Kinshasa : des enfants débrouillards…

Dans la capitale congolaise, les moins de 16 ans sont de plus en plus nombreux à se lancer dans les petits commerces. Tout se passe sous les yeux insensibles des autorités et des parents, malgré l’existence des lois interdisant les pires formes de travail pour ces êtres vulnérables. 

Comme Jonathan, les moins de 16 ans inondent les rues de Kinshasa pour la débrouillardise. (Photo BEF)
Comme Jonathan, les moins de 16 ans inondent les rues de Kinshasa pour la débrouillardise. (Photo BEF)

Assis le long du trottoir, à la place Kintambo-Magasin, Jonathan, 13 ans, procède au cirage des chaussures. Chaque jour, il quitte à pieds le Camp Luka pour s’adonner à une activité qu’il exerce depuis l’âge de 9 ans. « Ce travail compte beaucoup pour moi. Il me permet d’avoir de l’occupation, de subvenir à mes besoins et de temps à autre, d’aider mes parents et mon petit frère à la maison. Je n’ai donc pas de choix », affirme-t-il. Ses parents qui sont en chômage, l’encouragent dans cette pratique. Avec une moyenne de 4 000 francs de recettes, par jour, Jonathan arrive, parfois, à dépanner la maison. Il passe en sixième année primaire et pendant ces vacances, son ambition est de réunir de quoi préparer la prochaine rentrée scolaire par l’achat des fournitures scolaires en achetant des fournitures scolaires. « Je ne paye pas les frais scolaires. Mes parents le font grâce aux revenus des loyers que nous avons dans la parcelle », dit-il.

La largesse

Comme lui, ils sont de plus en plus nombreux, filles et garçons, ces enfants qui inondent les rues de la ville pour la débrouillardise, parfois à leur risque et péril. Beaucoup ne vont plus à l’école. Certains parcourent des kilomètres, pour procéder à la vente ambulante des mouchoirs en papier, de l’eau en sachet, des produits maraichers et autres. Parfois jusqu’aux heures tardives. A l’exemple de ce jeune garçon de 10 ans, habitant le camp militaire Kokolo, passant d’une terrasse à une autre de la commune de Bandalungwa, rencontré mercredi 23 juillet alors qu’il était 21 heures passées. D’autres sont dans la mendicité : seuls ou accompagnés des adultes invalides, on les retrouve, en nombre, le long des artères principales de la ville. D’autres encore sont dans des carrières artisanales pour réduire de grosses pierres en gravats utilisés sur les sites de construction.

Toutes ces formes de débrouillardise des mineurs qui prennent de l’ampleur dans la capitale ne semblent pourtant pas scandaliser l’opinion, malgré l’existence des législations nationales, comme internationales ratifiées par la RDC et qui interdisent les pires formes de travail des enfants. Le cas des conventions relatives aux droits de l’enfant et celles de l’Organisation internationale du travail (OIT) relatives aux pires formes de travail des enfants signée en 1999 à Genève.

Au niveau national, la loi du 10 janvier 2009, portant protection de l’enfant considère « comme pires formes de travail des enfants », entre autres, « les travaux qui, par leur nature et les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la croissance, à la sécurité, à l›épanouissement, à la dignité ou à la moralité de l›enfant ». La même loi met les parents et les autorités étatiques devant la responsabilité de veiller à la protection de l’enfant, considéré comme un être vulnérable, de par sa dépendance « par rapport au milieu, de son manque de maturité physique, intellectuelle et émotionnelle, nécessitant de soins spéciaux et une protection particulière… »

Le nœud du problème 

Face à une certaine largesse qui s’observe devant ce phénomène, malgré une panoplie de dispositions protectrices de l’enfant, le Secrétaire exécutif de l’Ong «Zoom sur les enfants et leurs droits (ZED) », Nestor Cimanga, appelle les autorités congolaises à poursuivre « leurs efforts tendant à remettre en place une politique inclusive de protection sociale en faveur des enfants et des personnes invalides, de sorte que ces dernières ne soient pas obligées de recourir à l’utilisation de leurs enfants pour des raisons de survie ». Il invite aussi les partenaires sociaux dont les églises, à aider le gouvernement dans sa politique de protection sociale des enfants. Depuis juin 2012, le ministère de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance sociale a présenté le Plan d’action national de lutte contre les pires formes de travail des enfants en RDC. L’objectif est de les éliminer d’ici 2020, en mettant en place « les fondations institutionnelles, politiques et sociales » nécessaires à la lutte contre ce phénomène ». Jusqu’alors, rien ne bouge apparemment.

« Tant que les conditions sociales des parents de ces enfants qui, pour la plupart sont dans le chômage ou sous-payés, ne sont pas améliorées, nous auront toujours des enfants dans la rue faisant de la débrouillardise », se confie un fonctionnaire de l’Etat. Les conjonctures difficiles de la vie au pays est vue par plus d’un, comme le nœud du problème. D’autant plus que ce sont généralement les enfants orphelins vulnérables et ceux issus des familles pauvres qui s’adonnent à ces petits jobs, pour des raisons de survie.

Les mineurs mineurs 

S.N. 

Si à Kinshasa, la débrouillardise des enfants peut se résumer par des petits commerces, dans les parties Est et centrale du pays, c’est par la recherche des minerais. Ils sont mineurs, n’empêche qu’ils soient comptés par millions au Katanga, en Province Orientale, dans les deux Kivu, au Maniema ou encore au Kasaï Oriental et au Kasaï Occidental, à explorer des mines, de diamants, coltan, zinc et autres matières précieuses. Le problème dérange longtemps les Ong nationales. Comme internationales, mais sans jamais trouver des solutions. « Ces enfants qui sont exposés à des conditions de travail dangereuses, vont être sérieusement malades et souffriront d’asthme et d’autres problèmes respiratoires », s’inquiète Christine Mc Cormack, conseillère en protection de l’enfance à Save the Children. Début juillet, l’Administrateur assistant du territoire de Lupatapata, au Kasaï-Oriental, a formellement interdit à plus de six cents enfants d’accéder aux carrières d’exploitation de diamant en brandissant des menace des sanctions pénales. Mais, ce ne sont pas des interdictions qui manquent dans ce secteur. La loi congolaise interdit également le travail des enfants dans des mines. La situation socio-économique précaire de la population rend difficile le respect de cette réglementation.