L’Accord-cadre d’Addis-Abeba, signé il y a trois ans, concernait non seulement la paix et la sécurité, mais aussi la coopération entre les pays de la région. C’est pour aller plus loin dans ce sens et poser des actes concrets dans le cadre d’un partenariat entre les secteurs public et privé qu’une conférence de deux jours s’ouvre le 24 février.
Depuis la seconde moitié des années 1990, la région des Grands Lacs africains a été le théâtre de plusieurs conflits armés. Principal champ de bataille : la République démocratique du Congo. Il y a eu ce que d’aucuns ont qualifié de « Guerre mondiale africaine », dans la mesure où neuf pays s’étaient affrontés sur le sol congolais. En même temps, de nombreux groupes armés, souvent téléguidés de l’extérieur, se sont livrés à un pillage systématique des ressources naturelles de la République démocratique du Congo qui intéressaient tous les vautours imaginables. Toutes ces actions avaient contribué à la déstabilisation de la région des Grands Lacs dont certains des dirigeants ne se regardaient plus qu’en chiens de faïence. Il fallait absolument inverser la tendance. C’est dans ce contexte qu’une dizaine de pays de la région et de la Communauté de développement de l’Afrique australe signent, en février 2013, à Addis-Abeba, l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région des Grands Lacs. Finalité de l’accord : cerner la cause fondamentale des conflits et mettre fin aux violences endémiques dans la partie orientale de la République démocratique du Congo et dans le reste de la région.
Dans le prolongement de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, un plan d’action est adopté par les différentes parties fin janvier 2014. Son but : développer la coopération régionale. D’où l’idée d’organiser, entre autres, une conférence sur l’investissement sous les auspices de l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies dans la région des Grands Lacs. Élément moteur : le secteur privé. Deux ans plus tard, le rêve se concrétise. La conférence qui se tiendra à Kinshasa les 24 et 25 février est importante à plus d’un titre. D’abord, sur un plan global, ses résultats concernent quelque 350 millions de personnes des pays vivant sur une superficie de plus de 10 millions de kilomètres carrés. Donc un grand marché. Ensuite, c’est une grande opportunité pour la République démocratique du Congo. Le bureau de l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU dans la région des Grands Lacs souligne, en effet, que « les projets identifiés ont un lien particulier avec la RDC – étant donné qu’elle se trouve au centre de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération sous-jacente, catalyseur de cette initiative. Après la RDC, et les pays qui ont le plus souvent été en conflit avec la RDC, sont ciblés secondairement pour des investissements – avec l’intention que le développement économique et l’intégration régionale peuvent créer une plus grande stabilité dans la région et une amélioration de l’environnement pour l’investissement. »
Pour bien faire les choses, l’organisateur a consulté largement dans les pays concernés par la problématique de l’investissement privé dans la région des Grands Lacs : décideurs politiques, hommes d’affaires, diverses organisations… Il a travaillé avec la Facilité africaine pour des marchés inclusifs (AFIM), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Société financière internationale (SFI), la Banque africaine de développement (BAD), l’East African Business Council. Au-delà des opportunités d’investissement recensées dans différents secteurs, un accent particulier a été mis sur « l’investissement qui permettra de s’attaquer à certaines causes profondes des conflits dans la région (…). Il s’agit de la pauvreté, du chômage (notamment chez les jeunes), de l’insuffisance des infrastructures (notamment en matière de transport et d’énergie). L’objectif est de soutenir l’investissement en cercles concentriques vers l’extérieur à partir du noyau du conflit qui a fait rage surtout dans la partie orientale de la République démocratique du Congo », comme on peut le lire dans le Document sur les opportunités d’investissement publié à l’occasion de la conférence de Kinshasa.
Dans la capitale congolaise il sera également question d’examiner les différentes recommandations destinées aux parties prenantes. Cela concerne l’institution de la Conférence sur les investissements du secteur privé comme un événement annuel ; la promotion formelle des partenariats entre les secteurs public et privé. On parlera aussi de l’identification des projets stratégiques à mettre en valeur ; de la promotion des corridors et/ou des chaînes de valeur régionales, des zones économiques spéciales. Sans oublier le fait de pouvoir tirer pleinement profit de l’action d’investisseurs régionaux et des sociétés en vue de donner une impulsion à l’investissement régional. Les États seront invités à élaborer et à coordonner une politique régionale commune, à considérer comme prioritaires les principaux projets régionaux concernant les infrastructures. Et, surtout, promouvoir un investissement responsable dans le secteur de l’industrie extractive, objet de toutes les convoitises à la base des conflits qui ont secoué la région des Grands Lacs. D’autres thèmes, comme l’encouragement de l’expansion d’un investissement porteur d’impact, le soutien des initiatives de la Conférence internationale pour la région des Grands Lacs (CIRGL) en matière de leadership et de renforcement des capacités, ainsi que le soutien de l’entreprise sociale seront abordés.
Plusieurs projets ont déjà été sélectionnés dans des secteurs aussi variés que les infrastructures, les mines, l’agriculture, les technologies de l’information et de la communication, la banque, la microfinance, l’énergie, l’agro-industrie, le commerce, l’agro-business… Les critères de sélection sont stricts : les projets doivent avoir un impact potentiel sur la durabilité et la stabilité de la région. Les projets prioritaires sont ceux dans lesquels deux ou plusieurs pays s’engagent et qui peuvent déboucher sur un rayonnement régional. Il faut, également, que les projets démarrent rapidement, c’est-à-dire dans un délai de 12 à 36 mois parce que, selon les décideurs, « la paix dans la région a besoin d’être cultivée et renforcée ».
L’acceptation d’un projet dépend surtout de son attractivité et de sa viabilité, de la qualité des opportunités du marché, des facteurs d’atténuation des risques, de l’unicité de l’actif, de l’impact sur le développement, c’est-à-dire un rôle de soutien à des groupes comme les femmes, les jeunes, les anciens combattants, les réfugiés. Le projet doit également être une contribution à l’intégration régionale. Dans son état de préparation, le niveau de soutien du secteur public, du secteur privé et des partenaires au développement est important. Sans oublier l’état d’avancement de l’étude de faisabilité et du business plan. Parmi ses préoccupations, la conférence de Kinshasa doit arriver à sélectionner des acteurs des secteurs public et privé « ayant un pouvoir et une influence considérables dans la région ». Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, et Jim Yong Kim, président de la Banque mondiale, sont parmi les personnalités attendues dans la capitale congolaise.