Les relations de fraternité et de bon voisinage entre les deux capitales les plus rapprochées du monde avaient pris un sacré coup à la suite de l’opération « Mbata ya bakolo » visant les étrangers en situation irrégulière, selon les autorités policières sur la rive droite du fleuve Congo. Dix sept mois après, la volonté de normalisation semble être affichée de part et d’autre du majestueux fleuve. Premier acte : l’assouplissement des conditions de circulation des personnes.
Kinshasa et Brazzaville ont décidé de mettre de l’eau dans leur vin après la brouille d’avril 2014 à la suite de l’opération « Mbata ya bakolo » d’expulsion des étrangers en situation irrégulière au Congo-Brazzaville. Dans les faits, cette opération de la police brazzavilloise avait laissé l’impression de ne s’en prendre qu’aux Congolais de la République démocratique du Congo-Brazzaville. La vague d’expulsions a laissé quelques rancunes. Plus de 170 000 Congolais, pour la plupart des Kinois, avaient été expulsés du Congo-Brazzaville à partir d’avril 2014. Ils étaient devenus indésirables de l’autre côté du fleuve Congo, accusés de tous les maux, surtout d’avoir exporté le phénomène « Kuluna » ou la délinquance urbaine à Brazzaville. Mais, selon la police, cette opération visait tous les étrangers en situation irrégulière. Les scènes de ces expulsions massives avaient choqué l’opinion à Kinshasa au point que, de leur côté, craignant des représailles, quelque centaines de Brazzavillois établis à Kinshasa, dont de nombreux étudiants, avaient décidé, volontairement, de regagner leur pays.
Mesure controversée
Depuis, les rapports s’étaient rapidement détériorés entre les deux capitales. Le laissez-passer, seul document exigé à l’époque, avait été remplacé par un visa pour une traversée de quelques heures seulement. Les effets de la rupture des échanges commerciaux consécutive à cette vague d’expulsions n’ont pas tardé à se faire sentir sur les deux rives. Dix sept mois après, les experts des deux pays réunis à Kinshasa, fin septembre, dans le cadre de la commission spéciale Défense et sécurité entre les deux capitales, ont décidé de lever cette mesure jugée contre productive. Désormais, les peuples des deux rives devront exhiber un « laissez-passer » aux services commis aussi bien au beach Ngobila qu’au port fluvial de Brazzaville pour la traversée du fleuve Congo. Cette décision, explique un expert membre de cette commission, ouvre la voie à la normalisation des rapports de coopération bilatérale brouillés depuis l’expulsion par le Congo-Brazzaville de plusieurs milliers de Congolais. La libre circulation entre Kinshasa et Brazzaville est redevenue effective à partir de mardi 29 septembre. Un laissez-passer individuel pour une durée de séjour n’excédant pas 72 heures suffit.
Cependant, avec le laissez-passer, on ne pourra plus aller au-delà des deux capitales. Autrement, il faudra solliciter un visa de séjour. Les ressortissants de la République démocratique du Congo, désireux de s’établir au Congo-Brazzaville, sont priés de se conformer à la législation en vigueur dans ce pays.
Vague d’expulsions
Quelques divergences subsistent toutefois quant aux contentieux sur les biens perdus et les violences qui avaient accompagné l’opération « Mbata ya bakolo ». Une opération policière au cours de laquelle des violations des droits de l’homme avaient été commises. Entre avril et juin 2014, le beach Ngobila à Kinshasa avait accueilli des centaines de passagers expulsés, les uns portant des baluchons et les autres mains vides après avoir tout perdu. L’opinion s’était émue de scènes fascinantes et horribles des gens de tous âges, blessés, affaiblis par la faim la plupart étaient partis avec le maximum de biens (matelas, vaisselle et autres effets personnels) ou au contraire ayant tout abandonné aux pillards et policiers véreux.
Les foules de passagers débarqués étaient conduites en bus spécialement affrétés par les autorités kinoises pour une identification et une assistance dérisoire à la maison communale de Kinshasa et au stade cardinal Malula.
Les condamnations des ONG
On sentait déjà le débordement ou l’essoufflement des autorités de la capitale peu ou pas préparées pour gérer un tel mélodrame. Des ONG de défense des droits de l’homme avaient accusé le Congo-Brazzaville d’expulser de façon « barbare » des ressortissants du Congo-Kinshasa, clandestins ou soupçonnés de banditisme, en parlant de « traitements cruels, inhumains ou dégradants », et dans certains cas de « viols, extorsions de biens et brimades » et avaient appelé Kinshasa au droit de réciprocité. Dans un rapport rendu public début juillet 2015, Amnesty international avançait le nombre de 179 000 personnes expulsées et faisait état de viols, violences policières, persécutions, extorsions de biens et détentions arbitraires. Cette ONG évoquait également des attaques généralisées contre les ressortissants de la RDC, affirmant que ces attaques étaient susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité. Plusieurs cas de ces traitements inhumains et dégradants sont documentés dans le rapport. Amnesty international soulignait par ailleurs le non respect des conventions sur les réfugiés et demandeurs d’asile signées par le Congo-Brazzaville, tout en déplorant que les auteurs des actes répréhensibles n’aient pas été inquiétés.
Baisse de trafic
Les conséquences de ces atrocités s’étaient prolongées sur le plan économique. Les recettes de traversée de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP) avaient commencé à fondre comme neige au soleil. C’est ce qu’indiquaient des responsables de la SCPT, ex-ONATRA qui affirmaient, début juin 2014, que les recettes provenant de la traversée du fleuve Congo étaient passées de 10 à 2 millions de francs congolais (de 10 840 à 2 168 dollars) par jour, soit une baisse de 80 %. Ces deux millions étaient produits par les canots rapides puisque la traversée par bac était devenue gratuite, presque à sens unique, à savoir de Brazzaville à Kinshasa. Depuis, les recettes ont davantage baissé pour se situer à 500 000 francs congolais (543 dollars), suite à l’exigence des visas.
La situation était devenue dramatique pour les échanges commerciaux entre les deux pays. Au début de la crise, un habitué du beach faisait remarquer que le prix de la traversée pour Brazzaville était passé de 200 dollars à 140 dollars. Les canaux rapides s’étaient faits discrets sur le fleuve. Il n’était pas rare de voir partir de Kinshasa un canot rapide d’une capacité de 20 passagers avec quatre personnes à bord. Le manque à gagner était devenu important pour la société de transport fluvial du Congo-Brazzaville. Les recettes de la STC sont passées de 4 millions de FCA à 800 000 FCA, soit 1 600 dollars par jour. Pour leur part, les autorités de la SCPT déploraient la situation. Selon elles, celle-ci affectait non seulement l’entreprise, mais également les 200 chargeurs et les autres services publics et privés œuvrant au poste frontalier de Kinshasa et qui dépendaient des navettes pour leur survie. Elles souhaitaient qu’une solution rapide soit trouvée par les autorités des deux pays pour mettre fin à cette paralysie des activités.
Approvisionner « les frères »
Depuis, des biens de première nécessité faisaient défaut sur la rive droite du fleuve Congo. Les conséquences sociales des expulsions des ressortissants de la RDC se sont fait sentir sur les marchés. Les prix des produits alimentaires notamment le sucre et le savon avaient pris l’ascenseur. Les légumes, les œufs frais, la farine (maïs et manioc), le papier emballage, les biscuits, les tampons périodiques, le ciment, etc., commençaient à faire défaut à Brazzaville la verte.
À Kinshasa, on voulait encore croire aux relations de fraternité et de bon voisinage. Le carburant transitait par la capitale congolaise, au départ du dépôt SEP-Congo, pour approvisionner « les frères » d’en face.
Tuer un Zaïrois mais laisser vivre un serpent
Officiellement, la police congolaise d’en face avait reconnu quelques bavures et des membres ont été radiés pour agissements brutaux pendant l’opération. Brazzaville avait même présenté des excuses. Avant ces événements, plusieurs dizaines de milliers de ressortissants de la RDC vivaient en République du Congo, pays dont la population avoisine les quatre millions d’habitants.
À Brazzaville, ils exerçaient toute sorte de métiers peu qualifiés : vendeurs à la sauvette, cordonniers ambulants, éboueurs, chauffeurs de taxi, receveurs de bus… « Là-bas, une expression courante veut qu’on tue un Zaïrois, mais qu’on laisse vivre un serpent », affirmait une jeune femme enceinte qui racontait avoir décidé de partir après avoir vu deux de ses compatriotes violées par des policiers dans leur logis pendant que les hommes de la maison étaient passés à tabac. Kinshasa semble avoir passé par pertes et profits les maltraitances subies par ses ressortissants. La question de l’indemnisation des victimes n’a pas été abordée lors de la 5ème session de la commission mixte Défense et sécurité. Les deux Congo entretiennent des relations compliquées. Pourtant, les deux pays ont en partage une longue histoire. Ces relations évoluent au gré des circonstances malgré des accords de bon voisinage.