SUR LE MARCHÉ des biens et services, la tendance des prix est toujours à la hausse, alors que la monnaie nationale est relativement stable par rapport au dollar. D’habitude, c’est le cours (taux) de change qui impacte les prix pratiqués sur le marché. D’où l’énervement des ménages qui ne savent plus à quel saint se vouer. Comment expliquer ce phénomène nouveau ?
Point n’est besoin de dire que depuis décembre 2019, la hausse généralisée des prix de produits et biens de première nécessité est sujet du jour dans la capitale de la République démocratique du Congo. Même les échos qui parviennent de l’intérieur du pays soulignent l’ire des ménages. Point n’est également besoin de dire que la plupart des ménages ont passé les fêtes de fin d’années sans le moindre panache.
Sur le marché, les prix continuent leur valse. Par exemple : un sachet de sucre de 5 kg se vend aujourd’hui à 11500 FC, contre 6 500 FC à fin décembre 2019, soit une hausse de 64 %.
Un sac de haricots coûte actuellement 250 dollars, contre 190 dollars, soit une augmentation de 25 %. Un carton de poisson salé (makayabu) est passé de 70 000 FC à 100 000 FC… Tout est passé du simple au double, voire au triple.
« Misère indescriptible »
Tatiana Pembe Luemba, députée nationale et aussi vice-présidente de la commission socio-culturelle de l’Assemblée nationale, parle de « misère indescriptible » dans sa question écrite adressée à Acacia Bandubola Mbongo, la ministre de l’Économie nationale. « Quelles sont les mesures urgentes et adéquates prises par votre ministère et en collaboration avec les autres ministères sectoriels pour stopper la flambée des prix des denrées de première nécessité constatée sur le marché, et comment y anticiper ultérieurement afin d’éviter cette désolation à notre peuple ? Pouvez-vous nous dire avec précision la politique mise en place par votre ministère afin de recadrer l’économie nationale et également mettre fin à la spéculation des prix sur le marché ? Quel est le rôle exact du comité de suivi des prix et pourquoi n’a-t-il alerté à temps cette tendance inflationniste dans le processus de suivi et contrôle des prix sur le marché ? », enchaîne-t-elle les questions. Autant de questions auxquelles Tatiana Pembe espère obtenir des « réponses claires et précises » de la part de la ministre de l’Économie. On en est encore là. Mais le gouvernement, à travers sa cellule ou comité de conjoncture économique, essaie d’organiser la riposte. Par exemple, à la réunion du comité de conjoncture économique du 18 février dernier, présidée comme d’habitude par Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre, lui-même, une commission nationale pour le contrôle des prix a été mise en place afin de lutter contre la spéculation des prix des aliments sur le marché.
Une semaine après, le 1ER Ministre a encore réuni les membres permanents de ce comité de conjoncture, à savoir le vice-1ER Ministre, ministre du Budget ; la vice-1ER Ministre, ministre du Plan ; la ministre de l’Économie nationale ; le ministre des Mines ; le ministre du Commerce extérieur ; le ministre des Finances ; et le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC). Ce comité de conjoncture qui opère comme une cellule de crise, a évalué, à cette occasion, la situation économique du pays dans le contexte international d’incertitudes liées à l’épidémie de coronavirus.
Haro sur les spéculations
Sur le plan national, le contexte reste marqué par les fluctuations du taux de change dues notamment aux spéculations anticipatives, a laissé entendre Baudouin Mayo Mambeke, le vice-1ER Ministre, ministre du Budget. D’après lui, le gouvernement se penche sur la question afin de mettre fin à ces spéculations : « Sur le plan interne, nous avons noté que le taux de change bouge. Et les prix qui augmentent ne sont pas liés forcément à ce phénomène. »
Et de poursuivre : « La Banque centrale a examiné en profondeur cette question et ne lie pas les deux. » Le gouvernement est décidé d’agir sur la parité pour maintenir stable le taux de change afin de « mettre fin aux spéculations anticipatives malheureuses ». La ministre de l’Économie interpellée par la crise, a été chargée de dépêcher une mission pour examiner cette question de la hausse des prix.
Au cours de sa réunion du mardi 4 mars, le comité de conjoncture a noté que l’épidémie du coronavirus perturbe sérieusement la situation économique dans le monde. Et la RDC n’est pas du tout épargnée. D’où le gouvernement reste vigilant, en renforçant les mesures déjà prises. En effet, la crise en interne des prix sur le marché est aussi la conséquence de ce qui se passe sur le plan international, à cause justement de l’épidémie de coronavirus qui a profondément affecté la Chine. « Nous avons noté sur le plan international qu’il y a beaucoup d’incertitudes liées au coronavirus. Il y a des baisses de statistiques de production. Nous devons prendre des dispositions pour que cette situation qui ne rejaillisse pas sur notre économie », a déclaré Baudouin Mayo Mambeke.
Et, par conséquent, les importations en provenance de ce pays, l’un des partenaires économiques de la RDC, laissent un goût amer sur le porte-monnaie des ménages. Ceux-ci font remarquer que les produits d’importation made in China qui entrent au pays par l’Angola via le poste frontalier de Lufu dans le Kongo-Central sont de moins en moins visibles sur le marché. Conséquence : les prix ont flambé.
À Kinshasa, tout le monde le sait : c’est Lufu qui fait vivre la majorité des ménages en produits alimentaires.
D’ailleurs, la douane nationale (Direction générale des douanes et accises) espère de substantiels revenus sur les droits d’accises perçues à l’importation sur les produits alimentaires, les boissons alcooliques et celles alcoolisées, ainsi que sur d’autres produits qui entrent par Lufu.
Depuis une dizaine d’années, l’activité débordante dans cette localité du fait du passage des produits (alimentaires, électroménagers, boissons, carburant, ciment, barres de fer, etc.) importés a largement contribué à résorber le chômage à Kinshasa et assure le gagne-pain et la scolarité des enfants à plusieurs foyers en RDC.
En décembre 2018, année de l’élection présidentielle, beaucoup de ménages ont cru en l’alternance politique au sommet de l’État. Mais, une année après, des consciences ont commencé à déchanter. En tout cas, beaucoup de ménages font part de leurs difficultés à faite face à la conjoncture économique, même si la gratuité de la scolarité au niveau de l’enseignement de base a permis à plusieurs d’alléger le poids du budget familial consacré à l’éducation, et de réaffecter à d’autres rubriques.
Avec la hausse effrénée des prix sur le marché, explique une dame de 65 ans, employée dans une entreprise privée, il devient difficile d’investir pour le foyer. « Tout ou presque est absorbé par le panier de la ménagère qui s’amenuise au jour le jour. Avant, on nous disait que cela était dû à la dépréciation de la monnaie nationale. Mais aujourd’hui, elle est stable ! », râle-t-elle.