Du Kinois, on dit souvent qu’il déguerpit à la moindre goutte de pluie qui tombe, alors qu’il frôle crânement la mort en déambulant chaque jour sur la voie publique sans se soucier le moins du monde de véhicules roulant dans un sens comme dans l’autre. La vérité est que la pluie n’a jamais été la bienvenue dans notre ville ! A part, semble-t-il, pour les agents et fonctionnaires de l’État qui se frottent les mains et se lestent les jambes quand la pluie tombe et leur fournit ainsi le prétexte idéal pour rester chez eux. Le gros de nos concitadins maudissent, eux, la pluie, vitupèrent contre elle parce que sa venue, surtout matinale, perturbe sérieusement leurs pèlerinages pour la survie à travers la ville. Il a menti celui qui a prétendu que la pluie du matin réjouissait le pèlerin !
D’autres concitadins redoutent la pluie parce qu’elle malmène les abris de fortune qui leur tiennent lieu de domicile. S’il pleut, c’est la flotte partout ; des toitures qui s’envolent ; des bicoques éventrées ; des fosses septiques qui débordent et se répandent. Bonjour la pestilence ! Bonjour le choléra et la typhoïde !
La vérité est que la pluie n’a jamais été la bienvenue dans notre ville ! A part, semble-t-il, pour les agents et fonctionnaires de l’État qui se frottent les mains et se lestent les jambes quand la pluie tombe et leur fournit ainsi le prétexte idéal pour rester chez eux
Ne parlons pas des dégâts que dame la pluie, chaque fois qu’elle s’invite dans notre ville, provoque sur l’environnement. Des mares cèdent la place à des étangs ; des espaces verts se transforment en dépotoirs publics ; des chaussées deviennent des ruisseaux ; des crevasses s’élargissent et accélèrent les éboulements.
À beaucoup d’endroits de notre capitale où la modernité a tenté de s’installer, la nature a vite fait de restaurer l’ordre sauvage à cause de la désinvolture des spécialistes en ponts et chaussées. Après moult mois d’atermoiements et de négligence, il arrive parfois que les agents de l’Office de voirie et de drainage (OVD) se souviennent enfin qu’il devient urgent de remblayer ou de jeter de la bitume sur quelques tronçons de nos routes et artères. Ils le font cependant avec une telle parcimonie – un soupçon de bitume – et une telle incompétence – sans récurer les canaux d’évacuation des eaux voire en prévoir là où ils n’existent pas – qu’à la première pluie le manteau de Noé se déchire et laisse voir les nudités disgracieuses de « Kin-la-belle ».
Tous ces spectacles, nos concitadins les vivent et les revivent depuis des lustres. Ils ont eu aussi à assister à mille inaugurations officielles de travaux de réaménagement de certains sites et tronçons qui empoisonnent régulièrement la circulation dans notre ville. C’est que ces fameux travaux d’Hercule qui engloutissent des millions et des millions de dollars sont très souvent initiés et exécutés de manière ponctuelle et se révèlent être davantage des ouvrages de saupoudrage, de maquillage, plutôt que de restauration véritable.
Ce mois de novembre 2015 connaît une pluviosité extraordinairement abondante. Serait-ce là l’une des conséquences de la détérioration climatique qui défraie la chronique, surtout à la veille de la conférence internationale sur l’environnement prévue en décembre à Paris ? Ce qui est certain c’est que cette pluviosité laissera des souvenirs douloureux chez bon nombre de nos concitadins et des traces indélébiles telles des plaies dans le paysage kinois.
À quelque chose malheur est bon, dit-on. La pluie de ce mois de novembre a fourni une occupation rémunérée à quelques jeunes gens de Ngaba, Selembao, et Mont-Ngafula. Au lieu-dit Triangle, c’est-à-dire au croisement de la route venant du rond-point Ngaba en direction du Kongo-Central via Cité Verte, et de la route menant vers l’université de Kinshasa via l’Institut supérieur des sciences et techniques médicales (ISTEM), il s’est créé un lac artificiel géant qui perturbe sérieusement la circulation dans les deux sens. Les véhicules de transport en commun sont obligés de s’arrêter avant ou au-delà du cours d’eau. D’où, l’idée géniale qui a instantanément germé dans les cerveaux de ces jeunes désœuvrés : servir de transbordeurs en assurant, sur leur dos, le déplacement des passagers. Le prix du transbordement est fixé à la tête du client, mais c’est souvent au prorata du poids imaginé du voyageur. Tout le monde assiste, amusé, au spectacle inédit. Y compris les responsables de l’OVD et ceux des municipalités intéressées. Les jeunes transbordeurs ne demandent qu’une chose : qu’il continue de pleuvoir et de pleuvoir abondamment sur la ville ! S’il le faut, affirment-ils, ils connaissent des des féticheurs, qui seraient passés maîtres dans la science de donner des ordres à la pluie et au beau temps. Pourquoi pas !
Lorsqu’un phénomène aussi simple et naturel que la pluie devient une menace de quiétude, un facteur de déstabilisation de l’ordre social et surtout de révélation des maux sociétaux, on peut se hasarder à affirmer que la gestion de la pluie est devenue dans l’Afrique d’aujourd’hui le thermomètre de la qualité de l’urbanisation et une clé de lecture et d’évaluation de la véritable modernité.