, le PDG de Renault redoute que ces sanctions ne contrarient son projet. Il va alors négocier directement avec le président des États-Unis.
Selon Antoine Sfeir, un très proche de Carlos Ghosn, ce dernier aurait fait miroiter un projet d’usine Renault aux États-Unis tout en demandant à Donald Trump son assentiment avant d’investir en Iran. « Tant que vos voitures en Iran ne rentrent pas aux États-Unis, je n’y vois aucun inconvénient », aurait répondu Donald Trump. Un feu vert négocié avec les plus hautes sphères du pouvoir.
Une obsession pour la sécurité. Cette ascension fulgurante a un prix : L’inquiétude permanente. Carlos Ghosn est un obsédé de la sécurité : « C’est un craintif, confirme son cousin Henri Bichara. Sans ses gardes du corps, il semble perdu. » La peur d’être assassiné, comme l’ancien patron de Renault, George Besse, tombé sous les balles du groupe d’ultra gauche Action directe en 1986… Lorsqu’il part au Japon en 1999 pour redresser Nissan, Carlos Ghosn reçoit aussitôt des menaces de mort. « Il a eu des menaces physiques extrêmement précises, témoigne l’avocat Jean-Paul Baduel, consulté à l’époque par Renault. La mafia japonaise – les Yakuzas – contrôle les assemblées générales de grandes sociétés. C’est un pays très calme, mais dans lequel on n’hésite pas à assassiner au couteau un 1ER Ministre en public. » Des menaces réelles et une sécurité privée vite renforcée par d’anciens policiers et militaires.
La sécurité de Carlos Ghosn est également prise très au sérieux par les services de l’État français. Durant l’été 2006, alors qu’Israël bombarde le Hezbollah au Liban, les services secrets français (DGSE) interviennent pour l’exfiltrer alors qu’il est en vacances à Beyrouth avec toute sa famille.
Une affaire de faux espions
En 2011, l’image de Carlos Ghosn va être sérieusement ébranlée par une affaire digne d’un roman noir. Trois cadres proches du PDG sont soupçonnés par la sécurité interne du groupe d’avoir transmis des secrets industriels et d’avoir touché des pots-de-vin de la part de sociétés chinoises. Dénoncés par des lettres anonymes, ils seront licenciés sans aucune preuve. Sauf que tout était faux et fabriqué. Sept ans plus tard, la justice s’apprête à renvoyer cette affaire devant le tribunal.
À l’époque, Carlos Ghosn fait le pari qu’il sera le premier à commercialiser une voiture 100 % électrique à travers le monde. Au sommet de Davos en 2007, il trouve un premier acheteur israélien pour 100 000 voitures. Ce partenaire commence à travailler sur un projet de station-service électrique, et signe en parallèle un accord avec des Chinois, eux aussi très intéressés par cette technologie. C’est là que tout commence à déraper et qu’arrivent les fameuses lettres anonymes. Carlos Ghosn n’émet aucun doute et dénonce une tentative d’espionnage industriel. « Nous avons des certitudes », affirme-t-il sur le plateau du 20h de TF1, le 23 janvier 2011.
Parmi les personnes suspectées, se trouve le numéro 2 du groupe Nissan à l’époque, Toshiyuki Shiga, bras droit de Carlos Ghosn au Japon. Il devient la cible des « contre-espions » du groupe Renault, chargés de vérifier les faits décrits dans les lettres anonymes, sans que les services de l’État en soient officiellement avertis, Carlos Ghosn exigeant une totale confidentialité. « Il a fait diligenter une enquête clandestine, confirme l’avocat Jean-Paul Baduel. Les personnes qui sont soupçonnées de corruption sont comme par hasard en conflit avec Carlos Ghosn, une attitude qu’il ne supporte pas. » Toshiyuki Shiga ne sera finalement pas licencié mais écarté de ses fonctions pour prendre la direction d’une autre entreprise, sans faire de scandale. Cette histoire est révélatrice du caractère soupçonneux de Carlos Ghosn. Devant les juges d’instruction, il dément catégoriquement avoir utilisé ses propres services de renseignement à des fins personnelles.
Une culture du renseignement parallèle bien rodée. Ces dénégations sont contredites par les faits. Dès 2005, à son arrivée à la tête de Renault, Carlos Ghosn impose un nouveau chef à la cellule de renseignement du groupe, Rémi Pagnie, ancien de la DGSE, recruté par ses soins à l’ambassade française au Japon, à Tokyo. C’est sur cet ancien des services secrets français que Carlos Ghosn va s’appuyer pour lancer des enquêtes internes. Mais cette entité interne aurait non seulement enquêté sur des salariés du groupe mais également sur des représentants de l’État français, notamment des hauts fonctionnaires.
L’homme chargé de cette mission de surveillance s’appelle Dominique Gevrey. Ancien gendarme, il est passé par le renseignement militaire. Selon lui, c’est bien Rémi Pagnie, son responsable direct, qui aurait ordonné d’espionner les téléphones portables de deux membres de l’Agence des participations de l’État (APE) présents au conseil d’administration de Renault. « Ghosn souhaitait que j’épluche toutes les factures des téléphones privés des deux fonctionnaires de l’APE, Olivier Bourges et Alexis Kohler, confirme Dominique Gevrey. J’ai dit qu’il était hors de question que je le fasse. » Alexis Kohler, ancien directeur de cabinet d’Emmanuel Macron au ministère des Finances, nommé en mai 2017 secrétaire général de l’Élysée, ne souhaite pas commenter cette affaire. Quant à Rémi Pagnie, il a lui aussi a décliné toute interview. Selon la direction de la communication de Renault, l’affaire aurait été orchestrée par Dominique Gevrey, l’une des quatre personnes mises en examen pour escroquerie et tentative d’escroquerie. Le 14 mars 2011, toujours sur TF1, Carlos Ghosn présente ses excuses. « Je me suis trompé, nous nous sommes trompés et il semble que nous ayons été trompés. »
Dieselgate de Volkswagen
Autre affaire assez dérangeante pour Carlos Ghosn, celle du « Dieselgate » toujours en cours, des juges d’instruction enquêtant sur des faits de « tromperie ». Dans le sillage de l’affaire Volkswagen, la justice soupçonne Renault d’avoir triché sur les systèmes antipollution. Cette fois, au moment où cette nouvelle crise éclate, ce n’est pas Carlos Ghosn qui vient sur le devant de la scène pour s’expliquer mais le numéro 2 du groupe, Thierry Bolloré. Comme si Carlos Ghosn avait tiré les leçons de l’affaire des faux espions.
Un sens stratégique pour garder sa position. Chez Volkswagen, le « Dieselgate » a conduit à la démission du PDG. Pas chez Renault-Nissan, comme si Carlos Ghosn était irremplaçable. « Il a réussi à créer un empire exceptionnel, analyse le directeur du cabinet Proxinvest, Loïc Dessaint. Le seul au monde à fonctionner comme ça, tellement indispensable que tout le monde veut le garder. » Carlos Ghosn est d’autant plus en position de force que l’Alliance est devenue le numéro 1 mondial. Cette pole-position est confortée par les récents investissements de Carlos Ghosn dans la presse. En février 2017 Renault investit cinq millions d’euros dans le groupe de presse de Claude Perdriel, qui lui cède 40 % du capital du magazine Challenges, fleuron de la presse économique française. L’objectif stratégique est de proposer du contenu estampillé Renault dans les futures véhicules connectés et autonomes du groupe. Un projet qualifié de « révolutionnaire » par Claude Perdriel lui-même industriel et homme de presse.
Sur un autre plan, cette entrée au capital d’un grand groupe de presse français est aussi un signal envoyé au pouvoir par Carlos Ghosn, longtemps accusé d’avoir privilégié Nissan au détriment de Renault. « Il avait beaucoup de choses à négocier avec l’État français, explique Airy Routier, journaliste à… Challenges. Il fallait rééquilibrer la partie française. Ce sont de petites décisions qui ne lui coûtent pratiquement rien, et lui permettent de se faire bien voir du pouvoir. » Il ne faut pas cacher qu’un titre de presse est aussi un support de publicité : le jour même où Carlos Ghosn annonce son investissement de cinq millions d’euros et son entrée au capital de Challenges, le 13 décembre 2017, la une du journal est consacrée aux voitures connectées…