Depuis que l’opération de récupération forcée des biens relevant du domaine privé de l’État a été lancée, le 7 décembre, une cinquantaine d’immeubles ont été identifiés comme tels et ramenés dans le patrimoine privé de l’État. Ces biens ont été longtemps considérés comme des biens sans maître. Désormais, ils seront protégés par un certificat d’enregistrement. Décision du gouvernement provincial du Nord-Kivu. Cette façon de voir les choses a été chaleureusement saluée par la population de Goma, préoccupée par la bonne gouvernance. Ce qui se passe à Goma n’est qu’un épiphénomène. La problématique de spoliation des biens publics se pose avec acuité à l’échelle nationale.
Il y a dix ans, le Premier ministre, Antoine Gizenga, avait tenté de remettre de l’ordre dans ce secteur. Mais le mal est si profond qu’il s’est rendu compte, en effet, qu’il s’attaquait à une montagne. Selon l’inventaire qui était fait à l’époque, l’État congolais disposait de plus de 8 000 titres immobiliers répartis à travers le territoire national. Des experts du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme soulignent que la situation n’est plus la même. Le chiffre a sensiblement chuté, à cause notamment des problèmes de tenue d’archives, de pillages et de spoliation. Une « spoliation à grande échelle », pour reprendre le terme d’un rapport émanant de ce ministère. Le phénomène ressemble fort à une gangrène. Il impliquerait non seulement des agents de l’administration publique mais aussi des cadres de la magistrature, de l’armée et de la police. Selon le rapport technique du ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat actualisé en 2014, à la suite de la reconstitution du patrimoine immobilier de l’État, il ne resterait à Kinshasa que 971 villas, 21 immeubles à étages (totalisant 337 appartements et 8 locaux de service), 4 hangars et un immeuble hôtelier (Hôtel Palace). À cela s’ajoutent de nouvelles acquisitions obtenues par achat, construction ou après le contentieux belgo-congolais. Il s’agit notamment de 10 immeubles résidentiels à étage, la Cité Mimosas avec ses 60 villas, la Cité de l’Union africaine avec 41 villas et quelque 25 villas disséminées dans les communes de Ngaliema, Gombe et Limete.
Nouvelles moissons pour l’État
En 2014, le groupe de travail réunissant des experts des ministères de la Justice, de l’Urbanisme et de l’Habitat, ainsi que des Affaires foncières, avait documenté 151 cas de spoliation des biens de l’État dans la capitale. Dans la commune de la Gombe (135 cas), à Ngaliema (10 cas), à Limete (4 cas), à Barumbu (1 cas) et à Kintambo (1 cas). En 2006, le gouvernement avait mis en place la Commission de récupération des immeubles et terrains de l’État (CRITE), mais il n’a récupéré aucun immeuble, avait indiqué, en avril 2014, Fridolin Kasweshi, alors ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, à l’Assemblée nationale.
La CRITE s’est, en effet, retrouvée en face d’un vaste réseau de complicité entre les différentes administrations. Mais le gouvernement n’a pas lâché, avait assuré le ministre Kasweshi, annonçant même l’identification du patrimoine immobilier de l’État. Déjà en septembre 2013, il avait rendu public un arrêté ministériel portant identification du patrimoine immobilier du domaine privé de l’État dans la ville de Kinshasa. Il récidiva en janvier 2014, avec un autre arrêté. L’État n’avait pu récupérer que 30 villas et 3 immeubles. À Limete, deux maisons basses ont été récupérés sur le boulevard Lumumba.
Résistance aux pouvoirs publics
Mais le gouvernement peine à ce jour à récupérer les immeubles relevant du domaine privé de l’État spoliés et situés dans la commune de la Gombe. Il s’agit notamment de l’immeuble Magistrat sur l’avenue Roi Baudouin, appartement n° 9, la résidence de la Coopération française… Des observateurs accusent les services de l’État de passivité, sinon de complicité à propos d’un immeuble de la 8ème Rue, sur le petit boulevard, côté résidentiel, longtemps reconnu comme propriété du ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire. L’enseigne indiquant que cet immeuble de 3 niveaux appartient à l’État est régulièrement effacée sans autre forme de procès.