Je voudrais, en guise d’illustration, revisiter à la lumière de nos littératures orales trois dossiers d’actualité. Je plains les jeunes d’aujourd’hui, eux qui n’ont pas eu et n’auront sans doute pas la chance de se sustenter aux mamelles juteuses de la sagesse de nos ancêtres africains telle qu’elle transparaît au travers de ce qui est convenu d’appeler, paradoxalement, la littérature orale.
Ils auraient ainsi réalisé, par exemple, que nos contes, fables, légendes et devinettes sont émaillés de grilles de lecture à même de les aider à mieux appréhender les réalités du monde actuel (Nihil nove sub sole, disaient les Romains : il n’y a rien de neuf sous le soleil !), à mieux comprendre les tenants et les aboutissants des faits qui défrayent l’actualité quotidienne.
Je voudrais, en guise d’illustration, revisiter à la lumière de nos littératures orales trois dossiers d’actualité brûlante dont les médias nous abreuvent à gogo depuis un certain temps déjà.
Le proverbe malinké qui dit : « Lorsqu’on s’assied trop longtemps sur une chaise, les fesses finissent par y imprimer inexorablement leurs marques » aiderait à cerner la complexité du drame du Yémen, ce pays du Golfe arabique en voie d’éclatement. Le chaos qui y sévit actuellement est le fruit du long règne au pouvoir du président Saleh, 34 années de dictature et d’incurie que le « printemps yéménite » a stoppées en 2001. Si l’on retient cela, toutes les violences et les tribulations dont les belligérants gratifient nuit et jour les Yéménites trouvent une clé d’intellection.
Rappelons rapidement les faits : en septembre 2014 des milices chiites d’Ansar Allah dits Houthis s’emparent d’une partie de Sanaa, la capitale. Elles ont en face d’elles les forces gouvernementales et leurs alliés de circonstance les combattants pro-Islah proches des Frères musulmans. En janvier 2015, elles font fuir de son palais le président Abd Rabbo Mansour Hadi, poussent l’exécutif à la démission et le parlement à la dissolution. Depuis, une coalition des Etats musulmans du Golfe, en majorité sunnites, ont stoppé la progression des Houthis. Devant l’enlisement du conflit, la communauté internationale s’escrime à amener les belligérants à négocier.
La force ne résout pas toujours tout, sinon le puissant lion n’aurait jamais été vaincu par la rusée lièvre. Cette sagesse coule mutatis mutandis dans de nombreux contes africains. Si Vladimir Poutine le savait, il aurait réfléchi deux fois avant d’entreprendre sa croisade punitive contre Kiev, coupable de s’être rapproché de l’Union européenne. Par contre, si Petro Porochenko, le maître de Kiev, connaissait le secret de la longévité de la langue que la nature a placée entre deux dangereuses rangées de dents, il aurait tout fait pour ne pas fâcher son puissant voisin.
Un proverbe des Zande du Haut-Congo dit qu’il ne faut jamais jeter sa lance sur le léopard si l’on n’est pas certain de l’occire. Moscou considère comme relevant de sa zone d’influence exclusive l’espace occupé par les anciennes Républiques socialistes soviétiques. Il a donc vu d’un très mauvais œil les velléités de Kiev de se rapprocher de l’UE et, pour le punir, à l’instar de ce qu’il avait déjà fait subir à la Géorgie, il a soutenu, armé militairement les territoires russophones d’Ukraine et les a encouragés à se séparer de Kiev, quand il ne s’en est tout simplement accaparé (la Crimée).
L’actualité, en Afrique, est ces derniers temps dominée par la difficile question de dévolution et d’alternance politiques. Le cas des deux pays me semble fort emblématique, en dehors du Burkina Faso qui fait désormais office de référence à une alternance obtenue au forceps de par la volonté populaire. Il s’agit du Burundi et du Togo. Alors que le Togolais Faure Gnassingbé demande à la communauté internationale de faire pression sur ses opposants afin que ceux-ci respectent les prescrits de la Constitution nationale (une Constitution taillée sur ses mensurations), le Burundais Pierre Nkurunziza est à couteaux tirés, que dis-je, tire à balles réelles sur ses opposants (mais également sur la société civile de son pays) à la suite d’une interprétation équivoque de la Constitution issue des Accords d’Arusha en 2000.
Quels que soient les arguments et les arguties des uns et des autres, le bon sens voudrait que lorsqu’on est en conflit, on se remet à la sagesse et au jugement d’un tiers, car on ne peut être à la fois juge et partie. C’est cela que nos ancêtres ont toujours prôné ! Lorsque le roi Léopard exigea de tous ses sujets qu’ils se fassent impérativement couper la queue, Antilope-la-Juge devant le tribunal de laquelle il alla se plaindre de la désobéissance de ses sujets, lui demanda avant toute chose d’ôter son manteau. On découvrit alors qu’il avait déjà perdu sa queue, lors d’une partie de chasse infructueuse. Il fut débouté et, couvert de honte, il s’enfuit dans la forêt, abandonnant son trône.
On connaît, par ailleurs, le verdict plein de bon sens que rendit la Tortue dans l’affaire qui opposa un jour le Léopard (toujours lui !) à sa majordome la Gazelle. Celle-ci accusait son patron d’avoir dévoré le dernier de sa progéniture. Le tacheté avait déjà été convaincu du meurtre des deux premiers enfants de son majordome, mais, surpris en flagrant délit de voracité, il avait publiquement présenté ses excuses, payé une forte amende et s’était engagé à ne pas récidiver. Comme le félin persistait à nier, la Tortue fit boire à tous les animaux présents au tribunal une décoction connue d’elle seule. Tous déféquèrent sur place dans leurs vêtements et on retrouva dans les étrons du léopard le corps de la jeune gazelle qu’il venait de dévorer.
C’est depuis cette affaire que l’expression « jamais deux sans trois » est devenue proverbiale, comme pour conjurer la manie de ceux qui n’hésitent guère à se dédire aux fins de satisfaire leur boulimie de pouvoir.