L’AGRICULTURE agroécologique, tout comme la professionnalisation de l’agriculture familiale, nécessitent des investissements majeurs pour sa transformation, tout comme pour l’entretien de sa productivité. Ces investissements donnent des résultats à long terme et la transformation prend plusieurs saisons. Un régime foncier basé sur une saison de location des terres à la fois est très défavorable.
Le producteur n’a aucune garantie que la saison suivante la terre ne lui sera pas retirée et donnée à un autre agriculteur. Une condition essentielle pour réussir est dès lors une réelle réforme agraire inclusive, donnant aux producteurs l’assurance de pouvoir jouir des résultats de ses efforts à long terme. Aucun pays n’a réussi la professionnalisation de son secteur agricole sans réforme agraire.
Indécision de l’État
La République démocratique du Congo a établi la CONAREF (Commission nationale pour la réforme foncière) depuis des années, mais ses travaux avancent trop lentement et sont souvent minés par l’indécision sur des questions-clé. La nécessité impérative de réaliser cette réforme est dictée par le taux de croissance démographique très élevé en RDC, alors que les rendements des cultures vivrières stagnent.
L’augmentation de la productivité exige une accélération de la réforme foncière pour créer les conditions d’une augmentation considérable de la productivité des terres cultivées par les agriculteurs familiaux. AgriCongo et CONAPAC (ndlr, la Confédération nationale des producteurs agricoles du Congo) doivent encore plus unir leurs efforts en y impliquant aussi plus les PTF (coopérations bi- et multilatérales, institutions de recherche internationales, etc.) comme leviers envers les décideurs nationaux et provinciaux pour accélérer la réforme.
Une intensification agricole durable nécessite l’utilisation bien réfléchie d’engrais minéraux comme celle proposée par la GIFS (gestion intégrée de la fertilité des sols). Le défi primaire de l’agriculture congolaise est d’augmenter la productivité sans augmenter les dégâts environnementaux. Jusque-là, l’augmentation de la productivité a été principalement portée par l’augmentation des terres exploitées, en abattant la forêt, dans un cycle de culture sur brulis d’une vingtaine d’années.
La pression démographique a ramené la durée du cycle à seulement 5 à 10 ans et augmente encore la pression sur la forêt vierge, mettant à risque le deuxième poumon forestier de la planète. Plutôt que d’augmenter les superficies, l’heure est à l’augmentation durable des rendements. Des techniques purement biologiques peuvent augmenter les rendements de 20 à 30%, mais est-ce que cela suffira ?
Agriculture biologique
L’agriculture biologique est à encourager partout où elle est rémunérée, sous-entendant que la différence entre les rendements de la culture biologique et la culture moderne est compensée, voire même dépassée par un prix supérieur. Sur le marché mondial cela semble possible, grâce à la certification biologique et à la volonté de ce segment croissant du marché à payer plus (notamment à travers les primes de la certification biologique), mais seulement si la différence de prix compense au moins la différence en rendement, ce qui ne semble pas toujours être le cas.
« Le défi primaire de l’agriculture congolaise est d’augmenter la productivité sans augmenter les dégâts environnementaux. Jusque-là, l’augmentation de la productivité a été principalement portée par l’augmentation des terres exploitées, en abattant la forêt, dans un cycle de culture sur brulis d’une vingtaine d’années. »
Pour les cultures vivrières, une approche purement biologique se heurte à deux facteurs-clé : la terre ne peut être cultivée qu’une année sur 5 si on veut garder sa productivité, et les marchés domestiques ne rémunèrent pas les produits biologiques. Sédentariser les agriculteurs sur leurs terres et assurer sa productivité sans interruptions nécessite ainsi des techniques culturales très différentes de celles en vigueur actuellement.
La GIFS est une méthode d’intensification qui a tiré des leçons des erreurs du passé commis ailleurs et qui ont fait que la révolution verte ne s’est jamais déclenchée en Afrique. Par une combinaison optimale entre matière organique (pour capter l’eau et les nutriments du sol et des engrais) et engrais minéraux bien dosés, les risques de l’utilisation de ces engrais minéraux sont sous contrôle et leur valorisation donne un rendement qui est de 2 à 3 fois plus grand (donc une augmentation de 100 à 200 %).
Cela baisse considérablement le coût de production par kg d’aliments produits et permet ainsi de rendre les aliments plus accessibles à tous. La GIFS ainsi d’une part protège l’environnement en prévenant la coupe de la forêt vierge, l’érosion et l’épuisement des sols, permettant la sédentarisation de l’agriculture et d’autre part assure la rentabilité de l’agriculture familiale en procurant aux producteurs un revenu viable tout en démocratisant les prix des aliments.
Approche écosystème
Une approche écosystémique est indispensable. Si l’adoption des techniques agroécologiques est combinée avec l’adoption du genre, l’homme et la femme sauront très bien gérer ensemble la charge de travail qui vient avec leur engagement pour l’environnement.
Les aménagements indispensables pour développer une agriculture agroécologique ne peuvent avoir un effet que si tous les acteurs dans un même paysage s’y engagent. Par exemple : les lignes antiérosives doivent être mises en place sur tout le contour d’une colline donnée, l’eau doit être maîtrisée pour tout le paysage dans son ensemble.
Une approche qui s’adresse aux producteurs individuels seulement ne peut jamais mener à la mise en place d’un système holistique performant. Cela nécessite une approche colline, une approche village, qui implique tout le monde et qui couvre la totalité de l’écosystème concerné. Cela nécessitera un engagement actif des autorités administratives et coutumières locales, inscrit dans la réforme foncière. Cela nécessite aussi l’inclusion totale des femmes agricultrices qui font la plus grande partie des travaux champêtres et doivent s’approprier entièrement toutes les dimensions de l’agriculture durable.
Explorons les paiements pour les services écosystémiques, comme mécanisme potentiel pour financer la transformation de l’agriculture familiale. Si les efforts supplémentaires pour transformer l’agriculture d’un secteur destructeur en un secteur protecteur de l’environnement ne sont pas rémunérés, ceux-ci ne seront pas réalisés. Si le marché actuel n’est pas prêt à tenir compte de ces efforts par des prix meilleurs payés par les consommateurs, il faut essayer de trouver ces moyens ailleurs.
La gestion planétaire tient de plus en plus compte de ces aspects et est en train de mettre en place des mécanismes financiers qui répondent à ces besoins. Les crédits carbone, dont WWF nous a donné le témoignage du primeur à l’Est de la RDC est un bel exemple. Il existe d’autres mécanismes qui tombent sous le vocable des paiements pour les services écosystémiques (PSE). AgriCongo et CONAPAC doivent explorer plus les possibilités offertes per ces nouvelles logiques pour les agriculteurs familiaux et les traduire pour le contexte particulier de la RDC. Nous devrions en faire une des priorités du nouveau programme EMPRISE.
Intégrons l’agriculture familiale dans les systèmes alimentaires urbains durables. Alphonse Muhindo de l’entreprise CHAMOKI présente fièrement son exploitation de 5 hectares à Sake. Une autre façon est de rendre les systèmes alimentaires urbains d’une ville comme Goma plus performants, inclusifs, rémunérateurs, notamment en offrant aux consommateurs urbains des aliments sains, nutritifs, produits de façon durable et en réduisant les pertes. En développant des circuits commerciaux inclusifs rentables sous une gouvernance démocratique, c’est une autre façon d’encourager les producteurs qui s’engagent dans une agriculture durable.